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— En 2001, Muriez répond à une annonce pour bosser dans les égouts, enchaîna Casu. Il a 22 ans, il est costaud, en bonne santé, le noir ne lui fait pas peur. Malgré son enfance chaotique, il n’a pas de casier judiciaire. Un gars propre, en apparence. Évidemment, personne ne creuse ni ne s’intéresse à son passé psychiatrique. Et le voilà sous terre, dans les tunnels sombres.

— Il se sent là comme un poisson dans l’eau, fit Sharko. Les rats, l’obscurité, la solitude…

— Tout cela lui correspond bien. Qui sait ce qu’il fait réellement, là-dessous ? Il travaille sans faire de vagues durant des années, jusqu’à ce fameux procès et sa rencontre avec Crémieux qui fait tout basculer.

Il soupira et fixa le tableau où se tenait le schéma avec les flèches.

— À l’évidence, Hervé Crémieux, lui-même tombé sous l’emprise de l’Homme en noir, a recruté Muriez pour en faire son bras armé. Un exécuteur silencieux, efficace, dépourvu de sentiments. Un tueur qui connaît les égouts par cœur, qui enlève des clochards et les enchaîne. Qui va jusqu’en Pologne pour éliminer une famille. Qui…

Les relents des carrières souterraines le muselèrent. Il soupira, puis s’approcha du tableau et nota, sous « Homme-oiseau », « Christophe Muriez ». Sous « Homme en noir », Josh Ronald Savage. Puis il fixa la photo de Muriez avec un aimant. Il regarda le visage avec une haine indicible dans les yeux. Sharko, lui, observait la photo de Josh Ronald Savage.

— J’attends l’aval du parquet qui doit arriver d’une minute à l’autre, et on fonce sur Massy. C’est là que Muriez crèche, aux dernières nouvelles. On va coincer ce fils de pute, et on espère qu’il en sera de même pour Savage, dans la foulée.

La porte du bureau s’ouvrit à ce moment-là. Le divisionnaire et Alexandre Jacob entrèrent, le visage grave. Lamordier referma derrière lui, prit son inspiration et lâcha d’un coup :

— Nos réjouissances de ces dernières heures auront été de courte durée, malheureusement. Parce que les nouvelles ne sont pas bonnes. Pas bonnes du tout.

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Le numéro deux de la PJ et le scientifique prirent place au milieu de la pièce. Alexandre Jacob se racla la gorge avant de prendre la parole.

— Tout d’abord, Amandine Guérin va bien. Elle est toujours hospitalisée à Saint-Louis et reste évidemment en quarantaine, afin qu’on suive l’évolution de son état de santé.

Il mit ses poings sous son menton et réfléchit à la manière d’aborder le sujet, avant d’expliquer :

— Pour procéder dans l’ordre chronologique, voici ce qui s’est passé depuis la découverte du laboratoire clandestin, hier. Tout d’abord, Sébastien Sadouine, notre spécialiste de la peste, a autopsié en milieu d’après-midi l’une des puces infectées dans notre laboratoire haute sécurité de l’Institut Pasteur. Une manipulation délicate, qui lui a permis de constater le blocage dans le système digestif des insectes, dû à une prolifération anormale de bactéries. Il a fait un test pour colorer ces bactéries et les observer au microscope. La forme, la taille, la stratégie de la bactérie sur les puces ont tout de suite levé une très forte suspicion de Yersinia pestis. La peste que vous connaissez. Ensuite, nous avons eu un retour de l’entomologiste qui a analysé le type de puces. Il est formel : il s’agit de Xenopsylla cheopis, la meilleure vectrice de la peste. La candidate idéale pour optimiser le développement et la transmission de la bactérie mortelle. Mais c’est une puce capricieuse qui a besoin de son confort, elle ne survivrait pas dans des conditions autres que celles où on les a découvertes : chaleur et forte humidité.

— De quelle région viennent ces puces ? demanda Franck.

— Il n’y a pas de localisation précise, on en trouve dans différents pays, sur différents continents, partout où les conditions d’hygrométrie et de température sont respectées. Les bactéries extraites du système digestif de ces puces ont été amenées au laboratoire de microbiologie de l’hôpital Saint-Louis, peu de temps avant que vous passiez me voir, cette nuit. Ils disposent là-bas d’un outil formidable, un spectromètre de masse capable d’analyser les caractéristiques de nombreuses bactéries. Les résultats sont arrivés très tôt ce matin. C’est bien elle. La peste.

