« Quel est le numéro de l'appartement de M. Pope ?
— 751, madame la duchesse. »
Elle prit l'autre ascenseur, monta jusqu'au septième et croisa sur le palier le chasseur qui redescendait. La porte du 751 était entrouverte. Elle la poussa.
« Hello… »
Terrifié par son coup d'éclat, Samuel la dévisagea avec ahurissement.
« Hello… » bredouilla-t-il par automatisme.
Elle ne lui laissa pas le temps de reprendre ses esprits. Elle s'approcha de lui, le plaqua debout contre le mur, enfonça sa langue dans sa bouche, glissa la main dans son caleçon sous le peignoir et lui dit :
« Prends-moi ! »
« Madame, jurez-le-moi !
— Oui, idiote, oui ! Je te le jure ! »
Alice porta les mains à son front :
« Dieu du ciel ! Nous avons gagné trois millions de dollars !
— Et je vais te jurer autre chose… Cette fois, ils ne me les reprendront pas ! Je viens d'acheter La Volière.
— Au cap d'Antibes ?
— Tu te souviens ? Je t'avais dit que je l'aurais un jour. C'est fait ! Deux millions de dollars !
— Oh ! madame… C'est magnifique ! Magnifique !… Ce que nous allons être tranquilles, là-bas !
— Tu y pars tout de suite ! dit Nadia. Je veux que tout le monde le sache !… Ma revanche ! Ce soir, je donne une fête à tout casser ! J'invite toute la Côte ! Betty Grone va en crever !
— Mais, madame, il est trop tard !
— Qu'est-ce que tu racontes ? J'ai déjà tout arrangé ! Dix chasseurs de l'hôtel distribuent en ce moment même mille invitations ! Thème de la nuit, les oiseaux ! De minuit à midi ! On servira un petit déjeuner aux survivants demain matin au bord de la mer, dans mon port privé ! Dix orchestres ! Allez, file, le chauffeur t'attend ! »
Alice s'éloigna au trot. Nadia la rappela.
« Tu ne me demandes même pas à qui j'ai gagné tout cet argent ?
— A qui, madame ?
— Hadad.
— Bien fait ! J'espère que vous ne l'avez pas invité ?
— Bien sûr que si. Mais je doute qu'il vienne. Tu ne me demandes pas non plus ce que tu vas faire à La Volière ?
— Qu'est-ce que je vais y faire ? s'enquit placidement Alice.
— Tu vas diriger les opérations de débarquement. On doit apporter des studios de la Victorine des tonnes de plumes, d'ergots, de becs et de strass. Idem de Paris à neuf heures et demie, à l'aéroport. J'ai dévalisé trois costumiers. Tous les déguisements seront dans le grand hall. Aucun de mes invités ne franchira mon seuil sans s'être fait au préalable une tête d'oiseau !
— Mais, madame, qui va coiffer tous ces gens ?
— Alexandre. Il arrivera à Nice par le dernier avion. Avec les plumes et quinze de ses assistants ! »
La Plage Sportive était bourrée d'éphèbes gracieux qui le dévisageaient avec intérêt. Alan prit Terry par la main et l'entraîna dans un coin plus tranquille, derrière le buffet.
« Écoute-moi bien, Terry… Tu vas rentrer chez toi… Je t'appelle un taxi, tu t'enfermes dans ta chambre et tu n'en bouges plus jusqu'à ce que je vienne te chercher ! »
Ses grands yeux gris reflétaient encore la panique des instants qu'elle venait de vivre.
« Tu m'entends, Terry ?
— Et toi ?
— Je crois savoir d'où vient le coup… J'ai besoin d'une certitude… Je règle l'affaire et je reviens !
— Quand ?
— Le plus vite possible, dans une heure ou deux. »
Il avait peur pour elle. Il ne fallait pas qu'on les voie davantage ensemble. Il avait songé à la cacher sur son bateau, mais les tueurs en connaissaient déjà peut-être l'existence. Il n'avait pas eu à réfléchir longtemps pour savoir qui les avait guidés : Hamilton Price-Lynch. Il se rappela ses menaces voilées lorsqu'il avait refusé d'entrer dans son jeu et fut submergé par le désir de lui serrer le cou, de lui taper la tête contre un mur jusqu'à ce qu'elle éclate !
« Ne bouge pas… »
Il se rendit au bar, demanda un taxi et revint la prendre dans ses bras. Elle tremblait.
« Ne t'inquiète pas. »
Elle s'accrocha à lui, ignorant les regards goguenards d'un groupe de jolis garçons fascinés par ce si bel homme qui perdait son temps avec une femme…
« Je t'aime, Terry… Je t'aime… » murmura-t-il dans ses cheveux.
Il fut abasourdi d'avoir prononcé ces mots malgré lui : il ne les avait jamais dits à personne.
« Alan… Alan… répondit-elle en écho… Je t'aime !…
— Hé, Monsieur ! Votre taxi !
— Va ! » dit Alan.
Une dernière pression de la main, un long regard craintif, étonné… Elle s'engagea sur l'escalier de bois conduisant de la plage à la Croisette.
Alan attendit quelques secondes, escalada les marches à son tour et partit au pas de charge vers le Majestic, les lèvres serrées sur sa rage contenue, le visage blême, les poings crispés.
« Ma clef ! aboya-t-il en direction du concierge.
— Un de vos amis vient de la prendre, monsieur.
— Comment ?
— M. Bannister, de New York. Nous avons tout fait pour l'en empêcher, mais il s'est mis en caleçon dans le hall.
— Bannister ! »
Les événements allaient si vite depuis quelques heures qu'il l'avait complètement oublié !
« Alan, où étiez-vous passé ? »
Sarah se collait contre lui, lui pétrissait le bras.
« Je vous cherche partout ! Je vous attends depuis une heure de l'après-midi. Vous m'avez posé un lapin ! »
Il dut se maîtriser pour ne pas hurler, se dégager avec douceur.
« Excusez-moi, Sarah, j'ai eu un empêchement… Désolé, il faut que je monte…
— Je vais avec vous !
— C'est impossible ! Un ami m'attend.
— Qu'il attende ! J'ai à vous parler !
— Sarah, vraiment, je ne peux pas !
— Alan, c'est très important !
— Plus tard, Sarah, tâchez de comprendre ! »
Il tourna les talons et se précipita vers les ascenseurs. Elle courut derrière lui. La cabine vomit trois énormes chiens tenus en laisse par une petite fille.
« C'est urgent, Alan ! Il s'agit de ma vie, de la vôtre !… »
Il se retrouva empêtré par la laisse, pris en sandwich par les chiens, Sarah et la petite fille. Au même instant, Marina, qui arrivait du Palm Beach, fit son entrée dans le hall. Abasourdie, elle reconnut Alan se débattant dans un tourbillon de molosses et de jupes. Sans même prendre le temps de se demander par quel miracle il se trouvait là, elle fonça vers lui, repérée elle-même par Arnold Hackett qui sortait du bar où il s'était morfondu pendant des heures à surveiller sa fenêtre. Oubliant son âge, sa dignité, sa position sociale et sa qualité d'homme marié respectable, il se rua à ses trousses.