Perplexe, elle s'assit sur le rebord de la baignoire : elle ne se souvenait de rien !
« Non, mais vous avez vu ces salauds ! Chaque année, il y a des accidents ! Je vais les signaler ! Cinglés ! Dingues !… Criminels ! »
Depuis dix minutes, Gwen n'arrêtait pas de maudire. Il avait eu une peur atroce quand il avait vu le hors-bord foncer sur Alan.
« C'est un scandale que des fumiers pareils puissent piloter un bateau !
— Ils ne m'ont pas vu », dit Alan.
Il était installé à côté de Gwen sur la banquette avant, une serviette sur les épaules. Lovée contre lui, Terry entourait son corps de ses bras.
« C'est justement ce que je leur reproche ! Mais monsieur, savez-vous qu'il y a une limitation de vitesse en bordure des plages ? J'ai cru qu'ils allaient vous couper en deux !
— D'accord, Gwen, c'est fini, oublions.
— Jamais ! jeta le marin d'une voix vibrante d'indignation. Sitôt à terre, je porte plainte à la police maritime ! »
Alan poussa Terry du coude et lui sourit. Elle était encore toute blanche.
« Tu sais en faire ? »
Il lui désigna les skis nautiques dont l'extrémité dépassait sous ses pieds.
« Oui, mais pas maintenant.
— Tu n'en as pas envie ?
— Je serais incapable de tenir sur mes jambes.
— Gwen !
— Monsieur ?
— Je peux faire du ski ? »
Gwen coupa instantanément les gaz.
« A votre place, je serais trop secoué !
— Au contraire, ça va me remettre ! »
Ils étaient à trois cents mètres de la côte, à la hauteur du Carlton. Alan se jeta à Peau, fit surface. Gwen lui tendit les skis. Il les chaussa, cligna de l'œil à Terry.
« Quand vous voudrez ! »
Le marin déplia la corde et la lui lança. Alan empoigna le morceau de bois qui en marquait l'extrémité. Moteur au ralenti, il amorça une courbe lente dont Alan était le centre, redressa le museau du bateau jusqu'à ce que la corde formât une droite rectiligne. Il questionna Alan d'un signe de tête.
« Go ! » cria Alan.
Il se sentit brutalement soulevé, chercha sa position d'équilibre et s'abandonna avec jouissance à la formidable force qui le tractait au-dessus des eaux, le visage fouetté par le vent et les embruns, ébloui par la lumière, la vitesse et le bruit. Ses skis sifflaient sur la mer dont la surface semblait onduler sous son poids, au rythme de ses coups de hanches qui l'éloignaient en diagonale du sillage d'écume avec la rapidité d'une flèche.
Il avait commencé le ski très jeune, quand sa mère l'emmenait à la plage. Il constata avec un plaisir profond que son corps n'avait rien oublié malgré des années d'interruption. A l'arrière, ne le lâchant pas du regard, Terry, le visage à contre-jour nimbé dans un halo doré et lumineux, éclaboussé de poussière de vagues. Il exécuta quelques figures, heureux de la mémoire de ses muscles qui agissaient avant même qu'il leur en donne Tordre. Quand il fut fatigué, il ébaucha un signe. C'est alors que Terry poussa un hurlement en désignant quelque chose derrière lui.
Glacé de terreur, Alan se retourna : à trente mètres de lui, jaillie de nulle part, l'étrave puissante d'un monstrueux hors-bord lancé à sa poursuite. Il sut instantanément que c'était le même qui avait failli le décapiter ! Alerté par le cri, Gwen vit le danger et piqua à gauche vers le large en donnant tous les gaz. Le Riva vert et bleu exécuta la même manœuvre, accéléra, obliqua légèrement sur la droite et les dépassa avec une facilité dérisoire. Alan serra les dents et se cramponna à son morceau de bois. S'il stoppait, il était à leur merci. S'il continuait, ses jambes allaient le trahir. Il volait maintenant sur l'eau à une vitesse folle. Gwen fit virer le bateau à gauche dans un angle impossible. Leur dernière chance était d'atteindre les plages. Les autres n'attendaient que cette manœuvre. Après une large courbe, ils revinrent comme la foudre sur le Baglietto pour le prendre par le travers et couper la route à Alan. En deux secondes, le Riva fut sur lui. D'un coup de reins désespéré, Alan se projeta sur la droite.
