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« Continue, Terry, je suis crevé… »

Terry acheva d'écrire le mot en tirant la langue. Des applaudissements crépitèrent, côté acteurs et spectateurs. L'un des spectateurs s'empara de la bombe, fit le tour de la Rolls et écrivit sur l'aile encore intacte le mot « PIG ». Hans se planta devant lui, le salua militairement et lui donna l'accolade. Le type se dégagea sous les vivats triomphaux, rendit la bombe à Terry, ouvrit la porte de la voiture, se glissa sous le volant, glissa la clef de contact dans son logement, lança le moteur et démarra. Les rires se figèrent. Sur la place, ne parvenaient plus que les piaillements des moineaux, les exclamations étouffées des joueurs de boules, la rumeur de la ville toute proche d'où sourdaient des musiques et le brouhaha de la foule quittant les plages.

« Merde ! » s'exclama Hans en retrouvant ses esprits.

A vingt mètres d'eux, la Rolls freina, repartit en marche arrière et vint s'arrêter à leur hauteur. Sidérée, la bombe toujours dans sa main, Terry se vit hélée par le conducteur.

« Montez. »

Elle consulta ses amis du regard, mais personne ne broncha. Alan ouvrit la portière.

« Vous avez peur ? »

Mue par une espèce de défi, elle s'installa à ses côtés.

« Hé ! Il l'embarque, ce salaud ! » s'indigna Hans en déchiffrant instinctivement le numéro minéralogique de la voiture.

La Rolls était déjà au bout de la place et virait sur les chapeaux de roues.

« Comment vous appelez-vous ? demanda Alan.

— Terry.

— Anglaise ?

— Qu'est-ce que ça peut vous faire ?

— Rien. »

Il s'exprimait d'une voix neutre, atonale. Elle lui jeta un coup d'œil à la dérobée mais ne put distinguer son regard, masqué par ses lunettes noires.

« On va où ?

— Je ne sais pas. »

Il avait traversé Juan et arrivait à la route nationale. Il vira à droite.

« Vous vous croyez amusant ? » demanda Terry.

Pas de réponse.

« Je veux descendre.

— Qui vous en empêche ? »

Il accéléra. Elle haussa les épaules et se rencogna sur le coussin de cuir.

« Vous n'êtes pas drôle. »

Il vira sèchement à gauche, engageant la Rolls sur une route secondaire grimpant le long d'une colline.

« Qu'est-ce que vous avez contre ma voiture ?

— Elle fait « m'as-tu-vu ». Hideuse ! Vous n'êtes pourtant pas tellement vieux ! »

Le paysage était balisé par des bouquets de lauriers roses. Parfois, en contrebas, masqué par des massifs de fleurs, le toit ocre d'une villa.

« On va encore loin ? »

Il engagea une cassette dans le combiné stéréo.

« Écoutez, explosa-t-elle, j'en ai marre de votre numéro ! On a dégueulassé votre bagnole, soit ! Pas de quoi en faire un plat ! Quand on peut se payer une Rolls, on a les moyens de la faire repeindre ! Arrêtez-vous ! »

Alan freina, se rangea sur le bas-côté et coupa le moteur. Elle bondit hors de la voiture. Il ne fit pas un geste pour la retenir. Elle se mit à dévaler d'un pas décidé la pente en sens inverse. Il redémarra, fit demi-tour, la dépassa d'une cinquantaine de mètres, s'arrêta et descendit. Il s'adossa à un muret de pierre derrière lequel croissaient des touffes de mimosas. L'air était d'une transparence absolue. Au loin, miroitait la mer, derrière des vallonnements qui semblaient se précipiter sur elle en cascades douces et rondes, parsemées de toute la gamme des gris, des mauves et des verts. En passant devant lui, elle détourna la tête. En deux pas, il fut sur elle et la saisit par le bras.

« Et maintenant, si je vous donnais une bonne fessée ?

— Essayez ! »

Il la secoua avec fureur parce qu'il n'arrivait pas à éprouver de colère.

« Qui va me payer les dégâts ? »

Elle lui jeta un regard venimeux.

« Vous l'aurez, votre sale fric, vous l'aurez !

— Quand ? »

Elle avait peur brusquement. Elle avait peut-être affaire à un fou, un maquereau, un gangster ?

« Lâchez-moi ! »

Il desserra son étreinte, ôta ses lunettes, se frotta les yeux d'un geste las, lui tourna le dos et alla s'appuyer contre le parapet.

Elle se frictionna le poignet et demeura immobile, interdite. Il ne devait pas avoir plus de vingt-cinq, trente ans. Elle le vit sortir une cigarette d'un paquet neuf et l'allumer. Il ne la regardait toujours pas.

« Hé ?… »

Il ne se retourna pas.

« Écoutez, je suis vraiment désolée… Dans notre esprit, ce n'était pas méchant. Une blague. »

Il haussa les épaules et tira sur sa cigarette.

« Vous m'en voulez ?

— Quelle idée ! » lança-t-il avec un demi-sourire crispé.

Elle l'observa avec attention.

« Je suppose qu'après ce qui vient de se passer, vous ne tenez pas à me ramener ?

— En effet, je n'y tiens pas.

— Bon. J'irai à pied. »

Elle se balança d'une jambe sur l'autre.

« Comment vous appelez-vous ?

— Alan.

— C'est bizarre… » commença-t-elle.

Elle s'assit sur le parapet et regarda dans la même direction que lui.

« Vous ne collez pas avec ce genre de voiture. A votre âge, un tombereau pareil, c'est débile. »

Il garda le silence.

« Non ? ajouta-t-elle. Américain ?

— Oui.

— Qu'est-ce que vous faites ?

— Des trucs. Je bricole.

— Moi, j'étudie.

— Quoi ?

— La vie.

— C'est déjà au programme de votre année ? »

Il tourna la tête vers elle. Elle était vêtue d'un jean et d'une espèce de chemise d'homme kaki trop large pour elle. Ses cheveux blond cendré avaient la même valeur colorée que le gris de ses yeux. Ses mains étaient petites et fines, des mains d'enfant.

« Vous me donnez une cigarette ?

— Je n'ai pas de H sur moi.

— Pourquoi me dites-vous ça ?

— Vos petits copains hippies.

— Ils ont votre âge, mais ils sont plus jeunes que vous. »

Elle désigna la Rolls du menton. Il lui jeta un coup d'œil, alluma une cigarette à la sienne et la lui tendit. Elle la lui prit des mains. Leurs regards se croisèrent. Il vit dans le sien le reflet de son propre visage. Il détourna les yeux.

« On y va ? »

Il lui ouvrit la portière. Elle s'installa.

« Qu'est-ce que vous voulez faire quand vous serez grande ?

— Rester une enfant. Et vous ? »

Il passa la première et décolla du talus.

« Essayer de devenir vieux.

— Vous êtes sur le bon chemin. Je suppose que vous avez un chauffeur ?

— Cela va de soi.

— Et que vous occupez une vaste suite dans un palace ?

— Évidemment.

— Et que le soir, vous mettez une cravate pour aller dîner avec des raseurs ?

— Un smoking. Bien entendu.

— Ça vous amuse ?

— A mourir. »

Elle éclata de rire.

« Alors, pourquoi le faites-vous ?

— Vous faites toujours ce qui vous plaît ?

— Toujours.

— Vous avez de la chance, soupira-t-il en faisant la grimace.

— Pas de chance. Le courage de ma chance, nuance.

— Ou la chance d'avoir du courage.

— Vous n'en avez pas ?

— Habituellement, très peu.