Sharko dut s’asseoir sur un bureau, sous le choc : des hommes, des fous, des monstres, voulaient répandre la peste dans la population. Jacques Levallois arriva à ce moment-là. Il s’installa, salua l’assemblée d’un bref mouvement de tête et s’assit à sa place. Plongé d’emblée dans le bain.

— Les résultats fournis par le spectromètre de masse permettent de typer exactement la souche. Comme pour la grippe, toutes les souches connues de la peste sont référencées depuis des dizaines d’années. On sait d’où vient la bactérie qui a contaminé ces rats et ces puces : Madagascar. Vu l’origine, je pense que le microbe n’est pas sorti d’un laboratoire, mais que Josh Ronald Savage — nous pouvons désormais lui donner un nom — est allé directement le prélever sur un malade. Un villageois malgache qui a la maladie. Il n’avait qu’à lui prélever du sang, le conserver, faire quelques manipulations pour en extraire la bactérie, et le tour était joué. N’importe qui peut se rendre dans ces villages isolés et agir de la sorte. Il suffit d’une blouse blanche et de quelques connaissances en microbiologie…

— Un malade ? répéta Sharko. Vous êtes en train de nous dire que… que des personnes, sur cette planète, ont la peste ?

— Bien sûr. Tout comme des gens ont Ebola. Ces microbes n’ont jamais disparu. Le Congo, la Chine, même les États-Unis, notamment dans les réserves indiennes, rencontrent des cas de peste régulièrement. Elle sévit tous les ans sur l’île de Madagascar, c’est là que se trouvent les foyers les plus importants. Ces dix dernières années, on a recensé aux alentours de vingt mille cas mortels à travers le monde.

Jacob vit à quel point ses explications suscitaient l’incompréhension. Il justifia ses propos :

— Vingt mille, cela vous paraît trop peu de morts, n’est-ce pas ? Presque anodin devant la peur que la maladie suscite et dont très peu de gens savent qu’elle existe encore. Ce qui a tué des millions de personnes dans les périodes anciennes, c’est l’impossibilité de lutter contre la maladie. On ne la connaissait pas, on ignorait comment elle se propageait. N’oublions pas, de surcroît, les conditions sanitaires effroyables qui n’ont fait que disséminer la bactérie : la majeure partie de la population était pauvre, les hommes vivaient avec les rats et les puces, sans hygiène… Aujourd’hui, la peste est connue, surveillée. À Madagascar par exemple, tout le monde, des villageois aux agents de santé, sait que la peste est latente. Un malade connaît les symptômes, il est diagnostiqué et traité rapidement. Il existe même des vaccins, en trop petite quantité, malheureusement.

— Ce serait donc moins grave que ce qu’on pourrait imaginer si la peste venait à se répandre parmi nous ?

Jacob secoua la tête.

— Ne croyez pas cela. Dans les pays industrialisés, la peste est une maladie du passé. Aucun médecin ne serait capable de la diagnostiquer avant les premiers morts et, donc, avant qu’elle ait eu le temps de se répandre. La production de vaccins en masse prendrait des semaines. Josh Ronald Savage en est bien conscient. Il faut savoir qu’après une piqûre de puce la peste se développe sous l’une de ses trois formes : la peste bubonique, la peste septicémique ou la peste pulmonaire. Il n’y a pas vraiment de règles qui dictent quel type de peste se développe chez tel ou tel individu, juste des probabilités. La bubonique tue dans 40 à 70 % des cas, les médecins n’y verraient que des infections ou des kystes, ils feraient partir des prélèvements, mais on ne chercherait pas là où il faut. On ne trouverait pas la bactérie de sitôt. C’est 100 % de décès pour la pulmonaire si on ne la traite pas dès les premiers signes. En France, en Europe, aux États-Unis, les gens en mourraient, parce que… parce que les médecins n’ont jamais appris à reconnaître la peste. Mais le pire, le pire… (il se passa une main sur le visage)… c’est que nos médecins assimileraient probablement la forme pulmonaire à une pneumonie virale ou à une grippe. Les symptômes sont très proches.