Elle marqua une pause.
— Et, s’il vous plaît, attrapez le responsable de cette abomination.
— C’est ce à quoi nous nous employons. Merci pour ces explications claires.
Amandine acquiesça en silence.
— Bon, de mon côté, je serai assez bref, enchaîna Nicolas. On a conscience que Séverine Carayol est un nœud important de l’histoire, on s’est focalisés sur elle. Malheureusement, pour le moment, l’analyse de son téléphone portable et celle de son ordinateur ne donnent pas grand-chose. Le journal des appels du portable indique, sur les mois derniers, un contact régulier avec un 06 qui, après vérification, n’est relié à aucun abonnement. En d’autres termes, son propriétaire, que l’on suppose être le fameux « Lambart », est intraçable. Pas de photos de lui, pas de pistes. L’analyse des liens Internet, des fichiers et des mails est encore en cours, mais rien de flagrant pour le moment. Carayol avait très soigneusement cloisonné sa vie personnelle et professionnelle et, de son côté, Lambart semblait s’être bien protégé.
Amandine écoutait avec attention. Ça n’était pas étonnant venant de Séverine, cette discrétion. Une fille invisible, timide. Elle n’arrêtait pas de se demander comment ce « Lambart » avait pu l’aborder. De quelle façon avait-il mis le grappin sur elle ? Amandine réfléchissait, se disait qu’il l’avait forcément observée avant de l’accoster dans un bar, qu’il était au courant qu’elle était laborantine. Elle pensait à un requin tournant autour de sa proie, un prédateur qui avait attendu le moment opportun pour agir.
— … Le légiste a mis en évidence un empoisonnement, avec un composé qu’il est facile de se procurer. Les chocolats sont ordinaires, le dépôt du cyanure à l’intérieur est assez technique, « bien fichu », d’après l’expert. On continue à interroger les voisins, la famille, on se met en rapport avec les contacts de son téléphone portable. Le divisionnaire Lamordier m’a laissé récupérer deux collègues d’une autre équipe Crim pour deux jours, dédiés à cette tâche.
Il hocha le menton en direction de Lucie.
— À toi…
— La visite des hôtels et les données fournies par Amandine ont permis de mieux définir le scénario des semaines précédant la dispersion du virus. Aux alentours de janvier, Carayol et Lambart font connaissance. Ils se seraient connus dans un bar… Il ne va jamais chez elle, ne l’emmène probablement pas chez lui. Ils se rendent dans des hôtels de luxe où ils passent la nuit. En mars, la laborantine débute ses analyses fantômes. Elle les arrête sept mois après, le 3 octobre. Le 5, elle fête un « événement » au Méridien Étoile, on pense qu’il s’agit de la découverte du virus. Puis Lambart disparaît, on ignore quand précisément. Le 7 novembre, soit un mois plus tard, les cygnes sont contaminés. C’est notre tour le 20. La machine est en marche…
— Carayol s’est peut-être fait avoir sur toute la ligne ? suggéra Franck. Peut-être qu’elle s’est fait manipuler depuis le début ? Que tout cela était programmé et faisait partie du plan.
Sharko se laissait aller. Nicolas lui fit signe de se taire, et estima qu’Amandine en savait assez. Il ne pouvait pas dévoiler la totalité de leur enquête criminelle devant une civile. Il la remercia et lui promit de la tenir au courant. La jeune femme adressa un signe de la main à chacun et sortit de l’open space.
— Eh bien, elle plombe l’ambiance, celle-là, fit Lucie dans un soupir.
— Parce que tu trouves que c’est la fête, ici ? répliqua Sharko. Elle est juste directe et ne nous cache rien. Je préfère savoir que d’avoir des œillères.
Ils discutèrent encore une bonne demi-heure autour de cette histoire de grippe, chacun y allant de sa supposition. Camille demeurait discrète, les écoutant avec attention. Elle adorait les voir bosser, rebondir aux propos des uns, des autres. Peut-être qu’un jour elle aussi aurait la chance d’intégrer leur équipe.
Les conversations se terminèrent. Ils burent un café, prirent une pause. Puis le capitaine de police saisit son enveloppe marron, sortit des clichés qu’il accrocha au tableau blanc à l’aide de petits aimants.
— Pas trop mal au crâne ? Parce qu’on bascule sur l’autre affaire… Du gratiné, là aussi.
— Il vaudrait peut-être mieux que Camille sorte, fit remarquer Sharko.
— Elle reste. C’est un cerveau de plus et, en ce moment, je ne crache pas dessus.
Sharko leva les deux mains en signe de reddition.
— C’est toi, le chef…
[46]
Ils passèrent instantanément à une autre forme d’horreur.
Les photos que Nicolas venait d’accrocher au tableau étaient celles qui avaient été prises par l’Identité judiciaire dans les égouts, mais aussi celles trouvées dans la niche, déposées là par le tueur.
Nicolas fit un rapide résumé pour Camille : le meurtre de Félix Blanché et de son chien, les quatre squelettes retrouvés dans un étang de Meudon, appartenant vraisemblablement à des SDF enlevés quelques semaines auparavant dans des égouts. Leur descente pour trouver la sinistre cache d’un assassin déguisé en oiseau, armé de griffes, adorateur du Mal, avec ses bougies et ses croix à l’envers.
Lucie et Casu s’approchèrent et regardèrent les photos de près.
— On comprend mieux votre état en remontant de là-dessous. C’est effroyable.
— Les gars de la Scientifique ont fait un travail extra, répliqua Nicolas. Fallait de sacrées tripes pour fouiner.
Le capitaine de police eut un frisson qui lui traversa tout le corps.
— Visiblement, d’après les premiers retours, il n’y a aucune empreinte sur les photos, pas de traces biologiques au niveau de la niche ni sur les flacons, les bidons d’acide et de chlore. Il devait porter des gants. Des empreintes, par contre, il y en a un paquet au niveau des chaînes, des murs, de la nourriture. Sans doute celles des victimes. Les morceaux de chair dans les cerceaux d’acier nous permettront d’avoir des ADN. Et peut-être d’identifier les malheureuses personnes enchaînées. Leurs cadavres ont été dissous au fond de la pièce ; il y avait pas mal de… matière organique.
— Je comprends bien le rôle de l’acide, intervint Sharko. Mais à quoi sert le chlore ?
— À désinfecter les sols, à supprimer les microbes, à purifier l’eau, répliqua Camille. Son utilisation est très étendue.
Sharko réfléchissait. Pourquoi aurait-il eu besoin de désinfecter l’endroit ? Pour s’y sentir protégé des microbes circulant dans les égouts ? Il s’approcha lui aussi du tableau.
— Aussi immonde que ça puisse paraître, c’est dans ce trou à merde que notre assassin se sent bien. En sécurité. Il ramène ses petites bougies, ses crucifix, les photos de ses massacres, son matériel de shoot : l’absinthe, le laudanum. Il a sous les yeux quatre pauvres victimes enchaînées qui ne peuvent pas l’atteindre ni se toucher. On est dans son intimité… Dans sa tête…
Camille observa les clichés de la famille massacrée. Il y en avait sous différents angles. De près, de loin, en plongée.
— Cette scène de crime, c’est une photo de son esprit.