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Il eut soudain très envie d'une cigarette. Fébrilement, il tâta l'une après l'autre les poches de ses costumes, déplaça des livres, ouvrit des tiroirs… Pas question de redescendre en acheter. Avec sa tête de condamné, il se sentait aussi incapable d'affronter les lumières d'un bar que le regard inquisiteur des passants.

Dans la cuisine, il dénicha enfin ce qu'il cherchait dans un pot de grès ayant contenu de la farine : un long mégot de Camel éteint sitôt allumé. L'une de ses extrémités était barbouillée de rouge à lèvres.

Il le flaira longuement, tentant de retrouver à travers les effluves de paille du tabac éventé la trace subtile du parfum de Marina.

Il s'étendit sur le divan, craqua une allumette, aspira une profonde bouffée. Le cerveau vide, il se mit à fixer intensément une fissure du plafond…

Il eut besoin d'un cendrier, allongea la main, tourna la tête.

Alors, il vit la lettre.

Elle était à demi glissée sous la porte. Comment ne l'avait-il pas aperçue plus tôt ? Marina !…

Le cœur battant d'espoir, il se redressa d'un bond, roula sur la moquette, s'en empara. Une nausée lui monta aux lèvres : l'enveloppe portait le tampon de sa banque. Malgré de multiples avertissements, il était encore à découvert de 327 dollars à la Burger. Cette fois, c'était la fin, ils le saquaient ! Il déchira l'enveloppe avec hésitation, déplia le formulaire qu'elle contenait et survola le texte une première fois. Sans comprendre. Il le parcourut de nouveau. Le sang lui cogna aux tempes.

La gorge sèche, il relut. Deux petites lignes complètement folles qui disaient :

« NOUS VOUS INFORMONS QUE NOUS PORTONS A VOTRE CRÉDIT LA SOMME DE 1 170 400 DOLLARS. »

CHAPITRE 4

« Mais je suis pressé, mademoiselle », insista Bannister. Il tendit ses formulaires à signer sur le rebord du guichet. La brune n'eut pas l'air de l'entendre, ni de le voir. Aux soubresauts de ses épaules, Samuel comprenait qu'elle était occupée à une mystérieuse besogne dont le sens lui échappait. Il tapa du poing :

« J'ai un avion à prendre ! Tout ce que je vous demande, c'est un coup de tampon… C'est très important ! »

La brune lui adressa un regard glauque déformé par l'épaisseur du verre de ses Lunettes à la lourde monture d'écaille. Sans que ralentissent les tressautements de ses épaules, elle prononça d'une voix trouble :

« Je suis occupée.

— Par quoi ? protesta Bannister obsédé par la peur de rater son vol.

— Vous voyez bien que je me branle, dit la brune. Tenez, passez votre tête, regardez vous-même… »

Samuel se pencha et s'engagea dans le guichet jusqu'au niveau des épaules. Elle était assise sur trois annuaires de téléphone l'un sur l'autre, la main droite collée à son clitoris, jambes écartées, toison pubienne couleur d'encre se prolongeant en volutes souples au-delà du pli des cuisses, grimpant à l'assaut du nombril à demi masqué par la ceinture retenant ses bas chair.

« Qu'est-ce que vous en dites ? » lui demanda-t-elle sans ralentir son mouvement.

Samuel la contempla, les yeux exorbités, le visage en feu.

« Touchez, dit-elle, allez-y… C'est du vrai ! Mettez votre main !

— Je peux ? hésita Bannister. Je peux vraiment ?

— Mais oui, ballot, tiens, regarde… Mets tes doigts… »

Samuel enfonça ses doigts raidis où la brune le priait de le faire…

« Espèce de cochon ! » rugit Christel.

Egaré, Samuel s'éveilla complètement. Il était pratiquement enroulé autour du corps mafflu de son épouse, la main fourrageant entre ses cuisses, dans le décor familier et monotone de leur chambre à coucher conjugale. Ils étaient mariés depuis vingt-six ans, avaient trois grands enfants dont l'aîné, Henry, était à l'université. Depuis des lustres, les rapports sexuels étaient exclus de leur existence. La dernière fois, quatre ou cinq ans plus tôt, Christel, bien que consentante, avait interrompu l'acte en son plein déroulement, sous prétexte qu'elle trouvait obscène et ridicule que des gens de leur âge se livrent au simulacre de la fornication. Ses enfants élevés, elle avait reporté ses pulsions sur l'église presbytérienne de son quartier, dont elle était l'un des membres éminents les plus assidus. Samuel se l'était tenu pour dit. Mais parfois, il rêvait…

« J'ai dû faire un cauchemar, s'excusa-t-il, pourpre de honte.

— Répugnant ! Répugnant !… »

Elle se leva d'un coup de reins, l'air courroucé. Une vieille chemise de nuit en pilou collait à ses formes éléphantesques. Samuel se détourna pour ne pas la voir s'éloigner. Furtivement, il referma les yeux pour tenter de rentrer à nouveau dans son songe perdu. Mais il ne revit pas la brune. Elle était quelque part, au pays des rêves, se caressant derrière son guichet au lieu d'estampiller une fiche de voyage qui lui aurait permis de partir Dieu sait où…

Le téléphoné sonna deux fois. Christel apparut dans l'embrasure de la porte, hideuse à voir avec ses couettes ridicules, couleur filasse, la tête vissée sur le corps trop lourd, sans aucun espace pour le cou entre le menton et la saignée des épaules.

« Alan Pope. »

Elle tourna les talons avec la raideur d'une reine outragée. Samuel sauta du lit. Il arpenta pieds nus le corridor où flottait une odeur de pain grillé et de café fraîchement moulu. Dans le vestibule, il s'empara de l'appareil décroché.

« Alan ?

— Il faut que je te voie, Sammy !

— Maintenant ?

— Tout de suite.

— Mais c'est impossible ! gémit Bannister. Je suis déjà à la bourre !

— Quand ?

— Veux-tu qu'on déjeune au Romano's ?

— Non, trop de monde. Rejoins-moi au grill du Pierre. O.K. ?

— Alan ! Dis-moi au moins… »

La communication fut coupée.

« Qu'est-ce qu'il veut ? cria Christel de la cuisine.

— Je ne sais pas.

— Il te dérange bien chez toi pour quelque chose ? »

Samuel s'assit sur un tabouret.

« Il veut me voir. »

Christel enfourna deux nouvelles tranches de pain dans le toaster et maugréa :

« Pas un type pour toi, Pope. Divorcé, paresseux, coureur…

— C'est un ami épatant, dit Bannister. Il est dans une sale passe. On vient de le mettre à la porte. »

Pensivement, il trempa un toast beurré dans son bol de café.

A trois reprises, Alan était passé devant la banque sans oser en franchir le porche. Dès l'ouverture du grillage d'acier condamnant l'accès aux doubles portes de verre, il avait été témoin d'une activité qu'il n'aurait pas soupçonnée à une heure aussi matinale. En dix minutes à peine, une vingtaine de clients étaient entrés et ressortis. D'autres arrivaient. D'une démarche mal assurée, il leur emboîta le pas et escalada les deux marches conduisant au temple.

La Burger était une banque de crédit qui avait pour vocation d'alimenter en liquidités les grosses firmes internationales. General Motors avait un compte à la Burger, les Produits Alimentaires Généraux, I.T.T., les Chantiers navals, la National Steel de Détroit, la Hackett Chemical, La Lloyd's, et de nombreuses multinationales européennes. Point commun de toutes ces compagnies : cinquante mille employés au minimum, et un chiffre d'affaires annuel pouvant rivaliser avec le budget global d'un gouvernement.