Выбрать главу

— Je l’ai. Quand arrivent les autres ?

— Six hommes en renfort dans deux ou trois minutes. Des gens de Pasteur vont suivre, d’autres se rendent à l’hôtel pour s’occuper des puces. Ça commence à s’agiter ici, des gars de la sécurité discutent avec le physionomiste de l’entrée. Ils ne vont pas tarder à se pointer pour nous demander des explications.

— Merde, il bouge ! Amène-toi au niveau du bar !

Levallois le rejoignit, pas déguisé. L’Homme-oiseau s’était décalé vers un autre poteau pour changer d’angle de vue, de l’autre côté de la piste, à une vingtaine de mètres. Les deux policiers étaient cachés dans un renfoncement.

— Si on fait quoi que ce soit, on risque de créer un mouvement de panique ! hurla Levallois à l’oreille de Nicolas.

— Pas le choix. Il observe, il va frapper d’un moment à l’autre. Si dans une minute il n’y a personne, on lui saute dessus. On le prendra par surprise.

Les deux hommes attendirent, à l’affût. Chaque seconde qui s’écoulait était un calvaire. Soudain, l’Homme-oiseau avança au milieu de la piste.

— On fonce !

Nicolas s’élança sur le côté du bar, longea les murs, et Levallois suivit. Ils passèrent derrière les fauteuils, à l’endroit où circulaient les serveurs. La musique tambourinait. Les verres se remplissaient. Sous l’effet des stroboscopes, masques et costumes semblaient flotter dans l’air comme des spectres. Dans ce chaos, Levallois remarqua qu’au niveau de l’entrée de la salle des types s’engouffraient en nombre dans le couloir. Les équipes étaient peut-être en train d’arriver et de se démener avec le service de sécurité.

— Je crois que les renforts arrivent !

Mais Nicolas n’écoutait pas, il descendit quelques marches, se fraya un chemin sur la piste pour se placer juste derrière l’Homme-oiseau, qui portait une capuche noire au-dessus de son masque, et qui restait immobile. Les deux flics n’étaient plus qu’à deux mètres. Ils s’échangèrent un regard et se jetèrent sur la cible.

En une fraction de seconde, Jacques lui avait passé une main autour du cou et l’écrasait au sol, tandis que Nicolas lui tordait le bras droit pour le plaquer dans son dos. L’homme fut menotté dans la foulée. Il y eut des cris, des verres cassés, un mouvement de foule qui se propagea autour d’eux comme une onde à la surface de l’eau.

— Dégagez ! hurla Levallois. Reculez ! Reculez !

Jacques essayait de gérer les flux. Nicolas en profita pour soulever le bas du blouson de Jacques et lui arracher l’arme glissée entre sa ceinture et son pantalon. Une fois le Sig récupéré, il l’écrasa sur la pomme d’Adam du suspect qu’il venait de retourner.

— Nicolas ! Fais pas le con !

Bellanger haletait, la sueur lui coulait dans les yeux. Les sons arrivaient déformés à ses oreilles, plus graves, plus lents. Son index tremblait sur la détente, tandis qu’une fille hystérique beuglait juste derrière lui. Nicolas n’avait qu’un geste à faire. Appuyer. Il revit Camille, crucifiée sur le rail. Comme venant de très loin, il devinait les hurlements de son partenaire qui lui intimait de ne pas appuyer. La foule s’écarta, tandis que d’autres flics arrivaient en groupe.

Levallois venait de se mettre à genoux devant lui et tendait la main, réclamant l’arme.

— Gâche pas tout…

Nicolas le regarda dans les yeux, au bord des larmes. À bout, il trouva la force d’ôter l’arme de la gorge de l’individu et de lui arracher le masque d’oiseau.

Il eut l’impression qu’une grenade lui explosait dans le ventre.

— C’est pas lui, putain !

Jacques Levallois lui arracha le pistolet des mains et constata lui aussi leur erreur. Ils s’étaient trompés. Nicolas se redressa difficilement, comme sonné, et aussi paniqué que pouvaient l’être les gens autour de lui. L’homme au masque d’oiseau qu’ils venaient d’interpeller était tétanisé, incapable de parler. Aussi blond que Muriez était brun.

