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— Merci mille fois. L'ennui, c'est que pour retrouver le bateau en mer…

— Où voulez-vous qu'on aille à Cannes ? Ils sont probablement aux îles ! Tout le monde y va ! »

Marco remercia et s'éloigna. Cent mètres plus loin, Salicetti l'attendait au volant de la Dodge décapotable couleur crème.

« File à Théoule. On va au hangar. Grouille ! »

La Dodge s'arracha dans un crissement de pneus maltraités. Il n'y avait pas trop de circulation. A cette heure, la population des estivants se faisait dorer sur les plages. La voiture prit de la vitesse, contourna le bassin du Vieux Port et longea la mer en direction de La Napoule. Marco alluma une cigarette.

« On va à la pêche ? s'enquit Salicetti.

— Oui, marmonna Marco. Un très beau poisson.

— En plein jour, c'est dangereux, la pêche, dit Salicetti en s'absorbant dans la conduite.

— Bof… En saison, tellement d'accidents se produisent en mer… Avec tous ces dingues qui pilotent des bateaux n'importe comment…

— Ça, c'est bien vrai », approuva Salicetti.

Il étouffa un rire.

« C'est ce que je dis toujours ! La mer et les feux d'artifice, quoi de plus dangereux ? »

Marco exhala lentement la fumée de sa cigarette par les narines.

« On tâchera d'être plus discrets que pour le feu d'artifice. »

Dix minutes plus tard, la Dodge s'arrêtait devant une grille en fer forgé protégeant l'accès d'une propriété taillée dans le roc en contrebas. Nul ne pouvait la voir de la route. Marco ouvrit la grille qu'il referma après le passage de la Dodge. Sous la maison, creusé dans la masse de la roche, un hangar à bateau dont Marco fit coulisser la porte fermée au cadenas. Salicetti s'approcha.

« Jamais vu un monstre pareil ! »

Le hors-bord, un Riva effilé comme une lame, avait été bricolé pour la contrebande en mer. Aucune vedette de la police n'était assez rapide pour le suivre. Sa coque, entièrement dépourvue d'ornements métalliques, était peinte en bleu sombre pour les flancs, en vert foncé pour la surface comprise entre les plats-bords. Même en plein jour, il était impossible de le distinguer des flots à plus de cent mètres. A l'avant, des techniciens avaient recouvert l'étrave d'un blindage d'acier capable de pulvériser un tronc d'arbre à 120 à l'heure. A pleine puissance, ses moteurs le propulsaient à près de 150 à l'heure.

« Monte », dit Marco.

Il s'installa aux commandes, mit le contact. Un halètement rauque emplit le hangar souterrain.

« Détache l'amarre… »

Salicetti décrocha la corde de son anneau.

« On va où, exactement ?

— Faire une petite ballade aux îles. »

Marco donna légèrement les gaz. Le mufle menaçant du Riva émergea de sa grotte.

Le soleil jouait sur le corps de Terry. Elle était étendue à l'arrière du bateau, bras en croix, offerte à la lumière, une expression de bonheur tranquille sur le visage. Alan ne se lassait pas de la regarder. Allongé près d'elle, il hésitait à renouveler le geste furtif qui avait fait se frôler leurs lèvres au large. La main de Terry reposait à dix centimètres de la sienne, inerte. Il n'osait les franchir pour s'en emparer. En compagnie de Gwen qui lisait maintenant un journal illustré, ils avaient dévoré les sandwiches au pâté arrosé de vin rouge, plongeant entre deux bouchées, se séchant au soleil. L'étroit bras de mer compris entre les îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat était aussi encombré de bateaux de tous tonnages qu'un boulevard de voitures aux heures de pointe.

