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— Mon mari est arrivé chez vous la tête haute, je ne vois pas pourquoi il en ressortirait en se cachant ! »

Seule concession qu'il avait pu lui arracher, les appariteurs ne seraient pas revêtus de leurs traditionnels vêtements noirs, le prêtre viendrait en civil, une petite valise à la main emplie de ses attributs sacerdotaux. Les stores de la chambre étaient tirés. Quelques bougies brûlaient çà et là. Par la fenêtre ouverte, pénétraient des bribes de la rumeur joyeuse des vacances.

« C'était un homme remarquable… » dit Hamilton Price-Lynch.

Il reçut de Sarah et d'Emily le même regard dépourvu d'aménité qui lui était dévolu chaque fois qu'il ouvrait la bouche devant elles. Il songea qu'il n'aurait plus à les supporter longtemps.

« Ton père passait dans le couloir… Il a entendu un hurlement… Une femme venait de s'ébouillanter accidentellement en prenant sa douche… Elle a ouvert la porte à la volée en demandant de l'aide… Ton père est entré… Son cœur à lâché… » glissa Victoria à Gertrud en répétant la version pieuse que lui avait fourni Gohelan pour justifier la présence d'Arnold Hackett dans la chambre de Marina. Gertrud eut un regard froid pour la créature blonde qui se tenait dans l'angle, mains derrière le dos, aux côtés de Lou Goldman qui entourait d'un bras protecteur les épaules de Julie, sa femme.

« Je crois que vous étiez une amie du disparu ?… chuchota le producteur à l'oreille de Marina. Vous rentrez en Amérique pour les obsèques ?

— Non, non… Je suis simplement revenue pour chercher une jupe bleue que les femmes de chambre m'ont égarée dans le déménagement…

— Vous l'avez retrouvée ?

— Non. C'est bête, j'y tenais…

— Je prépare un immense film sur la vie de Marilyn Monroe… Vous avez quelque chose dans le visage qui…

— Tout le monde me le dit.

— Avez-vous déjà fait du cinéma ? »

Dans un coin, Richard sanglotait. La mort de son patron lui conférait soudain la qualité de membre de la famille. Olivia, la femme de chambre de Victoria Hackett, reniflait dans un mouchoir. Un peu plus loin, la tête baissée, le duc de Saran étreignait la main de la duchesse. Il avait tenu à cette visite de courtoisie avant la levée du corps. Le garçon d'étage du septième s'était mêlé à l'affliction générale. Hackett l'avait toujours fasciné par son avarice. Jamais un sou de pourboire, un mot de remerciement.

« Vous perdez là un maître épatant… » chuchota-t-il à l'oreille de Richard qui s'étouffait dans ses larmes. Conduite par Gohelan, une délégation d'hommes en blouse blanche se faufila dans la pièce. Le prêtre, en pantalon de flanelle et chemise parme, passa rapidement sa soutane dans la salle de bain.

Pas de discours bien entendu, moins encore d'office. Une courte prière suivie d'une bénédiction. Les hommes en blanc refermèrent le couvercle de la bière. Victoria s'effondra dans les bras de sa fille. Gohelan se précipita dans le couloir, fit un signe discret à un maître d'hôtel en faction vingt mètres plus loin, revint dans la chambre et d'un geste impérieux, ordonna aux appariteurs de se hâter. Ils soulevèrent le cercueil et l'emportèrent. Retentit un bruit infernal de marteau-piqueur. Pour éviter qu'un de ses clients ne se trouve nez à nez avec le cortège, Gohelan avait imaginé de faire boucher l'extrémité du couloir à la hauteur de l'ascenseur par deux ouvriers censés faire un trou dans le parquet. Au pas de course, il ne fallait que vingt secondes pour atteindre le monte-charge de l'escalier de service. Les appariteurs s'y engouffrèrent. Dès qu'ils eurent disparu, le marteau-piqueur cessa miraculeusement de fonctionner. Avec un soupir de soulagement, Gohelan retourna dans la chambre pour réconforter la veuve et l'orpheline. Les appariteurs descendirent jusqu'au sous-sol, traversèrent le hall qui menait à la cantine des employés et déposèrent le cercueil dans la menuiserie. Tout était prêt pour le recevoir. On le plaça sur un établi. Deux menuisiers l'entourèrent rapidement d'un coffrage de planches. Les planches posées, rien ne pouvait laisser supposer ce qu'elles cachaient.

