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— Pas que je sache, réponds-je.

— Mais l’infirmier vous a ausculté avec son stéréoscope et a déclaré que vore cœur ne battait plus !

— Il l’aura appuyé contre mon portefeuille, supposé-je.

L’autre ne s’avoue pas vaincu :

— J’ai déjà mentionné votre décès sur mon constat ! proteste-t-il.

— Il semble que vous dussiez le recommencer, émets-je, je vous prie de m’excuser.

Il branle le chef.

— Lucien ! il hèle.

Le pandore-jacteur se retourne, m’avise à la verticale et réussit un « double-look » de cinéma comique extrêmement réussi.

— Ça, alors ! bée-t-il.

Puis, dans son micro bourré de friture en ébullition :

— Au temps pour moi, mon capitaine : le commissaire San-Antonio semblerait ne pas être décédé, contrairement à ce que l’infirmier Bubon Martial a prétendu, ce con !

L’infirmier incriminé, quant à lui, vient d’avoir un malaise et il est assis dans l’herbe, les jambes en « V » majuscule, l’air désenchanté du gars qui vient d’allumer son cigare avec son billet gagnant du loto. Son coéquipier lui fait respirer de l’oxygène et lui propose une piquouze de solucamphre. Mais ce fâcheux qui me fait une réputation de trépassé, dénègue en laissant une morve de cinquante centimètres s’épancher de ses naseaux. Dans les grands moments de stupeur, le respect humain te lâche, de même que tes sphincters.

— L’était clamsé, chuchote-t-il. Mort en plein ; zingué complet ! Plus le moindre pouls ! Son jeu était étalé sur la table ! (L’infirmier Bubon Martial est bridgeur.) L’œil atone ! Le teint cireux. Les lèvres blanches. Un début de nécrose, même, je crois bien ! C’est pas lui, impossible !

Je m’approche de sa pomme. Il a un sursaut d’effroi.

— Vous êtes mort ! m’aboie-t-il contre.

— Moi, mort ? Jamais ! avec mon Damart thermolactyl ! rigolé-je. Vous déconnez, mon vieux. Votre stéthoscope, vous l’avez prélevé dans la panoplie d’infirmière que votre gamine a reçue pour Noël !

Là-dessus je moule cette équipe de zozos pour aller interviewer le routier anglais, lequel a pris le parti de se confectionner un thé sur son réchaud-camping. Bien que j’aie entendu sa déclaration dans mon coma de naguère, j’éprouve le besoin de le questionner. Ça l’incite, que je lui cause en rosbif.

— Vous avez dit qu’une voiture blanche a démarré en trombe ; vous pourriez préciser la marque de cette auto ?

— Facile, à cause des cercles peints sur la carrosserie : une Audi Quattro.

— Combien de passagers à bord ?

— Deux.

— Deux hommes ?

— Oui : un jeune et un vieux. Le vieux tenait le volant et conduisait comme un con (en français dans le texte). Ils ont fait une telle embardée qu’ils ont failli emplâtrer la cabine téléphonique. A son démarrage, l’Audi a dû laisser deux centimètres de gomme sur l’asphalte.

— Vous pourriez préciser un point quelconque à propos de ces types ?

Il réfléchit.

— Ecoutez, je dormais dans ma couchette. Je suis réveillé par un tir nourri. Le temps de réaliser qu’il ne s’agissait pas de bruits d’échappement, que je me dresse sur un coude, que j’écarte mon petit rideau, cette putain de bagnole faisait déjà son rodéo. Tout ce que je crois pouvoir vous dire, c’est que le jeune était petit et qu’il avait les cheveux bruns. Je dis qu’il était petit car sa tête ne dépassait pas tellement du dossier.

Je le remercie.

L’un des motards est accroupi et recueille les douilles vides dispersées sur le macadam. Les infirmiers embarquent la carcasse perforée de cette pauvre Mira qui fut si mal inspirée en me préférant au tocasson qui souhaitait la charger.

Et puis voilà déjà des renforts. Et bientôt des journalistes. Ma Maserati est un brun saccagée de l’intérieur : le tableau de bord en loupe d’orme éclaté ! La portière du côté passager trouée en maints endroits ! Et le beau cuir fauve des sièges haché par les balles ravageuses du tireur.

