Выбрать главу

Amandine ne sortit pas du laboratoire à midi. Elle se connecta à la console informatique et, comme le lui avait montré Johan, tapa une requête qui lui afficha la liste de toutes les entités qui avaient demandé des analyses grippe au CNR. Il y avait, là-dedans, des laboratoires de biologie médicale publics ou privés, des médecins du réseau GROG, des membres de l’administration sanitaire, des laboratoires de recherches ou industriels…

Plus de mille enregistrements ressortirent suite à ce premier jet. Évidemment, c’était ingérable, mais Amandine n’avait pas dit son dernier mot, parce qu’une autre interrogation venait de germer dans sa tête. Pourquoi le faux « Lambart » avait-il choisi le véritable Patrick Lambart, médecin généraliste dans le 2e arrondissement, comme identité usurpée ? Amandine le voyait mal prendre l’annuaire et piocher un nom au hasard. Non, il devait être au courant de la mort de ce dernier, ou le connaissait. Un collègue de travail ? Un confrère ? Le faux Lambart était-il, à l’époque, un patient du vrai Lambart ?

Elle ajouta à sa requête un filtre pour Paris, parce que tous les éléments lui indiquaient que le faux Lambart exerçait ou vivait dans la capitale. Cela ramena le nombre d’enregistrements à soixante-deux.

Soixante-deux identités, parmi lesquelles vingt-neuf médecins.

Satisfaite, Amandine imprima la liste. De leur côté, les flics se concentraient sans doute sur les endroits qu’avait fréquentés Séverine, interrogeant les patrons des bars, des restaurants, la famille, les quelques amis. Ils étaient sur une piste parallèle qui pouvait ne rien donner, parce que cet usurpateur de Lambart avait sûrement tout verrouillé. Qui reconnaîtrait un type qui avait abordé une fille dans un bar plus de neuf mois auparavant ?

Mais elle, elle avait peut-être trouvé son talon d’Achille.

Après une rapide recherche sur Internet, elle obtint l’adresse de la maison médicale où le vrai Patrick Lambart avait travaillé. Elle appela, tomba sur la secrétaire et se présenta. En discutant un peu, elle apprit que cette dernière avait bossé avec le vrai Lambart pendant près de dix ans. Parfait. Elle devait connaître la clientèle, les confrères de son ancien patron… La secrétaire lui signala que les policiers étaient déjà venus poser quelques questions sur le docteur Lambart la veille au sujet d’une usurpation d’identité. Que se passait-il exactement ? Amandine resta évasive et lui demanda si elle pouvait lui rendre visite aux alentours de 17 heures.

Le rendez-vous était pris.

[62]

Bientôt 12 h 30.

Amandine se déshabilla, se lava les mains et sortit du laboratoire, satisfaite. Elle regarda l’heure… Il fallait qu’elle rentre dormir un peu, histoire de recharger les batteries. Le reste de la journée allait être chargé.

Elle prit le train à Montparnasse, arriva à Sèvres une demi-heure plus tard et récupéra sa voiture sur le parking de la gare. Direction le loft. Le ciel était gris, la lumière manquait. Amandine détestait ces saisons où les choses mouraient, où les arbres se dénudaient, où la nature donnait l’impression d’abandonner le combat.

D’ordinaire, elle ne rentrait presque jamais le midi, et quand cela arrivait, elle prenait toujours soin de prévenir Phong. Mais suite à leur dispute de la veille, elle n’avait pas eu envie de renouer le contact par téléphone. Elle verrait bien comment il réagirait, ce qu’il aurait à lui dire…

Elle se gara dans l’allée du grand bloc gris qui leur servait d’habitation. Le loft se confondait avec le ciel bas et pesant.

Clé dans la serrure de la porte blindée, double tour. Amandine frissonna, elle pensait encore aux rats hideux : elle les voyait, sentait leurs poils durs et noirs. Elle passa juste la tête dans l’embrasure, histoire de vérifier qu’ils n’étaient pas là. Que son cauchemar n’était pas réel.