L'eau était d'une transparence absolue. Huit mètres plus bas, on distinguait sur le sable doré de minuscules coquilles nacrées autour desquelles nageaient inlassablement de petits poissons argentés au vol rapide et imprévu. L'heure sacrée de la sieste. Des bateaux voisins s'envolaient des airs diffusés par des transistors. La paix, la chaleur, la lumière… La main d'Alan se rapprocha insensiblement de celle de Terry. Quand elle n'en fut plus qu'à un millimètre, elle marqua un temps d'arrêt, hésitante. L'instant était parfait. Alan craignit de le détruire. Sa pulsion fut la plus forte. Du bout des doigts, il s'empara doucement de ses doigts qui répondirent à sa pression. Leurs mains se cherchèrent, s'enlacèrent, s'étreignirent, soudées brusquement l'une à l'autre pour un baiser de peau à peau qui n'en finissait pas. Ni l'un ni l'autre ne virent le hors-bord vert et bleu passer près d'eux, moteur au ralenti, à moins de cinq mètres.

« Gwen, demanda Terry sans lâcher la main d'Alan, emmenez-nous nous baigner de l'autre côté de l'île. »

Le marin lâcha l'illustré sur lequel il somnolait et mit le contact. Au pas, il louvoya entre la multitude de yachts qui se balançaient sur la surface moirée et limpide de l'eau calme. Quand il eut franchi la passe, il vira sur la gauche dans un soudain jaillissement d'écume et mit les gaz.

A bord du Riva dont les couleurs se confondaient avec celles de la mer, Marco posa sa main sur le bras de Salicetti.

« Attends encore cinq secondes et suis-les en douceur. »

A une heure, Alan n'était toujours pas dans le hall. Sarah téléphona à son appartement et laissa sonner longuement. Pas de réponse. Elle se dirigea vers Serge qui arborait un gros pansement à la main.

« Serge, avez-vous vu le chauffeur de M. Pope ?

— Norbert ? Oui, mademoiselle. Le voilà.

— Qu'est-ce que vous avez à la main ?

— On m'a mordu, mademoiselle.

— Une femme ?

— Un chien.

— C'est moins grave. »

Elle leva la tête pour s'adresser à l'homme corpulent.

« Vous êtes le chauffeur de M. Pope ?

— Oui, madame.

— Mademoiselle. Vous l'avez vu ce matin ?

— Non, mademoiselle. J'attends les ordres.

— Rien de prévu ?

— Non, mademoiselle.

— Très bien, merci. »

Elle passa sur la terrasse encombrée de clients s'abritant du soleil sous des parasols dans un infernal ballet de garçons prenant les commandes. Pas d'Alan. Elle fit le tour de la piscine. A gauche, camouflées par les massifs de buis, des filles, poitrines nues, bravaient les interdits. Sarah salua quelques connaissances de la tête, refusa dix invitations à déjeuner, traversa le bar, descendit les marches en haut desquelles régnait Fernande, la dame du téléphone. Elle entra dans l'ascenseur et appuya sur le bouton du septième. Elle n'avait jamais agi de la sorte. En général, elle contrait sèchement les hommes qui lui faisaient la cour. Derrière chaque déclaration énamourée, son regard soupçonneux n'enregistrait que le désir d'accaparer sa fortune. Elle avait peu de besoins physiques. Tout se passait dans sa tête. Parfois, elle utilisait un amant de passage pour se calmer les nerfs. Il était rare qu'elle le revît deux fois. Trois, jamais. Entre elle et eux, toujours, s'interposait l'écran de ses millions de dollars.

Elle sortit à l'étage et alla frapper au 751. Peut-être dormait-il encore ? Elle frappa plus fort.

« Il n'y a personne, madame. J'ai fait la chambre très tôt ce matin, Monsieur était déjà parti. »

Elle adressa un sourire froid à la femme de chambre et rebroussa chemin. Alan ne lui avait rien promis quand elle lui avait proposé de faire du bateau. Son cœur se serra à la pensée de la longue promenade de la veille sur la Croisette. Elle lui tenait le bras, la nuit était tiède. Elle se souvenait du moment exact où elle avait reçu le coup de poignard. Ils venaient d'arriver devant l'hôtel. Elle lui avait suggéré de prendre un dernier verre. Il avait répondu : « Je suis crevé, Sarah. Je vais mourir si je ne dors pas quelques heures. »