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« Le cœur frais d'un lapin gris », expliqua Nadia. Alan se détourna pour masquer son dégoût. A l'est, derrière lui, la bande transparente gagnait encore du terrain sur le noir du ciel sombre. Bientôt, le jour se lèverait. Rideau : pour lui, la fête était finie.

« Je te parie à dix contre un que Hadad nous attend. Il sait que je vais revenir. Personne ne m'a encore lancé un défi sans que je le relève ! »

Parle toujours, tu m'intéresses… Dans une demi-heure, Alan serait terré dans son lit. C'était trop compliqué pour lui, il en avait sa claque. Et merde pour Bannister !

CHAPITRE 16

« Comment ? Répétez ?… »

La cabine n'était pas aérée. Price-Lynch chassa de la main la fumée de sa Muratti qui l'avait envahie. A travers la vitre, il voyait un défilé de robes du soir, de smokings, de teints couperosés, brûlés de soleil. Emily l'avait regardé d'un air soupçonneux quand, pour la deuxième fois en une heure, il lui avait demandé l'autorisation d'aller se laver les mains. La voix d'Abel Fischmayer lui parvenait mal, couverte parfois par des parasites, des grésillements.

« Alan Pope n'est qu'un petit employé, monsieur Price-Lynch. Nous l'avons crédité par erreur !1 170 400 dollars !

— Quelle erreur, Abel ? »

Ham Burger revoyait l'Américain jeter ses plaques sur le tapis. Sur ce point au moins, il avait la réponse à la question que se posait son fondé de pouvoir. Le petit salaud avait joué contre lui avec le propre fric de la Burger. Autant dire le sien !

« Le virement a été effectué le 21 juillet par la Hackett. Erreur d'ordinateur. Les deux zéros placés derrière la virgule ont été comptabilisé. Il aurait dû normalement toucher 11 704 dollars. Je n'ai pu encore joindre les gens de la Hackett pour savoir à quoi correspondait cette somme. Les bureaux sont fermés… »

Hamilton sentit soudain une présence contre lui. Il tourna la tête : derrière la vitre, Emily le dévisageait d'un regard dur et glacial. Elle était d'une jalousie morbide, non par amour, mais parce qu'elle ne supportait pas qu'un être supposé lui appartenir pût respirer en dehors d'elle.

« Une seconde, Abel… Ne quittez pas !… »

Elle était déjà dans la cabine sans qu'il l'eût invitée à y entrer.

« A qui parles-tu ?

— Fischmayer, dit Hamilton en masquant le combiné de sa main.

— Vraiment ? Passe-le-moi, je vais lui dire un mot… »

Elle lui prit l'appareil des mains, le défia des yeux. Hamilton se paya le luxe de prendre une attitude coupable.

« Allô !… »

A son air dépité, il sut qu'elle venait de reconnaître la voix de son fondé de pouvoir.

« Comment va, Abel !… Oui, oui… »

Asphyxiée par la fumée, elle eut une violente quinte de toux. Il ouvrit la porte de la cabine. Elle eut un geste rageur pour lui intimer de la refermer.

« Oui, Abel, oui… Je suis ravie de vous avoir entendu ! Je vous repasse mon mari… »

Elle lui colla le téléphone dans les mains.

« J'ai envie de rentrer. Dépêche-toi, j'attends ! »

Il la suivit des yeux pendant qu'elle se perdait dans la foule.

« Vous êtes toujours là, monsieur Price-Lynch ?

— Oui, Abel.

— Je vais immédiatement prévenir la police ! »

Ham Burger eut un haut-le-corps.

« La police, pour quoi faire ? Vous êtes cinglé !

— Mais monsieur, il faut bien porter plainte ! Le virement est réellement enregistré ! Supposez qu'il tire des chèques ?

— Payez-les !

— Monsieur Price-Lynch, je ne comprends pas ! Il s'agit de notre argent !

— Si quelqu'un est responsable, c'est vous, pas lui !

