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« Non, Arnold, non… Restez assis sagement. »

Elle voulut le repousser. Il s'abattit sur elle, les yeux grands ouverts, le visage figé. Mort. Elle hurla.

CHAPITRE 29

Dès que sa voiture pénétra dans le centre, Alan reçut le choc de New York en plein visage. L'air, la chaleur, la brunie, la stridence de New York… Une ville qui lui était familière, mais qu'il ne reconnaissait plus. On était dans l'après-midi du 30 juillet. Il l'avait quittée le 25 au matin. Cinq jours avaient suffi pour que le temps, dans une accélération prodigieuse, se dilate jusqu'à contenir une multiplicité d'actions que cinquante ans de sa vie ordinaire n'auraient pu absorber. Ces cinq jours d'amour, de mort et de puissance, avaient métamorphosé la chenille en papillon. Un cours d'histoire naturelle pris sur le vif, à la source. Trop tard désormais pour être innocent.

« Vous m'attendez. Dès que j'arrive, nous repartons pour l'aéroport. »

Il considéra pensivement la façade de la banque. Cent ans plus tôt, le 23 juillet, suant de frousse, il avait encaissé derrière ces murs son premier chèque de 500 dollars. Il gravit les huit marches du perron, traversa le hall et se rendit directement au service bourse où se pressaient les petits porteurs venus vendre leurs titres Hackett 20 dollars l'un. Il avisa un huissier qui canalisait les visiteurs.

« M. Fischmayer m'attend. Je m'appelle Alan Pope. »

Trente secondes plus tard, il pénétrait dans le luxueux bureau du fondé de pouvoir principal de la Burger. Abel Fischmayer déplia ses deux mètres et s'avança, la main tendue.

« Fischmayer, enchanté.

— Pope, ravi. »

Ces préliminaires achevés, Alan se racla la gorge et sortit de sa serviette le document par lequel Arnold Hackett lui consentait la cession de ses 6 millions d'actions.

« Monsieur Fischmayer, voici 6 millions de titres Hackett. Je vous les verse pour souscrire à l'O.P.A. que vous avez lancée. »

Le fondé de pouvoir lut le papier, le tourna et le retourna entre ses mains.

« Fort bien, monsieur Pope… Fort bien.

— Ces titres représentent une somme de 120 millions de dollars. J'en dois 70 à votre établissement. Je vous prie donc de me verser la différence, soit 50 millions de dollars.

— Voulez-vous prendre un verre, monsieur Pope ?

— Désolé, mon avion m'attend. Je dois repartir.

— En France ?

— Puis-je avoir mon chèque, je vous prie ?

— Certainement », dit Fischmayer avec une moue pincée.

Il fit jouer la sécurité du tiroir central de son bureau et produisit le petit rectangle bleuté maison.

« Si vous voulez bien vérifier… »

Alan s'en empara avec calme. Le chèque était libellé à son nom et mentionnait, en chiffres et en toutes lettres, la somme extravagante de 50 millions de dollars que paraphait la signature de Fischmayer assortie de celles des deux autres fondés de pouvoir, illisibles.

Abel lui jeta un regard hautain et froid. Alan sut alors que, lui aussi, avait appris qui il était.

« Au revoir, monsieur, dit Alan.

— Au revoir, monsieur », répondit Fischmayer.

Ils ne se serrèrent pas la main.

Quand Alan fut installé dans son appareil, il boucla sa ceinture, se fit apporter une coupe de champagne par une hôtesse et tira deux bouffées d'une cigarette avant que n'éclate le vrombissement des réacteurs. L'idée qu'il était le seul passager d'un Boeing le fit sourire. L'avion prit la piste pour décoller. Alan cala sa tête sur le dossier, ferma les yeux et se laissa envahir par l'image de Terry.

Elle n'avait peut-être pas la classe de Mandy de Saran, mais elle lui plaisait. Ses formes rondes, son sourire jovial, les deux fossettes de son menton sous le casque de ses cheveux noirs étaient allés droit au cœur de Bannister.

