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— Là-bas !

Les deux flics réagirent au quart de tour et foncèrent dans la direction indiquée, les armes braquées.

— Bouge pas !

Mais le fuyard disparut entre deux montagnes de tôle broyée. Nicolas et Sharko firent demi-tour pour prendre l’allée par la gauche, à l’opposé des collègues qui se dirigeaient vers la droite. Les chemins de terre rouge s’étaient transformés en un enfer de boue avec les pluies des derniers jours. Sharko faillit perdre une chaussure. Des morceaux de métal, de verre, des pans de pare-brise en miettes encombraient le passage. L’ombre apparut entre deux replis de tôle et se faufila dans une autre allée. Nicolas se rua à ses trousses, rageant de ne pas avoir d’arme, Sharko coupa transversalement. Il vit deux des flics à l’autre bout et leur fit un signe de la main.

Le type qui avait lâché le chien apparut au milieu d’une autre allée, s’extirpant d’une carcasse. Un gros bonhomme en marcel, barbe épaisse, chaussures militaires. À bout de souffle. Il voulut faire volte-face mais les collègues arrivaient par le fond. Pris en tenaille, l’individu leva les bras.

— J’ai rien fait.

Avant que Nicolas arrive, les collègues de la BAC le plaquèrent au sol sans ménagement. Après le menottage, ils le relevèrent d’un coup sec par la peau du dos. Bellanger accourut, vite rejoint par Sharko.

— C’est pas lui.

Bellanger avança son visage à dix centimètres du fuyard.

— Où est ton neveu ?

Le gros hocha le menton vers le coin le plus reculé de l’immense casse, à l’autre extrémité.

— Il crèche là-bas.

[102]

Nicolas et Franck ne perdirent pas une seconde, ils reprirent leur course, passèrent entre les voitures pour se retrouver dans une allée étroite. Un bus couché sur le flanc, broyé à l’avant, avait été désossé, jusqu’aux câbles électriques qui couraient dans les gaines du plafond. Comme dans un labyrinthe, ils apercevaient de temps en temps la tête des équipiers, se guidaient par signes, par courtes phrases. Sharko haletait, l’arme serrée dans le poing, enjambant les flaques, vérifiant d’un rapide coup d’œil chaque recoin, chaque trouée dans cet environnement sordide. Le coup de feu avait dû alerter Muriez.

Des parois de carcasses empilées s’élevaient, comme une barrière infranchissable. Une vraie muraille de Chine version métal compressé, percée d’une ouverture : un espace de la taille d’une entrée de maison, barricadé par une portière de bus. Les flics peinèrent à se frayer un passage, y allèrent à coups de bélier pour défoncer les chaînes cadenassées qui bloquaient l’issue, et s’y engouffrèrent. Le long mobil-home apparut au centre du cercle protecteur de véhicules entassés. Muriez s’était créé un cocon dans l’intimité de toute cette ferraille, un espace clos inaccessible où il devait se sentir bien. Rassuré.

L’habitation semblait encore plus crasseuse que celle de l’oncle. Le bas de caisse était au ras de la boue, les roues aux trois quarts enfoncées dans le sol. Les vitres étaient opaques, couvertes de la poussière rouge et grasse du dehors.

Des centaines d’objets traînaient autour, un amas de pneus, de bâches, de pièces en vrac, de vieux outils. Il y avait une bassine remplie d’eau noire, un chalumeau, des plaques métalliques courbées. Sharko aperçut, dans un coin, de grosses chaînes et des pots de peinture. À l’évidence, le matériel utilisé pour les quatre prisonniers des égouts.

Les hommes de la BAC les rejoignirent et prirent la tête. Ils défoncèrent la porte du mobil-home et entrèrent. Nicolas et Franck suivirent. Ils ne pouvaient pas tous tenir là-dedans. À l’intérieur, il y avait un capharnaüm innommable, le miroir d’un esprit malade et encombré. Un linoléum arraché, des piles et des piles de journaux, de vieux livres le long des parois et qui montaient au plafond, de façon à réduire la largeur du couloir à une cinquantaine de centimètres. La cuisine était quasi inaccessible, il avait dû y avoir un départ de feu, un jour, vu les traces noires sur les cloisons, les plastiques fondus. La nourriture collait aux casseroles entassées, une odeur rance saturait les narines. Au sol gisait une souris quasiment coupée en deux, le dos broyé par l’un des multiples pièges éparpillés à leurs pieds.

Un collègue revenait du fond de l’étroit couloir, devancé par son équipier.

— Il n’y a personne.

Les pièges à souris claquaient sous leurs pas lourds comme autant de bouches affamées. Sharko regarda Nicolas d’un air grave. Muriez n’avait pas été assez stupide pour venir se réfugier dans son antre en attendant d’agir, il se planquait ailleurs.

Tous durent retourner à l’extérieur pour que les deux collègues de la BAC puissent sortir. Ensuite Franck et Nicolas retournèrent à l’intérieur et progressèrent dans le couloir, l’un derrière l’autre. Ils évitèrent d’ultimes pièges avant d’arriver dans le petit salon. Une vieille télé, une radio, une table en ruine, de la menthe coupée. Accrochés au mur comme des trophées, les gants noirs avec les deux grandes lames courbées, impeccablement nettoyées, presque étincelantes. Sharko remarqua les vis, les boulons, les marques de soudure. Le travail avait dû être minutieux pour fabriquer ces armes mortelles.

À côté des gants, il aperçut un bocal avec un scalpel et de petites tranches de peau. Il regarda avec plus d’attention et remarqua les sillons digitaux : ce taré s’écorchait le bout des doigts.

— Il a l’air bordélique, mais il est organisé. Son esprit est structuré, précis, appliqué. Il sait exactement ce qu’il fait. Sinon, nous l’aurions coincé beaucoup plus tôt.

Il jeta un œil aux autres parties du mobil-home. Il y avait une grande carte de Paris contre une paroi. Et encore des piles d’ouvrages qui réduisaient l’espace au strict minimum. Même délire, même organisation dissimulée dans la désorganisation la plus complète. L’ordre au sein du chaos. Cet intérieur, c’était Muriez. La mise à nu la plus représentative de son esprit malade. Franck rejoignit Nicolas au salon.

— Visiblement, pas de trace de vivariums ou de puces. Mais il va falloir fouiller, ça va prendre des plombes à éplucher, tout ce merdier. Je me demande comment on peut mettre tant de choses dans un endroit aussi exigu.

Nicolas poussa un profond soupir, les mains à plat sur la table.

— Muriez est planqué quelque part avec ses puces, il a sans doute anticipé qu’on viendrait. Il se sait acculé, traqué. Crémieux n’est plus là pour le contrôler. Il va frapper dès qu’il le pourra, Franck. Ce soir, cette nuit, demain matin… Il va vouloir faire mal au plus vite, laisser sa marque, suivre le plan établi et aller au bout de sa mission, quoi qu’il arrive.

Nicolas s’était éloigné de la table et tournait à présent sur lui-même, scrutant les piles de papiers, les livres d’ésotérisme, de biologie, de médecine, les ouvrages religieux ou de satanisme en tout genre, empilés jusqu’au plafond.

— Il va vouloir donner un sens à tout ceci. À sa folie, à ses convictions. Ce qu’il s’apprête à faire, c’est l’aboutissement, le point culminant de sa vengeance sur la société.

Sharko fixa les deux gants meurtriers et poussa un profond soupir.

— Les réponses sont sûrement ici, dans son repaire. Ces vingt mètres cubes de tôle sont tout ce qu’il possède, ils sont sa vie. On doit trouver. On doit savoir où il va frapper.