Nicolas tournait sur lui-même, comme pris dans un tourbillon infernal. Les flashs, les bourdonnements, la foule, tout lui tapa sur le système. Il manquait de souffle, leva les yeux au ciel comme pour attraper de l’air, et alors il l’aperçut, tout là-haut, penché au-dessus de la rambarde du deuxième étage.

Nicolas tendit le doigt, observa le visage pétrifié de ses collègues qui levaient les yeux pour découvrir l’Homme-oiseau au-dessus d’eux. Ils se mirent à fendre la foule vers les escaliers en criant.

Puis tout se déroula comme dans un film au ralenti. L’Homme-oiseau écarta les mains, deux sacs transparents retournés et ouverts au bout des doigts. Nicolas devina les milliers de particules noires qui se répandaient dans l’air comme de la poussière de charbon, qui tombaient devant le souffle des ventilateurs incrustés dans les murs pour se disperser jusqu’aux plus profonds recoins de la boîte de nuit et pour retomber, invisibles, dans les chevelures, sur les nuques, les épaules des fêtards.

Un grand voile noir venait de s’abattre sur l’établissement.

Puis l’oiseau grimpa debout sur la rambarde, écarta les bras et prit son envol.

Il s’écrasa dix mètres plus bas, la tête la première.

[113]

Mardi 3 décembre 2013

Sharko et Casu apprirent la nouvelle par téléphone onze heures plus tard, dans le hall de l’aéroport international Guarulhos, à São Paulo, à 4 h 12 du matin, heure locale.

Christophe Muriez était mort, mais il avait eu le temps de lâcher des milliers de puces dans une grande boîte de nuit parisienne. Des scientifiques de Pasteur et de l’IVE continuaient à évacuer au compte-gouttes les mille cent douze personnes présentes à ce moment-là dans l’établissement. Toutes les issues avaient été verrouillées, sécurisées avec de l’insecticide, et quatre douches de désinfection avaient été gonflées dans le hall menant à La Spirale, là où les gens avaient fait la queue la veille. Une procédure extrêmement lourde de suivi médical allait se mettre en place. Même si la presse s’agglutinait déjà rue de Rivoli, on n’avait pas encore prononcé le mot « peste ». Mais le brasier médiatique n’allait pas pouvoir être contenu bien longtemps.

Le drame avait pu être évité, même s’il s’en était fallu de peu. Sharko songeait encore aux images effroyables des webcams. Qui savait ce qui se tramait en ce moment même, ailleurs dans le monde ? Qu’est-ce que ce serait, la prochaine fois ? Il fallait en finir au plus vite. Arrêter l’Homme en noir et éteindre, petit à petit, toutes les mèches qu’il avait allumées.

Après les contrôles de sécurité et la récupération des bagages, les deux policiers rejoignirent trois de leurs homologues brésiliens qui les attendaient à l’arrivée des voyageurs. Les présentations furent rapides. Le commandant Eduardo Fagundes, épaisse moustache noire et cheveux très courts, était un homme de poigne, solide dans son uniforme bleu nuit marqué de l’insigne « Polizia ». Il leur annonça sans détour que les ordres étaient d’agir immédiatement vu ce qui se passait en ce moment en France, rue de Rivoli. Tamboré 0 se situait à une cinquantaine de kilomètres de l’aéroport, dans la banlieue nord-est de la ville. Il leur annonça également que, d’après leurs services secrets et une image satellite, le véhicule de Josh Ronald Savage avait franchi les portes de la résidence sécurisée une vingtaine d’heures plus tôt, pour ne plus en sortir.

Les policiers embarquèrent dans une voiture de police qui en suivait quatre autres. En route, Sharko consulta les messages de son téléphone. Tomeo, l’informaticien, ne l’avait toujours pas contacté concernant le mot de passe permettant l’accès à l’identité de l’Homme en noir.