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Le portable qu’elle avait pris à Phong se mit à sonner. Elle le sortit de sa poche et observa l’écran. C’était ce Claude Bays, qui travaillait à la Shoc Room de Genève.

Amandine décrocha, une main sur sa tempe qui s’était mise à pulser.

— Salut, Phong, fit une voix, je…

— C’est Amandine, sa femme. Désolée, mais Phong est un peu fatigué.

— Ah, excusez-moi.

— Au fait, j’ai vu dans le relevé que vous continuez à vous appeler souvent, tous les deux. Pourquoi ?

— Phong veut être tenu au courant de l’évolution de la situation. Alors, je lui transmets les infos en temps réel. Je lui dois un gros service.

— Quel genre de service ?

Un silence.

— Je suis son épouse, vous pouvez me dire.

— Il m’a couvert, un jour, sur une erreur de procédure. C’est lui qui a pris, il a failli être viré à cause de moi. Désolé du dérangement.

Il raccrocha. Amandine resta quelques secondes immobile face au téléphone. C’était bien Phong, ça, prêt à tout pour aider et protéger les autres, alors que c’était lui qui avait besoin de protection.

Dix minutes plus tard, elle se trouvait à l’adresse indiquée sur sa liste, devant un immeuble, au bas duquel il y avait une enseigne : « Médecine du travail ». Les horaires d’ouverture des locaux étaient également indiqués : 10 heures-18 heures, du lundi au vendredi. Ça allait fermer. Amandine hésita : devait-elle entrer ou se planquer dans l’ombre, en attendant la sortie des médecins ?

La jeune femme ne pouvait pas prendre le risque d’entrer. Si elle se retrouvait face à Crémieux, comment réagirait-elle ? Il fallait qu’il ne se doute de rien. Et puis, peut-être que Séverine lui avait parlé d’elle. Rouquine, très blanche de visage, le crâne presque rasé. S’il la voyait dans les parages, il aurait vite fait le rapprochement.

Elle décida de la jouer autrement. Elle dénicha le numéro de l’accueil du centre médical sur Internet et appela. On lui répondit au bout de trois sonneries. Amandine se glissa sous le porche de l’immeuble d’en face, disparaissant dans les ténèbres. La douleur grandissait dans sa tête, elle allait et venait, comme une petite vague qui, chaque jour, mordait un peu plus le sable. Le cachet était inefficace.

— Bonsoir… J’ai besoin de transmettre le résultat d’une analyse réclamée par le docteur Crémieux à l’Institut Pasteur de Paris. Est-il encore temps que j’envoie un coursier au centre de médecine pour qu’il la lui remette en main propre ?

Après un silence, une voix féminine, plutôt jeune, lui répondit :

— Il doit y avoir une erreur. Le docteur Crémieux n’exerce plus ici depuis plus de deux ans.

Amandine plissa les yeux, une main sur son crâne. Elle fixa une ombre noire qui se déplaçait sur le caniveau opposé. Un rat longeait les murs. Il détourna le museau vers elle, renifla et s’approcha d’une bouche d’égout.

— Madame ?

Amandine frémit. Elle secoua la tête, la vague venait de s’écraser sur le sable, lui provoquant un flux de douleur. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle fixa la bouche d’égout. Plus aucune trace du rongeur. Elle le chercha à droite, à gauche, en vain, puis soupira dans le téléphone.

— Je suis là… Où travaille-t-il désormais ?

— Le docteur a eu des problèmes ici, une histoire de condamnation par l’ordre des médecins. Il y a peut-être eu un procès, je n’en sais rien et j’ignore s’il exerce encore. Je suis arrivée il n’y a pas longtemps.

— Quelqu’un pourrait me parler de cette affaire ?

— Je ne sais pas. Excusez-moi, je dois vous laisser. Bonne soirée.

Amandine raccrocha, appuyée contre un mur. Dans son esprit embrumé, elle essaya de produire un dernier effort de réflexion. Un procès, une condamnation… C’était intéressant.

Elle scruta encore la bouche d’égout de longues secondes, immobile, alors que la marée était franchement haute dans sa tête, que les vagues grandissaient. Elle s’éloigna quasiment au pas de course, sans oser se retourner. Elle avait l’impression de sentir les rats sur ses talons.

Elle arriva essoufflée à la station de métro. La sueur perlait sous sa capuche. La bouche s’ouvrait devant elle, Amandine imagina un rat gigantesque qui en obstruait l’entrée, la gueule grande ouverte. Elle grimaça et descendit à toute vitesse, se plaça au bout du quai, le plus loin possible des gens. Ses pieds frôlaient le vide. Une vague plus forte que les autres explosa dans sa tête. Une masse sourde, douloureuse, capable de briser en deux une planche de surf. En tremblant, Amandine sortit un Dafalgan de son sac et l’avala.

Du fond du tunnel, le métro arrivait. Ses phares pointaient dans l’obscurité comme de gros yeux inquisiteurs. Masque sur le visage, Amandine se jeta dans la rame dès que les portes s’ouvrirent et s’isola, la tête entre les mains. Tout tanguait. Un tremblement parcourut son corps lorsqu’un passager l’effleura. Son cerveau lui donna l’impression de se contracter comme une éponge sous son crâne.

Elle devait rentrer au plus vite, s’enfermer dans le loft, s’allonger avant de crever sur place et de finir dévorée jusqu’à l’os par ces satanés rats.

[66]

C’était bientôt l’heure.

Les flics n’avaient voulu prendre aucun risque. Alors, les cinq officiers de police judiciaire — Casu, Sharko, Bellanger et les deux collègues de l’Antiterrorisme — étaient retournés avec Jacky Dambre à son domicile, afin d’utiliser l’ordinateur du hacker et sa connexion Internet pour entrer en contact avec l’Homme en noir.

Nicolas était venu. Il était assis sur une chaise, face au clavier, concentré comme jamais. Visage fermé, yeux gonflés, tendu à bloc. La journée avait été un enfer, mais il n’avait pas lâché, animé par l’espoir de ce rendez-vous. Il allait certainement discuter avec celui qui avait la vie de Camille entre ses mains. Le monstre qui avait le pouvoir de vie ou de mort sur la jeune femme.

Comme la première fois, Sharko était à ses côtés, avec Dambre juste derrière.

À 21 h 05, il n’y avait toujours rien. Les nerfs crépitaient dans la pièce, les respirations se faisaient bruyantes. Personne ne parlait. Le hacker se leva soudain et se jeta sur le bureau. Il écrasa ses mains menottées sur le clavier, tentant de taper quelque chose sur la fenêtre ouverte de Dark.Cover.

Sharko le tira violemment vers l’arrière.

— Oh ! Qu’est-ce que t’essaies de faire ?

Dambre retrouva sa place. Marnier l’aida à se rassoir et l’éloigna un peu plus vers l’arrière. Heureusement, sa tentative avait échoué, la fenêtre Dark.Cover restait vierge de tout propos. Nicolas ne tenait plus en place.

— L’Homme en noir va nous faire faux bond. D’une manière ou d’une autre, il sait.

— Il ne peut pas savoir.

Sharko essayait de capter quelque chose dans le regard de Dambre, mais il n’y lut qu’une forme d’arrogance qu’il ne comprenait pas.

— Arrête avec ton air à la con, ou je te colle mon poing dans la gueule.

Dambre ne cilla pas. À 21 h 09, le pseudonyme « Homme en noir » apparut enfin dans la fenêtre de Dark.Cover. Les quatre policiers présents échangèrent un rapide regard. Nicolas se rapprocha du clavier. Le poisson était ferré.

Homme en noir > Merci d’être là.