Deux enjambées pour escalader notre perron à unique révolution. La porte s’ouvre sur Maria, tout sourires, fardée à mort.
— Zé vous a vou arrivate ! elle explique.
De la trouver sur le pied de guerre me donne à penser qu’elle est seule et compte fermement que nous profitions de l’aubaine.
— Ma mère n’est pas là ?
— Les Bérurier l’ont téléphono per demander si elle pouvate aller chercher Apollone-Zoule, l’a pris aune taxi et Toinet l’est partite avec.
Ils me plument, les pachydermes. Non seulement ils cloquent leur chiare à Féloche pour des séjours inopinés et sans durée préétablie, mais maintenant faut que ce soit ma vieille qui aille chercher ce fils des gorets à domicile ! Alors là, ils balancent le bouchon à des distances vertigineuses !
Maria a passé sa robe noire qui me porte aux sens et ceint son tablier empesé de soubrette. Je sais qu’elle est nue en dessous. Elle connaît mes fantasmes, la mère ! Tu la verrais trémousser du fion, la señorita ! Un mobile de Calder !
Bon, mec, pas fainéant du braque, je lui biche la taille. J’ai misé juste : pas la moindre pelure sous l’étoffe, pas le plus petit élastique de slip ! C’est tout bon. Y a un truc qu’on trouve assez plaisant pour nos ébats, c’est la grosse table de cuisine. La troussée soudarde, je raffole depuis ce jour où j’avais tromboné une gentille mercière dont l’époux était de repos dans leur logement du dessus. Elle ne portait qu’une blouse blanche sur ses formes plantureuses et fermes. Une merveille ! Je l’avais ajustée silencieusement et, tandis qu’on limait comme des braves, une petite fille était venue acheter une gomme (ma partenaire faisait également papeterie). La brave commerçante avait dit à la môme éberluée de repasser un peu plus tard. Un chouette souvenir.
Maria, je la pousse vers l’office, qu’elle remplisse un peu le sien. Ah ! dis donc, elle ne se le fait pas répéter deux fois. La voilà qui se trousse en marchant. Côté de la botte de persil, c’est luxuriant chez mon ancillaire. Elle foisonne de la touffe, l’Ibérique. Faut lui faire la raie au milieu pour se frayer le passage. Bon, la voilà en batterie, les avant-bras sous la pliure des genoux, parée pour l’embroquage express. Dans le fond, ça me peine un peu, cette précipitation. Y a que les servantes qu’on carambole en catastrophe, sans préalable ni taquineries émoustilleuses.
De quel droit on les bâcle, ces mignonnes. Pourquoi réservons-nous nos prouesses aux pimbêches maniérées ? Le remords m’incite à la charité. Bon prince, au lieu de mettre flamberge au ventre, je m’agenouille pour lui pratiquer une tyrolienne de broussailles à déplacement giratoire. Je la jodle en opérant de nombreux changements de registre, passant de la voix de poitrine à la voix de tête de (nœud) et vice versa. Dès lors, elle sait plus bien ce qui lui arrive, Maria. Une telle félicité, c’est pas dans son bled andalou qu’elle a pu en entendre causer.
Là-bas, ils font des « Olé ! Olé » tant que tu voudras, mais la minette modulée, connaît pas ! C’est pas homologué sur les tablettes. Et même ce serait mal vu, malgré le socialisme.
La voilà qui se met à roucouler, puis à glouglouter avant de glapir pour tout de bon.
Depuis mon poste d’embuscade, je vous surgir Pinuche par-dessus le pubis échevelé de ma boniche.
Saboulé prince-de-galles gris foncé, avec lardeuss en vigogne, siouplaît, cravate tricotée noire sur une chemise blanche amidonnée comme un slip de collégien. Sa copine Adeline l’accompagne, dans un manteau bricolé par les prestigieux ateliers de la Maison Dior.
Homme d’expérience rompu aux choses de la vie, Pinuche me fait signe de ne pas interrompre ma royale performance.
Sa venue, ainsi que celle de son égérie, n’a pas troublé Maria qui, complètement envapée, pousse des glapissements, les yeux fermés, le bassin soubresautant. Moi, charitable avant tout, je continue de lui minoucher la case trésor en débridant toute la partie inervée de ma menteuse. Tu croirais un solo de balalaïka dans la période intense.
Que la porte est poussée une fois de plus et qu’entre le beau Jérémie, en pantalon chocolat, T-shirt bleu, blouson d’aviateur. Lui aussi se fige. Va pour dire, mais Pinaud le réfrène d’un index judicieusement perpendiculé devant sa bouche jaunie par la nicotine.
J’ai le sentiment gênant d’être M. Ambroise Paré expliquant la ligature des artères à ses élèves. Je n’ai rien d’un exhibitionniste, tu le sais, aussi fais-je contre mauvaise fortune bonne minette à cette charmante soubrette qui, moyennant un salaire convenable certes, mais néanmoins modeste, trouve le moyen de faire l’amour en supplément du ménage. Gloire à cette humble, à cette sans-grade, qui met ses fesses et ses bras au service d’un patron dévergondé. Le Seigneur puisse-t-Il la protéger, cette belle âme velue ! Combler de grâces infinies ce cœur simple et pur et préparer une vie éternelle à chier partout à cette vaillante fille d’Espagne. Amen.
