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— Qu’est-ce qu’on fait ?

— Écris ce qu’il te dit. Sinon, on va éveiller les soupçons.

— Et si on rate l’occasion ?

— Ça va fonctionner…

CrackJack > Désolé, c’est en dehors de mes principes, jamais de contact physique.

Homme en noir > Il n’y a pas d’autre solution. Quitte ou double ?

Nicolas n’attendit pas la réponse de Dambre, il tapa :

CrackJack > Double.

Homme en noir > Parfait. Bientôt, un nouveau monde va naître. Tu en auras été l’un des bâtisseurs…

Homme en noir > Donne-moi un chiffre entre 1 et 10.

CrackJack > 6.

Homme en noir > 6 petits Nègres s’en allèrent à l’école. L’un d’eux mangea des chocolats. Il n’en resta plus que 5.

Fin de connexion. L’Homme en noir avait quitté la discussion. Nicolas resta quelques secondes devant le clavier. Il se leva et s’approcha de Dambre, menaçant.

— Ça rime à quoi, cette histoire de Nègres ?

— J’en sais rien. Il me demande toujours un numéro au hasard entre 1 et 10 et répond ce genre de délire à la fin des conversations. Des Nègres qui meurent chaque fois. Il n’aime pas les Nègres, je crois.

Sharko n’était pas un grand fan de littérature policière, mais il savait que la réplique faisait référence aux Dix Petits Nègres d’Agatha Christie. Il y avait surtout une référence à Séverine Carayol : elle avait mangé du chocolat, et elle en était morte.

— Qu’est-ce qu’il peut bien attendre de toi pour soixante-dix mille euros ? demanda Sharko. Qu’est-ce que tu dois faire pour lui ?

Dambre le regardait droit dans les yeux sans desserrer les lèvres. Nicolas l’attrapa par le bras droit et l’emmena vers la sortie.

— La soirée ne fait que commencer, espèce de fumier. Je te jure que tu vas cracher tout ce que tu sais.

[58]

Vendredi 29 novembre 2013

Une pluie froide et drue battait le pare-brise du véhicule de Nicolas.

La banlieue de Paris, à 3 heures du matin, prenait des allures de territoire apocalyptique, de plate-forme pétrolière, de vallée de misère. Les lumières des feux rouges luisaient au sol comme des flaques de sang diffuses, les passages piétons ressemblaient à des cicatrices ouvertes. À la radio, des bouffées tiédasses d’air dans des trombones, des notes de piano qui éclataient comme du verre brisé. Nicolas finit par éteindre, vanné, laminé de l’intérieur. Il puait encore la sueur de la course-poursuite le long du canal de l’Ourcq. Il avait senti le fouet de l’adrénaline quand il avait poursuivi Dambre, terrible mélange d’excitation et de peur.

Dire que dans quelques heures il allait falloir recommencer la traque. Poursuivre ces fous furieux qui transformaient chaque jour la vie des flics en enfer.

Jacky Dambre croupissait dans une cellule de garde-à-vue pour une durée de quarante-huit heures qui allaient s’étendre à quatre-vingt-seize heures, vu qu’on pouvait assimiler son geste à un acte terroriste. Au tour des collègues de l’Antiterrorisme d’être sur son dos, de le marteler de questions. Le hacker commençait à accuser le coup, mais il restait sournois, provocateur, avec ses théories eugénistes, ses idées de purification… Que savait-il vraiment au sujet de l’Homme en noir ? Sharko lui avait fait peur mais, désormais, cette petite ordure se savait en sécurité dans les locaux du 36.

Qu’allait lui demander l’Homme en noir, cette fois-ci ?

Quel genre de mission lui réservait-il ?

Ils allaient peut-être le piéger bientôt. Mettre fin à toutes ces horreurs.

Nicolas rangea son véhicule dans le parking souterrain, entre deux murs de béton si rapprochés qu’il dut s’en extirper de profil. Dire qu’il louait ce clapier quatre-vingts euros par mois.

Il remonta sans grande énergie à la surface et parcourut une centaine de mètres sous la pluie, les mains dans les poches. Les gouttes glacées lui tombaient dans le cou et le frigorifiaient. Il devenait urgent de déménager. Foutre le camp de cette banlieue.

Il atteignit enfin son immeuble. Code de l’Interphone, escaliers… Même pas d’ascenseur. Il monta sans rythme au quatrième étage, courbé par le poids de la journée. Il glissa sa clé dans la serrure de la porte et entra.

Déclic de l’interrupteur, lumière. La pièce vide, la bibliothèque, L’Aiguille creuse posée sur la table basse. La chatte Brindille vint se frotter contre ses jambes en ronronnant.

— Salut, toi.

Nicolas balança son blouson et son holster sur le canapé avec un léger sourire. Camille avait commencé à relire le roman de Maurice Leblanc. Ce livre, c’était leur objet porte-bonheur. Un symbole qui avait vu naître leur histoire d’amour sous la tempête.

Il se rendit à la cuisine et but un grand verre d’eau, puis se dirigea jusqu’à la salle de bains pour y prendre une douche brûlante. Auparavant, il jeta un œil dans leur chambre : une habitude qu’il avait prise d’observer Camille à la dérobée.

Le lit était vide.

[59]

Nicolas fut pris d’une panique immédiate. Tous les signaux internes virèrent au rouge.

— Camille !

Il se mit à allumer les lumières, parcourir toutes les pièces de façon incohérente, désorganisée, comme si Camille pouvait se dissimuler quelque part dans ces quarante mètres carrés. Il trouva le portable de sa compagne dans la salle de bains. Son manteau et ses chaussures dans le salon.

Quand il se jeta sur son Sig Sauer et le serra dans sa main droite, il sut.

Au plus profond de lui, il comprit qu’il était arrivé quelque chose.

Les larmes montèrent, il courait désormais sans but, se tenant la tête. Quand il revint dans la chambre, il remarqua un objet qu’il n’avait pas vu la première fois, posé sur l’oreiller.

Une clé USB.

Le même genre que celle qu’il avait reçue au bureau quelques jours auparavant.

Ils étaient entrés ici. Chez lui.

Nicolas ressentit une rage, une détresse qu’il exprima en se parlant à lui-même, se disant que tout cela n’était qu’un mauvais rêve, qu’il allait se réveiller, retrouver Camille serrée contre lui. Il ne pouvait pas y croire. Il ne voulait pas y croire. Avait-il failli, encore une fois ? Avait-il été incapable de protéger sa compagne ?

Il fixa le petit parallélépipède noir, cet enrobage de plastique qui renfermait des circuits électroniques. Que contenait la clé, cette fois ? Quelles horreurs ? Comment avait-on pénétré dans son appartement ?

Très vite, le réflexe de flic reprit le dessus. Il attrapa une serviette pour saisir la clé afin de préserver les empreintes éventuelles, arracha la prise de la box Internet au cas où il y aurait encore un virus sur la clé et se précipita devant son ordinateur. Dans une grande inspiration, il la brancha au port adéquat.

Elle contenait une vidéo, datée du jour même : 00 h 55.

Deux heures plus tôt, alors qu’il interrogeait Dambre.

Tout se bousculait dans la tête de Nicolas. Pourquoi, comment… Il hésita à lancer la vidéo, de peur d’y découvrir ce qu’il redoutait tant. Ces monstres n’avaient aucune limite, pas de pitié. Dehors, la pluie crépitait, la nuit était grise, glaciale, les murmures de la rue lui parvenaient par bribes. Un coup de frein, une accélération…