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Nicolas fixa le rectangle de papier. Il se souvenait de cette curieuse photo fournie par un journaliste espagnol lors de leur affaire de 2012 : c’était la seule preuve qu’ils avaient récupérée de l’existence de cet Homme en noir.

— Le journaliste espagnol qui m’a envoyé ce vieux cliché n’a jamais compris pourquoi il était flou, expliqua Camille. Personne ne sait qui est cet homme en costume noir. Rappelle-toi, sa présence fantôme a été signalée à plusieurs reprises quand nous enquêtions l’année dernière. En France, en Espagne, en Argentine… Même le pire des tueurs en série, du fin fond de sa cellule, nous a parlé de son existence, sans pouvoir nous en dire davantage. Cette « silhouette » était là, en filigrane, chaque fois. Comme s’il était le Mal incarné. Un semeur de mort.

Nicolas soupira, il percevait de la peur dans la voix de Camille. La photo en question le mettait toujours aussi mal à l’aise.

— J’ai besoin d’un bon café.

Il enfonça une capsule dans la machine et attendit que le liquide s’écoule, les deux mains à plat sur le plan de travail de la cuisine. Il regarda en direction du boulevard. Quelques feux arrière, au loin. Une aura rougeâtre qui se diffusait dans l’atmosphère pluvieuse. Une ombre qui déambulait, doucement, sans but précis. Il leva les yeux et se dit que le virus était là, quelque part, se démultipliant.

La nature était si belle, mais aussi tellement dangereuse.

Qui étaient ces monstres qui s’en prenaient à leurs propres frères ? Qui était cet Homme en noir qui traversait la planète pour y répandre le Mal ? À quoi correspondait la Chambre noire ?

Camille arriva derrière lui, une tasse entre les mains.

— À quoi tu penses ?

— À eux, ceux qui font ça. Je me sens impuissant. Presque spectateur. (Il soupira.) Je ne sais pas si je suis un bon flic, Camille.

— Tu es un bon flic. Pourquoi tu penses une chose pareille ?

Il se retourna et la regarda dans les yeux.

— Parce qu’ils me font peur. Une peur comme je n’en ai jamais ressenti jusque-là.

Il se serra contre elle. Il avait besoin de sa chaleur, de sa présence. En arrière-plan, il voyait le tableau des cavaliers affiché à l’écran. Il se remémora les quatre chaînes dans les égouts.

— Je crois savoir pourquoi on a enfermé ces laissés-pour-compte, pourquoi on les a disposés de cette façon dans les égouts, dit-il soudain.

— Hmm ?

— Quand Franck a tendu les chaînes, il y avait pile la distance pour que les prisonniers se touchent du bout des doigts. Peut-être qu’ils pouvaient se passer de la nourriture, de l’eau, mais pas beaucoup plus.

Camille s’écarta de lui.

— Où tu veux en venir ?

— Et s’ils avaient servi de cobayes pour tester le virus grippal et mettre à l’épreuve sa propagation ?

— Un seul d’entre eux aurait été contaminé, et…

— … on laisse agir le microbe. On regarde avec quelle facilité il passe d’un humain à l’autre, en combien de temps. On étudie… J’imagine bien l’Homme-oiseau enfoncé dans sa niche, entre ses croix retournées, à observer de quelle façon le virus se répand, tout en prenant des notes. Fort possible que, quelques jours plus tard, les prisonniers aient tous attrapé la grippe.

Camille médita durant quelques secondes.

— C’est effroyable.

Nicolas se serra de nouveau contre elle et lui caressa tendrement le dos.

— J’ai un drôle de sentiment, une intuition terrible. Ces messages… Le Déluge, l’Apocalypse, la germination et l’armée vengeresse… Ce cinglé costumé qui évolue dans les égouts, protégé par ses rituels sataniques… L’Homme en noir… Lambart… combien sont-ils, impliqués dans cette affaire ? Combien d’êtres corrompus par… par…

Il ne parvint pas à finir sa phrase et soupira avec gravité.

— J’ai l’impression qu’il va se passer quelque chose de plus grave, ajouta-t-il enfin. Qu’est-ce qui va sortir des entrailles de la Terre, Camille ? Quelle monstruosité ?

[50]

Jeudi 28 novembre 2013

Lucie était incapable de se lever.

Elle tremblait et s’était enroulée dans les couvertures, frigorifiée et percluse de courbatures. Sa température avoisinait les 40 °C. Franck, installé dans le canapé depuis la veille, n’avait pas dormi de la nuit. Le virus était entré dans sa maison.

Le flic allait et venait dans la chambre, l’œil rivé sur sa montre, tandis qu’Adrien et Jules se chamaillaient déjà dans le salon. Il était 8 heures du matin.

— Qu’est-ce qu’il fout, bordel ?

Le médecin avait déjà une heure de retard et ne répondait plus aux appels. Sharko en eut assez. Il sortit la carte d’Amandine Guérin que Lucie avait récupérée et lui passa un coup de fil. Une demi-heure plus tard, la scientifique frappait à la porte, accompagnée d’un médecin. Sharko la salua d’un mouvement de tête.

— Désolé pour le dérangement, mais…

— Les médecins sont débordés. Les gens appellent pour un rien. Une petite fièvre, une toux et, tout de suite, ils pensent à notre grippe des oiseaux. Ajoutez que tout cela se mélange à la grippe saisonnière qui va bientôt atteindre le stade épidémique, je ne vous raconte pas le chaos. Vous avez bien fait de me contacter. Où est-elle ?

— Suivez-moi.

Sharko les mena à la chambre. Le médecin à ses côtés sortit son matériel de sa valise en cuir. Les directives du plan pandémie grippe préconisaient de porter une protection respiratoire : le personnel de santé devait tout mettre en œuvre pour éviter d’attraper le microbe. Donc, avec un masque sur le visage, il ausculta Lucie, fit un test rapide qui indiquait qu’elle ne souffrait pas de la grippe saisonnière, mais d’une autre grippe.

— Elle a sans doute contracté la grippe des oiseaux.

— Vous allez l’hospitaliser ?

— Non. Désormais, on réserve les lits pour les cas les plus graves. Et vous avez entendu ce qui se passe avec les infirmières et les aides-soignantes ?

— Les grèves ?

— Oui. Elles profitent de l’annonce de la ministre pour descendre dans la rue à partir de la semaine prochaine.

— Génial.

Amandine fixa Lucie.

— Elle sera bien, ici. Mais surtout, veillez à ce qu’elle soit isolée.

Le médecin prescrivit des médicaments, remplit une fiche comme les autorités de santé le lui avaient demandé la veille et fit un prélèvement par écouvillage laryngé avec du matériel qu’on lui avait livré très tôt dans la matinée. Il le donna directement à Amandine.

— On va l’analyser en priorité.

Apparemment, Lucie ne souffrait d’aucune complication, les symptômes étaient « classiques », mais il fallait surveiller. Le médecin lui remit un arrêt de travail de dix jours. Lucie se recoucha, incapable de réagir.

Sharko en profita pour se faire ausculter, ainsi qu’Adrien et Jules. Pas de signes apparents du virus, ils semblaient tous trois en bonne forme, mais comme il y avait toujours cette phase asymptomatique, il fallait rester vigilants.

Amandine regardait les jumeaux qui jouaient autour d’elle avec des cubes. Ses yeux se troublèrent quelques secondes. Elle se ressaisit.

— Vous avez de beaux enfants. Prenez soin d’eux.

Sharko observa le curieux visage blanchâtre. Même avec le masque, Amandine Guérin dégageait un charme félin. Pourtant, elle avait l’air très fatiguée.