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« Je retourne chez Alan, dit-elle en mâchant la pomme.

— Ha », fit Harry.

Il ne se retourna pas quand elle sortit.

Courtois mais ferme, un maître d'hôtel tenta de lui barrer le passage.

« Un ami m'attend, lui lança Bannister. Ah !… Je le vois ! »

A droite, dans l'angle le plus reculé, Alan, bras levé, lui faisait signe. Le grill du Pierre était bondé. Samuel se faufila entre les tables, renversa un verre sur une nappe, s'excusa sans s'arrêter. Essoufflé, il se laissa tomber sur la chaise en face d'Alan et hacha d'une voix saccadée :

« Pour un chômeur de fraîche date, tu ne te refuses rien ! »

Il fit des yeux le tour de la table.

« On se demande où les gens prennent le fric ! Allez raconte ! »

Il tiqua soudain devant la bouteille couchée dans un berceau d'osier.

« C'est quoi ? »

Alan lui en servit un verre.

« Pomerol 61. »

Samuel y trempa les lèvres, hocha la tête avec respect.

« Combien ?

— Quarante-cinq dollars. »

Bannister s'étrangla.

« Tu te sens bien ?

— Sammy, est-ce que je peux te faire totalement confiance ?

— Certainement pas ! Maintenant, écoute-moi… C'est la panique dans la boîte, j'ai vingt minutes à t'accorder, pas une de plus. Accouche !

— Oui ou non, Sammy, es-tu capable de la fermer ?

— Tu sais bien que non ! »

Alan sortit avec raideur une enveloppe décachetée de sa poche.

« Lis. »

Bannister repéra instantanément le cachet de la banque.

« Si tu m'as fait traverser la ville pour un découvert minable, je pique une crise de nerfs !

— Lis ! »

Samuel déplia le formulaire et parcourut rapidement les deux lignes qu'il contenait.

« NOUS VOUS INFORMONS QUE NOUS PORTONS A VOTRE CRÉDIT LA SOMME DE 1 170 400 DOLLARS. »

Avec indifférence, il laissa retomber le morceau de papier sur la table.

« Tu crois que je peux commander un hamburger sans passer pour un paysan ? »

Il s'empara du plat de crudités posé sur la table, croqua un radis, étala une pellicule de beurre sur une tranche de pain noir, la porta à sa bouche. Le silence d'Alan l'alerta. Il suspendit son geste.

« Qu'est-ce qu'il y a ? »

Alan le foudroya du regard.

« La Hackett me vire plus d'un million de dollars et tu me demandes ce qu'il y a ! »

Bannister haussa les épaules.

« Et moi, j'ai dîné hier soir avec le pape. Hé ! vieux. Réveille-toi… Le mois dernier, j'ai reçu une note de téléphone de 800 000 dollars. Tu t'imagines que je l'ai payée ? Ça arrive tous les jours, ce genre de connerie… Qui les prend au sérieux ? 1 170 400 dollars !… J'achète un harem et je m'installe dans une piscine de whisky jusqu'à la fin de mes jours !

— Tu ignores un détail, articula Alan sombrement. L'argent est réellement à mon compte. »

Bannister éclata de rire.

« D'accord. Je t'envoie une fourgonnette blindée !

— Ils me l'ont versé ! » s'entêta Alan.

Pour la première fois, Bannister remarqua son visage crispé, son teint pâle.

« Alan…

— Depuis huit jours, je me cassais la tête pour savoir comment payer la pension de Mabel ! J'étais à découvert de 372 dollars ! Tout à l'heure, je me suis rendu à deux succursales de la Burger. J'ai pris 500 dollars dans la première 1 000 dans la seconde. On me les a donnés sans broncher. Alors, gros malin, comment tu expliques ça ?

— Je ne l'explique pas, dit Samuel, pour la bonne raison que c'est impossible. »

Alan exhiba brusquement une liasse de billets :

« Et ça, c'est des haricots ? Je te dis que j'étais à sec ! Je n'ai même pas réglé mon loyer !