Elle rentra et ferma vite derrière elle.

— Phong ? C’est moi.

Pas de réponse. Tout en ôtant son blouson, Amandine jeta un œil à travers les murs en Plexiglas. D’ordinaire, elle trouvait son mari aux fourneaux ou à la table du salon, occupé à fabriquer ses origamis. Mais là, personne.

— Phong ?

Il ne répondait pas, ne venait pas. Peu à peu, Amandine sentit l’angoisse monter. Les rats étaient dans sa tête, ils grattaient de leurs petites pattes l’intérieur de son crâne. Sa respiration s’accéléra. Elle longea les couloirs, fonça vers sa chambre. Peut-être que son mari était fatigué et qu’il dormait ?

Mais de l’autre côté du Plexiglas, dans la chambre de Phong, le lit était fait.

Les rats sont venus. Ils l’ont emmené dans les égouts.

Amandine mit ses mains sur son crâne et sentit les larmes monter. Elle fonça dans les couloirs, manquant de se cogner à plusieurs reprises aux vitres. Et se décida à appeler la police.

Un serveur vocal, l’attente interminable, puis une voix humaine, enfin.

— Mon mari a disparu !

On lui demanda de se calmer, de ne pas crier parce qu’on ne comprenait rien. Amandine allait lâcher son identité, son adresse quand elle entendit soudain le bruit d’une clé dans la serrure. Elle se figea, le téléphone collé à l’oreille.

Phong apparut dans l’embrasure, jogging, baskets, petite bouteille d’eau presque vide dans la main. En sueur. Et sans masque.

Il la fixa comme un animal pris au piège et perdit l’expression sereine que le joggeur arbore après sa course.

Amandine en lâcha son téléphone portable qui tomba par terre.

Phong resta là, quelques secondes sans bouger, puis baissa la tête. Lorsqu’il releva les yeux, il avoua :

— J’ai juste besoin de me sentir vivant.

Puis il disparut dans sa salle de bains.

Amandine se mit à trembler. Elle regarda ses doigts, essayant d’une main de contenir l’autre. Trahie… Trompée… Elle tombait des nues.

Pas Phong, pas lui.

Folle de rage, elle se rua vers la porte vitrée, traversa le salon de Phong, arriva dans la salle de bains où son mari était en train de se déshabiller. Amandine découvrit, entassés à côté de la machine à laver, des tee-shirts de sport qu’elle n’avait jamais vus. Elle ne venait jamais ici, Phong nettoyait et faisait ses lessives lui-même. Quand s’était-il acheté toute cette panoplie ? Où ?

— C’est juste un peu de sport. Je cours dans la forêt aux heures du midi, je ne croise jamais personne. Ce n’est pas un crime, quand même ? Et comme tu peux le constater, je suis toujours en vie.

Amandine ouvrait et fermait les poings.

— Depuis combien de temps tu fais ça ?

Elle avait du mal à s’exprimer, les mots peinaient à sortir.

— Depuis qu’on est installés ici. Je suis désolé.

Il s’enferma dans la cabine de douche et fit couler l’eau. Amandine resta là, penaude, incapable de réaliser ce qu’elle venait de découvrir. Ses yeux ne quittaient plus le monceau de linge. Elle finit par sortir d’un pas martial et claqua violemment la porte.

Qu’est-ce qu’il voulait ? Se suicider ?

Amandine explosa en sanglots sur son canapé.

[63]

Nicolas, HS.

Lucie, HS.

Pascal Robillard, HS.

Jacques Levallois, HS.

Franck Sharko était là, seul dans l’open space, comme le dernier oisillon au fond du nid. Il avait le nez plongé dans les notes, les dossiers et les photos des affaires. Essayant de trouver la faille, de faire des recoupements, de progresser, millimètre par millimètre. Mais la masse d’informations était bien trop grande, et les effectifs trop peu nombreux. Les couloirs du 36 ressemblaient à ceux d’un hôtel en basse saison. La bonne ambiance, l’odeur du café, les éclats de voix : tout avait disparu.