Labourant la mer de ses hélices, le Riva passa à un mètre de lui dans un fantastique sillon d'écume qui le déséquilibra. Terry hurlait comme une folle. Gwen fonçait vers la terre. Le Riva revint à l'attaque de toute la puissance de ses moteurs. Cette fois, Alan comprit qu'il ne pourrait l'éviter. Il se ramassa sur lui-même, tendu comme une bête, attendit l'ultime instant où il allait être déchiqueté, et gicla dans le ciel au-dessus du hors-bord dans un saut inhumain. Il n'était plus qu'à une centaine de mètres du rivage. Le Riva mit cap au large et disparut. Gwen vira sec. Alan lâcha le manche, fusa comme une torpille et continua sur sa lancée le long du ponton de la Plage Sportive, évitant de justesse de fracasser la tête des baigneurs qui barbotaient. Hors d'haleine, il s'accrocha à un pilotis, essayant de reprendre son souffle, une douleur aiguë lui poignardant la poitrine.
Il leva la tête. La Fête s'était immobilisée à trois mètres de lui, moteur coupé. Terry sanglotait convulsivement. Le visage curieusement blême sous son hâle, Gwen lui dit d'une voix tremblante :
« On a voulu vous tuer, monsieur. »
CHAPITRE 25
Bannister sauta du taxi, régla la course, demanda qu'on lui rentre ses bagages, pénétra dans le hall et avisa le concierge.
« M. Alan Pope ?
— Sa clef est au tableau, monsieur. Il n'est pas encore rentré.
— Je m'appelle Bannister. Samuel Bannister. Je débarque de New York, je suis son ami, il m'attend. Pouvez-vous me donner sa clef ? »
Le concierge eut un bref conciliabule avec ses deux collègues.
« Je ne crois pas que cela soit possible, monsieur. M. Pope ne nous a laissé aucune consigne.
— Il aura oublié. Je suis fatigué. Vous me donnez cette clef ?
— Réellement, monsieur, je suis tout à fait désolé…
— Je vous dis que je suis son meilleur ami !… Bon, d'accord… Avez-vous une chambre ?
— Je suis navré, monsieur. Tout est complet jusqu'à la fin août. Voulez-vous attendre au bar le retour de M. Pope ?
— J'ai besoin de prendre une douche ! » s'exclama Bannister.
Il crevait de chaleur dans sa veste de tweed.
Il avait lu quelque part que l'arrogance distinguait du commun des mortels le client de palace.
« Alors, oui ou non ?
— Je vous répète, monsieur…
— Parfait ! »
D'un pas décidé, il alla s'installer dans l'un des vastes fauteuils du hall d'honneur, délaça l'une après l'autre ses chaussures, les quitta, enleva sa cravate, déboutonna sa chemise, ôta ses chaussettes, dégrafa son pantalon et entreprit de le laisser glisser le long de ses cuisses. Tous ceux qui traversaient le hall s'arrêtèrent, bouche bée, pour observer la scène.
« Va chercher M. Gohelan, vite ! ordonna le concierge à un chasseur qui partit au galop.
— Qui est-ce ? » demanda Mandy de Saran avec une feinte négligence.
Le duc était au golf. Elle arrivait d'acheter des parfums. Ses muscles, douloureux encore de la raclée de la veille, lui faisaient délicieusement mal.
« Cette personne prétend être l'ami de M. Pope, madame la duchesse. Malheureusement, il nous est impossible de lui donner sa clef. »
La vision des grosses cuisses velues de Bannister émoustilla curieusement la duchesse. Cet homme était si laid, si commun, et si hardi à la fois dans son indifférence à braver le « qu'en dira-t-on », qu'elle sentit monter en elle le désir impérieux d'être possédée par lui dans les plus brefs délais. En outre, il avait un visage chevalin. Or, depuis toujours, se faire saillir par un cheval avait été l'un de ses plus obsédants fantasmes. Elle allait intervenir quand Gohelan apparut, suivi par un chasseur porteur d'un peignoir-éponge. Le chasseur recouvrit Bannister du peignoir sous la tempête de rires des clients qui s'étaient attroupés. Gêné, Gohelan parlementa quelques instants et céda. Le chasseur ramassa les vêtements épars de Samuel, prit la clef d'Alan chez le concierge et précéda Bannister, drapé et digne comme un empereur romain, jusqu'à l'ascenseur où tous deux s'engouffrèrent. Mandy se passa machinalement la langue sur les lèvres.