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— Parfait.

Le capitaine de police s’engagea sur un long boulevard.

— On a eu un sacré bol avec notre semeur de virus et la diffusion du portrait, hein ?

— Pour une fois… Mais ça n’arrêtera pas le microbe. Ce salopard qu’on traque a bien réussi son coup.

— C’est dingue, ces virus. Tu les verses dans un bac de couverts à Paris et… t’as des gens qui n’ont jamais fichu les pieds dans la capitale qui tombent malades quelques jours plus tard. C’est une arme redoutable. Une arme qu’on ne voit pas, qui se multiplie toute seule et qui, comme disait Camille, ne sonne pas aux détecteurs des aéroports.

— Alors qu’on nous emmerde chaque fois qu’on veut passer une bouteille d’eau.

Ils se plongèrent dans leurs réflexions et atteignirent Pantin une demi-heure plus tard. Un ensemble de barres grises, de rues étroites, d’enseignes de boutiques collées les unes aux autres. Le club de sport se trouvait au bord du canal de l’Ourcq, à proximité d’une base nautique et d’une piste cyclable qui longeait les quais. L’onde palpitait avec langueur sur les reflets de la pleine lune. Sur la droite, il y avait des bâtiments désaffectés, couverts de tags, à l’allure de vaisseaux spatiaux multicolores.

Les deux voitures se garèrent côte à côte sur le parking, de façon à bien voir l’entrée du bâtiment à deux étages, et dont les vitres étaient embuées. En bas, musculation, fitness. En haut, des gens alignés par dizaines pédalaient, ramaient, couraient.

Les hommes de l’équipe antiterroriste sortirent et claquèrent doucement leurs portières. Marnier et son lieutenant David Renart étaient habillés en civil : jean, Converse, blouson de cuir. Ils avaient un sac de sport à la main, histoire de se fondre dans la masse.

— On va entrer comme des clients normaux. Vous restez dans le véhicule pour surveiller les issues. S’il entre ou sort, on s’appelle. Vos portables sont OK ?

Vérification, hochements de tête. Marnier cacha la photo du type sous son blouson.

— Parfait. S’il est là ou si on apprend qu’il a des chances de se pointer, on lui tombe dessus. Au pire, on récupère son identité et son adresse auprès du gérant, et on l’interpellera avec des renforts.

Les deux hommes entrèrent dans le club à quelques secondes d’écart. Régulièrement, des sportifs circulaient, arrivaient ou repartaient. Ça bougeait pas mal. Dans la voiture, Nicolas avait sorti son Sig Sauer de son holster et l’avait posé sur ses genoux. Il était très nerveux, tirait sur sa cigarette électronique comme un sapeur. Sharko fixait le rétroviseur, les mains crispées sur ses cuisses. Lui aussi avait la gorge nouée. Toutes ses pensées étaient orientées vers cet agrandissement A4 qu’il avait posé entre Nicolas et lui. Ce visage, ce démon, qui allait être responsable de milliers, de millions peut-être, de malades.

Le temps passait. Toujours pas de nouvelles.

— Qu’est-ce qu’ils foutent ?

— Peut-être qu’ils savent que notre homme va arriver ? Qu’ils planquent à l’intérieur ?

— Pourquoi ils ne nous appellent pas ?

Nicolas sursauta lorsque son téléphone vibra sur le plastique du tableau de bord. Mais c’était juste Camille qui venait aux nouvelles. Le capitaine décrocha et se mit à converser sans dévoiler la mission, tandis qu’une silhouette, casquette noire sur la tête, baskets aux pieds, passait à proximité de la voiture et traçait son chemin vers la porte d’entrée du club. Sharko plissa les yeux. Il se pencha vers Nicolas pour essayer de voir le profil de l’individu.

Juste devant l’entrée, la silhouette se tourna dans leur direction. Sharko put entrapercevoir la pointe du nez sous l’ombre de la casquette.

