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A cet instant, il avait eu l'air d'un enfant perdu. Elle avait su que ce serait lui, et pas un autre. Il était si différent ! Un peu plus tôt, sa mère l'avait traitée de folle quand elle avait su qu'elle ne plaisantait pas.

« Mais tu ne le connais même pas !

— Ce sera lui, maman.

— Encore un gigolo qui en veut à ton argent !

— Tout le monde n'est pas aussi pourri que ton con de mari !

— Sarah !

— Je lui demande sa main aujourd'hui même ! Essaie donc de m'en empêcher ! »

Elle redescendit dans le hall et décida d'aller jeter un coup d'œil au Palm Beach. Alan y était peut-être. Elle fit demander son chauffeur.

« A quoi pensez-vous ? » demanda Alan.

Terry nicha sa tête dans le creux de ses épaules.

« J'étais justement en train de penser que je ne pensais à rien. Je regardais le ciel.

— Qu'y voyez-vous ?

— Pas de nuage. »

Alan roula doucement sur elle et lui effleura la bouche.

« Et là ?

— Rien. J'ai les yeux fermés. »

Du bout de sa langue, elle chercha ses lèvres. Ils étaient étendus dans une minuscule crique sablonneuse qu'un rempart de roches acérées protégeait des regards venus de la mer. A trois cents mètres de là, La Fête se balançait imperceptiblement sous la houle légère. Gwen devait sans doute dormir.

« C'est marrant que nous soyons ici tous les deux… soupira Terry.

— Marrant ? »

Elle lui prit le visage à deux mains et le dévora des yeux.

« Vous représentez tout ce que je déteste.

— C'est-à-dire ?

— L'establishment… Le système… Les signes extérieurs… Rien n'y manque… La Rolls, le Majestic, les galas, le Palm Beach, le fric…

— Qu'est-ce que vous en savez ? »

Il brûlait de lui dire la vérité mais eut peur de quitter son masque.

« Qu'avez-vous contre ? ajouta-t-il.

— En soi, rien. Je ne suis pas du genre à jeter des bombes. Et je sais trop bien à quel point les gens sont paumés sous leurs dehors triomphants. Vous le premier. C'est parce que je l'ai senti instinctivement que j'ai accepté de monter dans votre foutue bagnole. Et que je suis là. Quel âge avez-vous ?

— Trente ans.

— Curieux, vous n'avez pourtant pas l'air totalement desséché. L'argent dessèche.

— Surtout quand on n'en a pas, dit Alan.

— Vous en parlez comme un homme qui en a trop, qui possède trop. On ne jouit pas de ce que l'on possède.

— De quoi, alors ? »

Elle lui couvrit de baisers légers le pourtour des lèvres.

« De ça… Ça, c'est pour pas un rond ! Vous avez dû être bien pauvre pour avoir tellement envie d'être riche ! »

Une fois de plus, Alan faillit parler, mais quelque chose d'obscur l'en retint.

« Et vous, quel âge avez-vous ?

— Vingt-deux.

— Qu'est-ce que vous voulez faire plus tard ?

— Ce que je fais en ce moment. Etre bien.

— Vous êtes vraiment bien ?

— Oui.

— Moi aussi.

— Alan…

— Quoi ? murmura-t-il en enfouissant sa tête dans le flot de ses cheveux mouillés à l'odeur de sel.

— Rien. »

Elle passa ses bras autour de son cou, le serra contre elle et, les yeux clos, répéta son nom à plusieurs reprises.

« Alan… Alan… Alan… »

Une vague chaude l'inonda, où se mêlaient l'envie féroce qu'il avait d'elle, et un flot de tendresse qui ne ressemblait à rien de ce qu'il avait éprouvé auparavant. Dans un lent mouvement, il fit aller et venir sa main le long de sa cuisse, gagnant chaque fois quelques millimètres vers l'intérieur. Elle s'abandonna un instant, se dégagea, le regarda bien en face.

« J'ai envie de toi, Alan, autant que toi de moi. Pas ici. Pas comme ça. Tu m'auras, ne crains rien. Je te veux aussi.

— Quand ? haleta-t-il.

— Cette nuit. Tu veux ?

— Oui… » dit-il d'une voix rauque.