— Impossible ! s'entêta Samuel. Ce que tu racontes ne correspond à rien.

— N'empêche que le fric est à ma banque !

— C'est toi qui le dis !

— Il y est !

— Tu es leur client, ils te connaissent… Pour 1 500 dollars, ils ne se sont pas donné la peine de vérifier. Des broutilles ! »

Alan lui brandit rageusement sous le nez l'avis de crédit.

« 1 170 400 dollars, des broutilles ?

— On ne te les a jamais virés, Alan. Je refuse de le croire.

— Je pourrais te tuer ! » gronda Alan.

Bannister eut un sourire faux jeton.

« Après tout, tu as peut-être raison… A ta place, je retournerais à la Burger et je me ferais payer 20 000 dollars. S'ils te les lâchent, je me mettrai à croire aux miracles… Tu as vu l'heure ? »

Il se leva, fit tomber sa chaise, tourna les talons, s'immobilisa. S'appuyant des deux mains sur la table, il regarda Alan bien en face et prononça d'une voix changée :

« La tête sur le billot, Alan, ton histoire est bidon. Je voudrais que tu me dises une chose. Puisque tu le sais aussi, pourquoi tout ce cinéma ? »

Alan grimaça une moue de désarroi enfantine. Il se mordilla les lèvres.

« Franchement, Sammy, je me le demande. »

Il leva la tête et jeta d'un air buté :

« Je n'en sais foutre rien mais je vais le faire quand même ! »

CHAPITRE 5

S'aidant de ses orteils, Marina envoya valser ses sandales. Elle avait fait le trajet à pied entre l'atelier de Harry et l'appartement d'Alan. Elle était en nage et décolla d'un revers de main les cheveux que la transpiration avait collés à son front. Tout en traversant la pièce, elle posa ses clefs dans un cendrier, jeta son sac sur le fauteuil, ôta sa blouse, dégrafa son jean mais dut marquer une pause pour le faire glisser le long de ses jambes tant il était serré. Elle fut nue. Première étape, la cuisine. Elle ouvrit la porte du réfrigérateur, eut un sourire attendri en voyant les deux bouteilles de lait. Alan détestait le lait. Malgré son départ, il avait eu l'attention de penser à elle. Elle décapsula une bouteille, but au goulot avec avidité. Elle retourna dans le living, ouvrit son sac et en tira le chapeau de paille d'où s'échappa la paire de gants de chevreau noirs. La chaleur était trop accablante pour mettre les gants. Elle jucha le chapeau sur sa tête, ouvrit la fenêtre : l'air de l'extérieur était encore plus brûlant. Elle passa dans la salle de bain, supputant l'instant où l'eau froide allait gicler sur son corps. Elle ouvrit le robinet : rien. Elle se rendit dans la cuisine, procéda à la même opération au-dessus de l'évier : toujours rien. Elle quitta son chapeau, ramassa ses gants, roula le tout en boule dans son sac, enfila son jean, remit son corsage, chaussa ses sandales, reprit ses clefs dans le cendrier. Elle aimait bien Alan, mais sa passion pour lui n'allait pas jusqu'à se priver d'une douche lorsqu'elle en avait envie. Elle se demanda chez qui poser provisoirement ses pénates. Elle réfléchit quelques secondes, consulta son carnet d'adresse, décrocha le téléphone et composa un numéro.

Arnold Hackett se prélassait en robe de chambre de soie mauve sur un divan bas, dans l'appartement de Poppie dont il payait le loyer depuis bientôt deux ans. Il réglait aussi d'autres factures pour Poppie. A commencer par les coûteuses études universitaires de son frère Peter, qui voulait être architecte. Sans parler des 2 000 dollars qu'il lui allouait pour ses frais chaque mois. Il songea avec une indulgence amusée que Poppie était toujours à court d'argent. Elle le grondait parfois de ne pas venir plus souvent la voir. Arnold en était attendri, mais les affaires lui laissaient peu de temps.