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« Karina !… Debout ! Tu as entendu ce que j'ai dit ? »

Elle était très grande, blonde, mince, et était arrivée dans un étourdissant tailleur de lin blanc. Elle lui sourit, s'étira, faisant saillir dans son mouvement la pointe de ses seins. Khalil l'observa, vaguement intéressé.

« Tu es crevée ?

— Un peu…

— Tiens… »

Il lui jeta une liasse de billets roulés en boule. Elle se baissa, les ramassa, se passa la langue sur les lèvres et fit mine de les manger.

« Mmm… C'est bon !

— Tu en mangerais ?

— Et comment !… dit Karina.

— Chiche ? lui jeta Khalil.

— Chiche ! Quel est l'enjeu ?

— Qu'est-ce que vous en pensez ? demanda Khalil aux autres filles.

— Elle en mange un, vous lui en donnez un autre, proposa la Française.

— Mais des gros, intervint l'Allemande.

— Des billets de 500 francs », trancha Karina.

Khalil en sortit un énorme paquet de sa poche. Pour lui comme pour Hadad, ils n'avaient aucune signification. En les empilant bien, il en rentrait chaque jour de quoi remplir une piscine olympique.

« On commence ?

— D'accord, dit Karina, je suis prête. »

La Finlandaise battit des mains : c'était un jeu sensationnel !

« Bouffe ! » ordonna Khalil en tendant le premier billet.

Karina s'en empara en riant, le roula en boule et l'avala.

« Et voilà !

— C'est bon ?

— Délicieux ! Encore !… »

Elle ouvrit grand son sac pour mieux y enfouir les bénéfices de sa performance. Au dixième billet mangé Karina modifia légèrement sa technique. Elle se mit à mâcher. Au quinzième, son teint vira au vert. Courageusement, elle l'avala. Maintenant, chaque billet englouti était suivi d'une rasade de champagne. Son front se couvrit de sueur.

« Vingt ! » s'exclama l'Allemande.

Une lueur d'orgueil dans l'œil, Karina étreignit le billet, prit dans sa bouche une gorgée de champagne, releva la tête et le fit disparaître entre ses lèvres grandes ouvertes.

« Vingt et un ! »

Au vingt-cinquième, le visage convulsé, elle courut dans la salle de bains et vomit. Khalil haussa les épaules.

« Quand je raconte que l'argent ne fait pas le bonheur, personne ne me croit. »

« Vous m'avez fait demander, monsieur ?

— Oui, Norbert, dit Alan en ouvrant les yeux. J'ai eu quelques petits ennuis avec mes vêtements… Un type qui m'a renversé du ketchup dessus…

— Voulez-vous que j'aille jusqu'à l'hôtel et que je vous rapporte du linge de rechange ?

— C'est très gentil à vous… Un pantalon, une chemise, des chaussures… Vous n'avez qu'à ouvrir l'armoire.

— Rien d'autre, monsieur ?

— Je suis parti sans argent. Si vous pouviez en demander un peu à la réception, j'ai un compte.

— Combien, monsieur ?

— Mille francs. »

Norbert sortit de sa poche deux billets de 500.

« Si je peux me permettre ? »

Sidéré, Alan hésita à les prendre.

« Vous voulez peut-être davantage ? dit Norbert en esquissant un nouveau geste.

— Non, non, merci, c'est assez !

— Bien, monsieur. Je reviens tout de suite. »

Il eut un sourire, remit sa casquette et tourna les talons. La veille, au début de la nuit, il avait raflé près de 8 000 francs au poker aux chauffeurs des deux autres Rolls.

Mais à la différence de son employeur, il n'était pas assez fêlé pour laisser à une Nadia Fischler la chance de les lui reprendre !

Pensivement, Alan le regarda s'éloigner. Lui restaient pour toute fortune les 20 000 dollars que Sammy l'avait forcé à prendre « pour ses frais ». Ailleurs et en d'autres temps, une petite fortune. Mais à Cannes, au train où allait la débâcle, à peine de quoi payer les pourboires de la journée !