Une fraction de seconde plus tard, l’homme bifurqua sur la droite et se mit à courir.

[52]

Sharko se rua à l’extérieur du véhicule, laissant la portière ouverte. Nicolas raccrocha d’un coup sec et lui emboîta le pas, le flingue à la main. Instantanément, son rythme cardiaque monta dans les tours.

Très vite, les deux flics se retrouvèrent sur la piste cyclable, séparés de dix mètres. Ils traquaient un sprinter qui fonçait à grandes foulées droit devant lui. Sa casquette s’était envolée.

Sharko y mit toute sa hargne, y allant à l’adrénaline : quatre-vingt-onze kilos à arracher du sol, à propulser dans l’air. Ses tempes commençaient à battre, son souffle à manquer. Il fut rapidement doublé par Nicolas, plus frais et plus endurant. Mais il tenait bon, tandis que l’obscurité l’enveloppait, que seuls quelques lampadaires essaimés et la lune lui permettaient d’apercevoir les deux ombres qui filaient devant lui dans le noir.

N’en pouvant plus, il se mit à trottiner en soufflant comme une locomotive, le front trempé. Il s’en voulut. Avant, le type n’aurait eu aucune chance, mais là… Sa carcasse était au bord de la rupture. Devenait-il trop vieux pour ce genre de conneries ?

Plus loin, Nicolas était immobile, les mains sur les genoux. La piste cyclable s’arrêtait à quelques mètres de là, interrompue par une écluse qui obligeait à faire demi-tour.

Nicolas décrocha son téléphone.

— Je l’ai vu tourner par là.

Il désignait des bâtiments désaffectés, piégés entre la piste cyclable et un haut mur de brique infranchissable.

— Faut le prendre en tenaille.

Nicolas appela Marnier, lui expliqua et raccrocha.

— Ils arrivent.

Sharko fixa les bâtiments. Entre deux respirations, il lâcha :

— On ne le perd pas. Allez, on y va.

Ils s’orientèrent en courant vers les monstres de béton. L’herbe avait poussé de façon anarchique, crevant l’asphalte. Sur les façades, des tags hideux, des bouches déformées, des yeux immenses aux iris d’un noir absolu, nimbés par les rayons de lune.

Sharko avait sorti son arme lui aussi.

— Prends l’autre bâtiment.

— Fais gaffe.

Les deux hommes se séparèrent. Sharko pénétra dans le hall d’une énorme structure cubique, au sol recouvert de verre, de poussière, de niches sombres d’où s’élevaient des piquets cylindriques. Ce n’était plus qu’une gigantesque pièce nue, vidée de sa chair, de sa vie.

Des escaliers menaient vers les ténèbres. Comme il allait à la salle de sport, l’individu qu’ils poursuivaient n’était sans doute pas armé. Cependant, rien ne l’empêchait de ramasser un tesson de bouteille qui traînait. Ou l’une de ces seringues que le flic écrasa en grimpant les marches.

Sharko rasa les murs décrépits, bifurqua dans un couloir dont il ne voyait pas le bout. Il transpirait encore, s’essuya le front avec la manche de sa veste. Des trous d’obscurité alternaient avec des zones plus claires. La grosse lune apparaissait parfois, comme sur une photo dans un cadre d’ébène. Elle dessinait les courbes molles, les reliefs sinistres du ventre mort du bâtiment. Ça sentait l’acier et la rouille. Le froid qui pénétrait par les fenêtres brisées coulait comme un courant dans la gorge de Sharko. Encore les tags, les gueules qui hurlaient, les lèvres semblables à des pneus, des figures de diable. Il y eut des éclats de voix, en bas. Franck revint en courant au niveau de l’escalier. Au milieu du hall, deux faisceaux lumineux déchiraient l’obscurité. Les collègues de l’Antiterrorisme…

— Je suis en haut et Nicolas est dans l’autre bâtiment. Faut bloquer les issues, l’empêcher de retourner sur la piste cyclable et de s’enfuir.