Cinq hommes en salopette bleue s'en emparèrent et prirent la sortie de service qui débouchait à l'arrière de l'hôtel dans la rue Saint-Honoré. On les chargea dans une fourgonnette blanche dont le chauffeur referma les portes.

Certes, la rumeur de la mort de Hackett s'était répandue dans Cannes. Mais la direction du Majestic pouvait mettre quiconque au défi d'avoir vu un cercueil se balader dans l'hôtel en période de grandes vacances.

Il n'est pas possible qu'elle ne vous ait rien laissé pour moi !

Tony acheva d'essuyer son verre tout en louchant sur la Rolls garée devant le restaurant.

« Je le saurais, dit-il sobrement.

— Et son amie ? insista Alan. Lucy ? Lucy comment ? Vous savez son nom ?

— Non. Elle va souvent chez des amis anglais, au-dessus de Vence, je crois…

— Comment s'appellent-ils ?

— Je l'ignore. Beaucoup de gens passent chez moi. Allez savoir…

— Donnez-moi un whisky, sec, sans glace. »

Terry avait disparu ! Aucune trace de son passage nulle part. Evanouie… Volatilisée… Au Majestic, Bannister n'avait vu personne.

« Je ne crois pas qu'elle revienne, dit Tony en poussant un verre vers Alan. Je l'ai vue partir avec toutes ses affaires. Pas grand-chose, mais un grand sac de marin.

— Partie comment ?

— En taxi.

— Vous vous souvenez de la voiture ?

— Non.

— Vous auriez pu connaître le chauffeur ? Peut-être est-ce un type qui travaille à Juan ?

— Je n'ai pas fait attention. »

Ils devaient se retrouver chez elle et partir immédiatement sur le Victory II qu'il n'avait pas encore utilisé, sinon pour y coucher deux nuits à quai. Une brève croisière en Corse…

« Je m'appelle Pope, dit Alan. Alan Pope. Si vous la revoyez, dites-lui que je l'attends… Je suis à Cannes, au Majestic… D'ailleurs, elle le sait… »

Tony lui coula un regard en biais. Ce n'était pas la première fois qu'il avait affaire à des amoureux en détresse. Son restaurant était un des hauts lieux du Tout Juan fauché. Entre deux pastis, il était informé de toutes les peines de cœur de ses clients. Sauf qu'ils venaient à pied, à vélo ou à mobylette, mais pas en Rolls.

« Qu'est-ce qui a pu se passer ? » rêva Alan à voix haute.

Il avait trouvé porte close. Pas un mot, rien. Il acheva son verre.

« Vous n'oublierez pas ?

— Pope, Majestic, c'est gravé ! » dit Tony en raflant le billet abandonné sur le comptoir.

Alan ressortit dans la rue, considéra la façade, repéra les fenêtres closes du studio où il avait connu avec elle ce qu'il ne retrouverait jamais.

« Où allons-nous, monsieur ? interrogea Norbert en lui tenant la portière.

— Où vous voudrez, dit Alan avec accablement. Cela n'a plus d'importance. »

LIVRE V

CHAPITRE 30

Le 6 août, deux jours après la clôture de l'O.P.A., Alan fit arrêter sa voiture dans la 42e Rue. New York était gluant de chaleur poisseuse. Il franchit le seuil du Rilford Building, traversa le hall et monta dans l'ascenseur qui s'arrêta au trentième étage. Il était dix heures du matin. Dans une heure, il devait se présenter devant le conseil d'administration de la Hackett Chemical Investment pour s'y faire élire président. Avec les 60 p. 100 des titres en sa possession, la cérémonie d'investiture n'était qu'une simple formalité. Dans le couloir, il retrouva les odeurs et les bruits familiers qui avaient marqué l'achèvement de sa première vie. Il croisa quelques collègues de travail qui le saluèrent d'une façon bizarre, presque furtive. Il en fut étonné. Tout le monde devait savoir pourtant qu'il avait pris le contrôle de la firme. Il poussa la porte du bureau 8021. Pendant quatre ans, il y avait rêvé d'autre chose. Bannister ôta précipitamment les pieds de sa table.