— Vous préférez que l'affaire s'ébruite et qu'on raconte partout que la Burger est un foutoir ?

— 1 170 400 dollars !

— J'en fais mon affaire ! Si des chèques se présentent, payez ! Dites à Vlinsky de la fermer et ne remuez plus un doigt ! Attendez mes instructions, c'est compris ?

— Bien, monsieur Price-Lynch.

— Pas un mot à personne, vous m'entendez ?

— Oui, monsieur.

— Parfait, Abel. Je vous rappelle demain. »

Il raccrocha sèchement, s'essuya le front, alluma une Muratti au mégot de la précédente. Il resta un moment immobile dans la cabine, réprimant son envie de crier de joie. Puis, il sortit sans refermer la porte et se dirigea vers la salle de jeux où l'attendaient les autres. Avec un peu de chance, il avait désormais la possibilité d'échapper au désastre.

Quand il salua le physionomiste, son plan était déjà prêt dans les grandes lignes.

La Rolls s'immobilisa devant le perron du casino.

« Le Palm Beach, monsieur… » dit Norbert.

Il était cinq heures et demie. Pourtant, un voiturier apparut pour ouvrir la portière côté Nadia. Elle descendit, s'étira et offrit son visage aux premiers rayons de soleil.

« Je suis une des rares personnes au monde à voir chaque jour le soleil se lever et se coucher. »

Elle prit distraitement la main d'Alan :

« Évidemment, je dors quand les autres travaillent. Tu viens ? »

La nuit n'avait pas eu de prise sur elle, aucune ombre ne marquait ses yeux violets limpides.

« Je veux rentrer », s'excusa Alan.

Norbert s'éloigna de quelques pas pour étouffer un bâillement discret. Comme tout le monde sur la Côte, il connaissait Nadia Fischler et déplora qu'elle ait pu mettre aussi vite le grappin sur son patron momentané. Il était plutôt sympathique, ce Pope, avec ces airs de ne pas être dans le coup. Très souvent, les clients affichaient une prétention et une morgue insupportables, comme si payer le droit de poser leurs fesses dans une Rolls leur conférait le privilège d'être mufles. Malheureusement, avec la Fischler, Pope allait se retrouver en caleçon, plumé jusqu'à l'os.

« Alan ? C'est une blague ! s'exclama Nadia.

— Je suis crevé, dit Alan.

— Tu ne vas pas me laisser tomber quand les choses vont devenir passionnantes ! Norbert !

— Madame ?

— Rangez la voiture. On revient. »

Elle lui fourra dans la main le reliquat de l'argent liquide qu'elle avait dans son sac. Norbert l'empocha.

« Parfaitement, madame. »

Elle s'empara du bras d'Alan et l'entraîna dans le hall du casino.

« On joue trois coups ! Quitte ou double ! Banco ! Il faut savoir saisir sa chance ! »

Ils passèrent devant la brigade au grand complet des contrôleurs et des physionomistes : ces gens-là ne dormaient donc jamais ?

La salle était toujours éclairée à giorno, bien que toutes les tables fussent fermées, sauf une, à gauche, dans le fond, dont chaque chaise était occupée par un joueur. Selon les instructions de Houdin, les rideaux restaient tirés tant que le dernier client n'était pas parti, fût-ce à midi. Ainsi, se prolongeait la nuit artificielle propre aux rêves, aux poètes et aux fous. Nadia tira Alan jusqu'à la caisse. Encore plus blême que d'habitude, Giovanni Ferrero leva sur elle un sourcil interrogateur.

« C'est un hold-up, Giovanni ! Le fric ! lui jeta-t-elle avec bonne humeur.

— La totalité ?

— Et comment ! Je vais faire sauter ta foutue banque ! »

Elle revivait brusquement, enjouée, séduisante, pleine de feu, les joues roses, l'œil brillant.

« Alan, tu veux un café ? »

Ferrero poussa devant eux une considérable pile de plaques.