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— Et en ce moment ?

— Pas du tout. »

Elle donna une tape au tableau de bord.

« Bazardez votre veau, flanquez vos vieux schnocks à la mer et faites autre chose ! »

Alan prit un virage en épingle.

« Vous habitez où ?

— Golfe-Juan. J'ai loué une chambre avec une copine.

— Un mètre quatre-vingt dix et barbue ?

— Cinquante-cinq kilos et quatre-vingt dix de tour de poitrine. Vous êtes entretenu par une vieille maîtresse ?

— Cent trois ans. Très jalouse. Je débute mes journées en allant faire uriner le chien. »

Quand ils entrèrent dans Juan, il s'aperçut avec stupeur qu'elle lui avait fait oublier en une heure la précarité de sa situation. Le temps d'une balade, il s'était baigné dans une source fraîche qui l'avait lavé de ses angoisses. Il s'était même surpris à rire à plusieurs reprises.

« Vous avez le téléphone chez vous ? »

Elle lui jeta un regard empreint de commisération.

« Pourquoi pas une salle de bain en marbre ? Il y a un robinet d'eau froide sur le palier. Et encore, il marche quand ça lui chante. Vous voulez voir ?

— J'aimerais. »

Il gara la voiture dans une petite rue calme de Golfe-Juan. Des gosses, qui jouaient au ballon, hurlèrent de rire en découvrant les inscriptions qui souillaient les flancs de la Rolls. Terry fit semblant de ne pas les entendre. Alan regarda distraitement ailleurs.

« C'est ici », dit-elle.

Il passa sous un porche jouxtant un petit restaurant, Chez Tony.

« Menu à 27 francs. Sardines fraîches grillées, salade niçoise, fromage et fruit. »

Elle lui balança une œillade ironique.

« Que demande le peuple ? C'est au quatrième. Vous aurez la force de vous traîner ?

— Je vais essayer », dit Alan.

Elle le précéda dans l'escalier en colimaçon. Ses pieds effleuraient si légèrement les marches qu'elle n'avait pas l'air de les grimper, mais de les survoler en dansant.

« Je suis très préoccupé, Altesse. Mon gouvernement exige que je lui donne la date d'enlèvement avant quarante-huit heures. Les autorités ne tiennent pas à garder trop longtemps la livraison sur un terrain militaire.

— Comment se décompose le lot ? demanda Hadad.

— 100 appareils. 40 Draken, 35 Vigger, 25 « 105 », dit Honor Larsen. On ne peut pas laisser indéfiniment 800 millions de dollars dans un hangar.

— Ne pourriez-vous pas faire exécuter la transaction par une de vos sociétés ?

— Non, Altesse. Nous sommes très surveillés, et pas seulement par les Suédois ! »

L'entrevue avait lieu au quatrième étage du Majestic, dans l'une des multiples suites réservées au prince. Hadad et Honor Larsen se connaissaient depuis longtemps mais n'en faisaient jamais état en public. Le genre d'affaires qu'ils traitaient exigeait une discrétion sans faille. La politique et l'économie étaient si intimement liées qu'il devenait impossible de conclure un marché dans des conditions normales. En vertu d'accords commerciaux passés avec l'administration américaine, Hadad ne pouvait acheter qu'aux États-Unis le matériel de guerre dont il avait besoin pour équiper son armée. Malheureusement, les États-Unis, qui soutenaient Israël, pouvaient difficilement livrer des armes à un émirat arabe. Hadad s'adressait donc à la France, la Suède, la Grande-Bretagne, l'Italie. Là encore, problème : les alliances et les grands principes interdisaient d'accorder à l'émirat dont Hadad était le prince ce qui lui avait été refusé par les États-Unis. Le marché ne pouvait donc avoir lieu officiellement, d’État à État. La difficulté était tournée par des voies tortueuses requérant la participation active d'un intermédiaire qui le traitait à son nom. Ainsi, les affaires continuaient et la morale politique était sauve. Jusqu'alors, les livraisons de matériel aéronautique s'étaient effectuées entre la Suède et l'émirat grâce à l'entremise de Erwin Broker.