Elle se leva brusquement et en trois bonds nerveux se lança dans l'eau tiède qui se fendit sous son corps. Il la vit s'éloigner à grandes brasses vers le bateau. Il plongea à son tour, resta longtemps sous l'eau pour se calmer, remonta doucement et fit la planche, s'efforçant de contrôler sa respiration, ébloui par elle, par l'instant, électrisé de bonheur.

Il se remit sur le ventre et la vit se hisser d'un coup de reins sur le plat-bord de La Fête. Il se mit à nager dans sa direction, attentif aux hauts-fonds qui affleuraient la surface de l'eau, la parsemant d'îlots minuscules. La mer était peuplée de voiles, flocons blancs dansant sur l'azur du ciel. Il était à vingt mètres à peine du bateau lorsque le grondement retentit. Il enregistra dans sa rétine la silhouette cambrée de Terry debout lissant ses cheveux, celle de Gwen qui remontait l'ancre, le gros rocher escarpé sur sa gauche, dont la crête dépassait de cinquante centimètres le miroir bleuté de la mer.

Il vit aussi l'énorme hors-bord dont la couleur se confondait avec celle des vagues foncer vers lui avec un formidable rugissement de ses moteurs poussés à leur maximum, taillant sa route dans un immense geyser de poussière d'eau argentée.

Sur La Fête, il entendit le hurlement de Terry, et aperçut Gwen qui bondissait en agitant les bras et criant des choses qu'il ne pouvait entendre. Une fraction de seconde, il resta paralysé, par le bruit, par la peur : le pilote du hors-bord ne l'avait pas aperçu ! Il leva frénétiquement les bras pour qu'on le repère. Le hors-bord ne dévia pas sa trajectoire d'un centimètre. Alan jeta un coup d'œil désespéré vers le rocher protecteur, ne prit pas le temps d'inspirer, bascula d'un coup de reins et nagea sous l'eau dans sa direction, ses poumons le brûlant comme s'ils allaient éclater. Ces types étaient fous ! Le tonnerre s'amplifia dans un vacarme d'apocalypse. Alan étouffait. Mais s'il remontait, il était coupé en deux. Il serra les dents, suffoqua, s'accrocha à une seule pensée : survivre ! A travers la masse glauque des eaux, il distingua la paroi sombre du rocher, s'y accrocha dans un élan hystérique et jaillit hors de l'eau, la bouche ouverte pour un appel d'air qui venait déjà trop tard. Il resta plusieurs secondes au bord de l'étouffement, tourna la tête vers le large : le hors-bord n'était plus qu'une trace d'écume disparaissant à l'horizon. Gwen, bras tendu, vomissait des imprécations. Quand Alan heurta la coque du Baglietto, Gwen le tira à bord d'un seul élan. Il s'effondra sur les matelas comme un paquet d'algues mortes. Terry était livide.

Marina ouvrit péniblement les yeux. Elle ne reconnaissait ni ce lit ni cette chambre. Elle constata avec stupeur qu'elle était enveloppée dans un peignoir-éponge blanc. Or, elle dormait toujours nue. Elle fronça les narines, flaira le dos de sa main avec méfiance : elle puait l'alcool ! Elle attrapa son pied droit et le porta à la hauteur de son nez, même odeur épouvantable. Elle se leva d'un bond, vit au pied du lit sa robe blanche toute froissée, marcha dessus au passage et se rendit dans la salle de bain. La baignoire était pleine d'un liquide louche d'une couleur jaunâtre, aux effluves de vinasse.

Elle y trempa le doigt. Pas de doute, c'est de là que venait l'odeur de son corps. Elle suça le bout de son doigt en fronçant les sourcils. Du champagne ! Elle ôta la bonde et regarda sans le voir le champagne éventé baisser de niveau, se posant des questions sur ce qu'elle avait bien pu faire de sa nuit. La réponse lui vint sous forme d'un petit paquet qu'elle aperçut au fond de la baignoire. Il était enveloppé de caoutchouc qu'elle arracha pour découvrir un écrin. A l'intérieur, un magnifique bracelet de pierreries. Sous le bracelet, un mot manuscrit : « A Marina, en souvenir d'une merveilleuse nuit d'amour. » Signé, « Hadad ».