Avisant un banc de ciment à quelques encablures, je vais y déposer mes kilogrammes de cul musclé. Une brusque fatigue m’empare. J’ai les cannes à claire-voie ; mais c’est surtout dans mon caberluche qu’il y a du fading. Je ressens une bizarre sensation de vide cosmique. L’image du môme Bruno me taraude la pensarde. Je revois sa silhouette floue dans mon pare-brise, son geste pour me désigner le rétroviseur dans lequel j’ai aperçu la mitraillette pointée sur mon dos. Et puis plus tard, alors que je me croyais paralysé complet, le gamin s’est de nouveau pointé pour me dire que je ne pouvais pas comprendre. L’infirmier Bubon Martial m’avait déclaré viande froide. Et bibi, entièrement récupéré, soudain se dresse tel Lazare dans sa gare ! Créant l’effarement des motards et des ambulanciers. C’est pas un peu sortilégique, tout ça ?

Ce petit con m’a crevé mon boudin, l’autre nuit, et maintenant il joue les anges gardiens (de but). J’aimerais bien piger ; du moins me proposer une interprétation valable.

— Vous êtes blessé, monsieur le commissaire ?

C’est un photographe de presse, avec un blouson de cuir râpé et un gros bonnet de laine duquel dépassent des favoris épais comme la toison pectorale de Demis Roussos.

Je me palpe la tête, le cou…

— Non, je ne pense pas.

— Pourtant vous êtes couvert de sang.

— Ce n’est pas le mien, probablement celui de la jeune fille qui…

— Mais c’est dans le dos surtout que vous en avez !

C’EST UN GROUPE SCOLAIRE

RÉCENT…

C’est un groupe scolaire récent : vitres et plaques préfabriquées en fibrociment. Il y fait froid l’hiver et l’on y crève de chaud l’été, qu’heureusement y a les grandes vacances. Une cour joyeuse comme un champ de tir l’isole de la rue. On aperçoit un panier de basket dans le fond, près des vouatères, un seul, pour dire de s’entraîner à mettre la main au panier ; mais il n’intéresse personne, sinon quelques piafs qui l’utilisent comme perchoir pendant les heures de classe.

De nombreux graffitis tracés au stabiloboss sur les murs nous apprennent que Geneviève Konasse est une pute ; que Mathieu Durand encule Fernand Pelotte ; que Balonguet, le prof de maths, est communisse ; que Martin Floquet a une pine d’âne et que la prof d’histoire-géo montre sa culotte pendant ses cours ; toutes indications bonnes à connaître quand on fonctionne pour plusieurs années dans une communauté laïque où fermentent des passions, des instincts, voire des vices.

Une espèce de sirène caverneuse retentit, qui fait songer au meuglement exténué d’une vache achevant de mettre bas. Peu ensuite, les portes des classes s’ouvrent et des hordes sauvages, en comparaison desquelles celles d’Attila n’étaient que défilés de majorettes, se ruent vers la liberté. Dans le flot, je parviens à distinguer Toinet qui n’est pas le moins pressé. L’intercepte. Il se calme les ardeurs en m’apercevant.

— Ah ! t’es là, l’grand ? C’est gentil d’venir me chercher.

Son ton de regret dément l’affirmation. M’est avis qu’il devait avoir des projets d’avant rentrée, le bougre. Une copine à caresser, des pétards ou des Mars à acheter avec des potes.

Je le rassure d’emblée :

— Je ne viens pas te ramasser, l’artiste ; j’aimerais simplement discuter le bout de gras avec ton copain Bruno.

— Alors faut que tu vas attendre un peu, grand, il est toujours le dernier sorti parce qu’il fait chier le prof av’c des questions d’en supplément au cours. Le côté : « Est-ce que j’ai-t-il bien compris l’énoncé du théorème, m’sieur ? » ou « La compofranc, c’est bien pour lundi prochain ? ». Des trucs que tout le monde a pigés, lui l’premier, mais faut qu’il lèche à mort, histoire d’se faire bien voir.