« Je ne comprends vraiment pas ce qui a pu lui arriver, déclara sombrement Larsen.

— Il a explosé, rétorqua le prince sans trace d'humour.

— Oui, mais pourquoi ? Qui avait intérêt à l'attacher sur un ponton de feu d'artifice avec une cartouche de dynamite sur le ventre ?

— Quelle était sa commission ? »

Honor Larsen lui jeta un regard aigu.

« Deux pour cent.

— 16 millions de dollars », soupira le prince.

Larsen s'abstint de relever que celle de Hadad, pour tous les marchés conclus en faveur de son émirat, s'élevait à 8 pour 100, soit la bagatelle de 64 millions de dollars pour l'opération en cours. Le géant n'était pataud et infantile qu'avec les femmes. En affaires, il semblait se brancher sur un voltage spécial à haute tension qui rendait son cerveau aussi prompt qu'un ordinateur.

« Je crains que nous ne soyons devant une situation bloquée, Altesse. La mort de Broker nous a conduits à une impasse. Avez-vous quelqu'un d'autre sous la main ?

— Non. Et vous-même ?

— Pas davantage. »

Chacun s'absorba dans ses pensées. On ne dénichait pas un homme de paille sérieux en deux jours. Ou alors, avec des risques impensables pour une transaction de cette envergure.

« Altesse, avez-vous gardé des rapports avec les personnes qui vous avaient mis en contact avec le regretté Erwin ?

— Aucun », mentit le prince.

Il ne voulait pas que Cesare di Sogno fût mêlé de près ou de loin à ses affaires. Il était trop voyant, on parlait trop de lui, il parlait trop des autres. En lui présentant Erwin Broker quatre ans plus tôt, il avait peut-être eu la main heureuse. Mais Broker était mort assassiné et le flair de Hadad lui disait que Cesare était un personnage douteux. Passe encore pour recruter des filles, mais pour les choses sérieuses, plus jamais.

« Dommage, soupira Larsen. Vous allez au gala ce soir ? ajouta-t-il bizarrement.

— Il s'agit d'une charité, répondit vertueusement le prince.

— J'aurai un de vos amis à ma table, dit Honor…

— Qui donc ? s'étonna Hadad qui avait trop d'argent pour s'imaginer qu'il pût avoir des amis.

— Alan Pope. »

Hadad fronça les sourcils.

« On m'a dit que vous étiez très liés, précisa Larsen. On vous a vu ce matin le congratuler longuement au bord de la piscine. »

Le prince fit un effort de mémoire. Il se souvint alors de son malencontreux réflexe pour empêcher le type qui avait été heurté par le bateau de son fils de glisser sur le bord du bassin. Le même qui, la veille, associé à Nadia Fischler, avait risqué quelques bancos contre lui.

« Je ne le connais pas, dit-il. Où voulez-vous en venir, monsieur Larsen ? »

Honor eut une moue désabusée.

« Nulle part, Altesse. Je suis simplement préoccupé. Je cherche. Si nous ne trouvons pas une solution d'ici à quarante-huit heures, c'est un marché de 800 millions de dollars qui risque de tomber à l'eau. »

« Attention à la poutre, baissez la tête ! »

Alan se courba. Terry referma la porte derrière lui. Par-dessus les toits hérissés d'antennes de télévision, on apercevait un petit morceau de mer qui scintillait dans l'encadrement de la fenêtre, à travers les fleurs écarlates de deux géraniums en pot. Sur les murs blancs crépis à la chaux, un poster représentant David Bowie. Dans un compotier de porcelaine, une banane, deux pommes, un pamplemousse et trois oranges.

« Lequel est le vôtre ? demanda Alan en désignant deux lits recouverts de patchwork.

— A gauche. Lucy dort sur l'autre. Je vous fais un café ?

— Vous pouvez ?