« Où avez-vous appris à parler anglais, Clarisse ?

— A Londres. J'étais gouvernante chez un couple de marchands de tableaux.

— Beaucoup d'enfants ? »

Clarisse pouffa.

« C'était deux hommes ?

— Vous travaillez au Palm Beach depuis longtemps ?

— Un mois. Jusqu'à la fin de la saison. Plus pour passer le temps que pour autre chose. Je m'ennuie un peu chez moi. Mon mari est anglais. »

Elle parcourut la suite des yeux avec un regard appréciateur.

« Et vous, qu'est-ce que vous faites, monsieur Bannister ?

— Je dirige une entreprise de produits pharmaceutiques, répondit froidement Samuel. A New York. Vous voulez boire quelque chose ?

— Pas pour le moment. Vous restez longtemps à Cannes ? »

On n'en était pas encore aux serments, mais partie comme c'était, dans cette complicité naissante, l'affaire se présentait bien. Samuel l'avait repérée dans les lavabos du Palm Beach. Elle était assise sur une chaise, lisait Vogue et écoutait distraitement le tintement des pièces de monnaie que jetaient les clients dans la soucoupe. L'absence de bruit l'avait alertée quand Bannister était sorti du lieu dont elle était la gardienne. Elle lui jeta un regard sévère. Il y répondit en désignant le billet de dix francs qu'il avait déposé dans l'assiette. Ils se sourirent. Les grandes passions ne s'instaurent souvent que sur des détails aussi minuscules. Sans trop de chichis, elle avait accepté de prendre un verre chez lui.

« Mettez-vous à l'aise, Clarisse… »

Elle n'avait sur elle qu'une légère robe de cotonnade dont l'étoffe, tendue au niveau de la poitrine, laissait deviner l'aréole de ses seins. Samuel se racla la gorge, détourna les yeux. Mis à part la duchesse qui s'était jetée sur lui, il n'avait eu aucune aventure en vingt-cinq ans de mariage. Christel avait progressivement étouffé, par un lent travail de sape conjugal, ses velléités de séducteur. Néanmoins, par une espèce de pudeur obscure, il glissa dans un tiroir le portefeuille qu'il gardait sur son cœur et qui contenait, entre deux cartes de crédit, la photo de sa femme.

« C'est un joli nom, Clarisse…

— Vous trouvez ? »

Ils étaient assis, face à face, sur deux fauteuils. Désespérément, il essaya de retrouver dans les arcanes de sa mémoire les gestes qu'il avait accomplis jadis, ceux qui permettaient de franchir l'espace séparant la neutralité d'une chaise de la tiédeur affolante d'un lit. Sa main droite pesait dix tonnes. La gorge serrée, il la souleva et la rapprocha du bras de Clarisse. Quand elle n'en fut plus qu'à cinq centimètres, on frappa à la porte : le charme était rompu, tout était à refaire !

Il se leva, furieux, et alla ouvrir. Une jeune fille se tenait dans l'encadrement. Elle avait des cheveux blond cendré, des yeux gris, et était vêtue sans recherche d'un jeans délavé et d'un tee-shirt blanc trop large.

« J'ai dû faire une erreur… s'excusa-t-elle. On m'avait dit qu'un de mes amis résidait au 751…

— Quel ami ?

— Alan Pope.

— C'est bien son appartement… maugréa Samuel.

— Je m'appelle Terry. »

Ainsi, c'était d'elle que Alan était tombé amoureux !

« Il n'est pas là… dit Bannister d'un air hostile.

— Savez-vous quand il reviendra ?

— Il est en voyage. Je suis son ami. Bannister.

— Le reverrez-vous ?

— Il doit revenir mais je ne sais pas quand.

— Pouvez-vous lui remettre une lettre ? »

Elle la tendit. Samuel la prit avec méfiance entre le pouce et l'index.

« C'est très important… murmura-t-elle.

— Vous pouvez compter sur moi… dit Bannister. Je la lui donnerai dès que je le verrai.