Le marmiton chargé du guet fit irruption dans la cuisine.

« Il s'en va ! »

La brigade à demi assoupie se réveilla. Mario resserra son nœud papillon et se précipita dans la salle de jeux. Il était dix heures du matin. De loin, il aperçut le prince qui lui fit signe de la main. Chaque fin de partie, c'était le même rituel. Hadad avait faim, mais par un caprice bizarre, ne voulait manger au Majestic que des plats préparés au Palm Beach. Quatre hommes demeuraient en cuisine pour les lui confectionner. Ils se moquaient complètement de passer des nuits blanches. La saison ne durait que trois mois, l'année en comportait douze, et avec ce que Hadad leur laissait comme pourboires, ils la passaient confortablement.

« Prince ?

— Que me proposez-vous ?

— Poisson ou viande ?

— Poisson. Grillé, simplement grillé. Et des crêpes. »

Mario se félicita mentalement que le prince n'eût pas envie d'un soufflé.

« Des fruits ?

— Si vous voulez. Je voudrais me mettre à table dans un quart d'heure.

— Certainement ! »

Mario traversa en courant la salle vide, entra dans la cuisine et passa la commande. Tout le monde se mit au travail. Devant l'entrée de service du Beach attendait une camionnette. On y chargerait le repas pour le transporter tout chaud au Majestic. Bien entendu, Gil Houdin ne facturait jamais ce genre d'additions. Pour les gros clients, tout était gratuit au casino. Il eût été mesquin de demander 1 000 francs à un homme qui démarrait en juillet avec un capital d'attaque de 4 millions de dollars.

Hadad ignorait d'ailleurs ce genre de détail. A Mario, qui lui portait son repas dans sa suite, il glissait régulièrement 10 000 francs. Le maître d'hôtel les partageait scrupuleusement avec ses collaborateurs selon des calculs compliqués tenant compte de la hiérarchie et de l'ancienneté de chacun dans la maison. Comme Mario, pas plus que le prince, ne savait combien d'invités attendraient son retour, les plats commandés étaient cuisinés sur la base d'une douzaine de personnes…

Hadad était de bonne humeur. En quelques bancos, il venait de rafler jusqu'au dernier sou de Nadia Fischler. L'année précédente, il lui avait envoyé Khalil pour la prier de coucher avec lui. A son immense surprise, elle avait refusé ! Le prince savait pourtant d'expérience que la vertu d'une femme ne tenait qu'à un chiffre. Vexé, il s'était juré de la posséder autrement. Il fit un crochet par la piscine. Rien ne le mettait plus en joie que de voir s'ébattre dans l'eau fraîche les trois enfants de sa dernière épouse. Quand les gosses l'aperçurent, ils vinrent à lui en poussant des cris de joie.

« Père ! dit l'aîné, faites-nous des petits bateaux ! »

Hadad fouilla dans ses poches en souriant. Dix minutes par jour avant d'aller se restaurer, faire l'amour et dormir, rien ne lui était plus doux que de faire plaisir à sa progéniture.

Alan vida progressivement ses poumons et se laissa couler au fond de la piscine. Trois mètres d'eau au-dessus de la tête, il s'étendit sur le carrelage de céramique bleue, y demeura aussi longtemps que possible. Il remonta à la surface avec la mollesse d'une algue. Il inspira profondément, agrippé au rebord du bassin. Les yeux fermés, il entendit tout près de lui des rires d'enfants et écarta de la main des morceaux de papier qui lui frôlaient désagréablement le visage. Les rires redoublèrent. Il ouvrit les yeux. L'endroit où il avait fait surface était sillonné de bateaux en papier que trois gosses, dont l'aîné devait avoir à peine dix ans, poussaient sur les vaguelettes. Derrière eux, plusieurs nurses et le prince Hadad. Un des petits navires heurta l'arête de son nez. Alan le repoussa, y jeta un coup d'œil machinal et, d'émotion, but une tasse : comme le reste de la flottille, il avait été confectionné avec un billet de 500 francs !