Comme elle tortille et hurle carrément, la môme Adeline ne se sent plus et, parant au plus pressé, palpe l’entresol Renaissance de M. Blanc où s’avance un balcon qui n’était pas là deux minutes plus tôt.
Jérémie, tu penses, sa génératrice est sur le point de sauter. Il ouvre large la porte à l’alezan fougueux. Adeline, devant cette superbe manifestation de l’étalon, tombe comme moi à genoux afin de mettre en marche la pompe d’éviction.
Pinuche, attendri, bénit les foules en rut. A son âge, même si votre ticket est encore valable, il n’est pas désagréable d’en prendre un supplémentaire.
Je monte la fréquence. Maria perd tout contrôle et crie en espago, plus fort qu’à la corrida, kif lorsque le torero embroche son bestiau d’un seul coup d’un seul.
Elle est arrivée au terminus de l’extase, là que la dure réalité te réempare. Une clarté trop intense rejoint les ténèbres.
Après l’éblouissement, le schwartz ! Elle demeure un moment inerte, juste ses roploplos qui se soulèvent. Puis elle ouvre les châsses et aperçoit, à la renverse, l’honorable société qui l’entoure.
Les Espingotes, tu les sais ? Ardentes mais pudiques. Voire pudibondes ! Elle pousse un grand cri de mouette chahutée par le vent du large, bondit de la table et se sauve, bousculant M. Blanc pile qu’il partait à dame, le chéri. Adeline paume la cargaison qu’elle se promettait tant de plaisir.
Je vais à l’évier me refaire un palais convenable. N’ensuite de quoi, je salue mes visiteurs. Qu’entrez donc, vous allez bien prendre quelque chose ? Maria, affolée d’avoir montré son moule à gaufre à l’assistance, reste barricadée sur ses terres et c’est bibi qui dois aller à la cave (une fois de plus), chercher du vin blanc digne du palais pinulcien, ainsi qu’un porto de cinquante ans d’âge pour sa belle, laquelle a la mâchoire un peu écarquillée par la féroce chibrance de Jérémie.
Les uns les autres, on oublie cette sotte période de débordement sexuel, tellement inopinée que personne n’a pipé, d’ailleurs.
Je mets un peu de musique afin de détendre l’atmosphère. Ça joue justement la dernière chanson de Patricia Kass, une mouflette que je révère parce qu’elle possède plus de talent que tout ce qu’on a joué sur Europun depuis le début de la semaine dernière.
— Je viens d’apprendre que tu as été victime d’un attentat ? demande Pinaud en humant son Pouilly fumé.
— J’en ai été l’objet, non la victime, rectifié-je.
— Heureusement ! exclame Adeline. Un homme qui broute aussi formidablement que vous, c’eût été une perte irréparable !
César sourit.
— Ecoute-la ! Ah ! ta prestation n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde !
Il nous sermonne d’un index indulgent, elle et moi :
— Je sais bien qu’Adeline n’aura de cesse que tu lui eusses accordé cette petite faveur, Antoine. Note que, sans vouloir me vanter, la minette est un exercice auquel j’ai toujours excellé ; mais, hélas, je deviens moins performant depuis que je suis trahi par mon asthme, car elle nécessite une grande autonomie respiratoire. Je suis convaincu que des hommes rompus à la plongée sous-marine, tel le commandant Cousteau, devaient accomplir des prouesses en la matière. C’est d’autant plus probant, pour l’excellent commandant Cousteau, qu’il dispose d’un long nez, lequel peut jouer un rôle d’appoint intéressant, en l’occurrence.
Il se tait pour boire.
Moi, pendant sa déconne, j’ai gambergé, selon ma belle habitude.
— Voyez-vous, dis-je, dans cette affaire, tout est inversé. L’homme dont je pensais qu’il me mentait disait vrai et celui que je croyais m’emmenait en bateau.
— De qui parles-tu, Antoine ? demande César en pourléchant sa moustache emperlée de vin blanc.
— De l’avocat marron et du clochard philosophe, mon biquet. Maître Krackzyblum (en définitive je lui restitue son blaze de départ, au diable les mauvais esprits !) m’annonce qu’on veut m’abattre. Ça me fait hausser les épaules mais, effectivement, on défouraille sur moi. Par contre, le bon clodo gentil et pittoresque qui m’a prévenu que le petit devin avait crevé mon boudin me berlurait. J’ai la conviction que le gosse n’était pour rien dans cette déprédation.
— Qu’est-ce qui te le donne à penser ?
— Une converse que je viens d’avoir avec le môme. Je commence à cerner un peu cet étrange petit bonhomme. Mais trêve d’appréciations, où en êtes-vous de vos activités, Blanc et toi ? Je suppose que c’est pour me fournir un rapport que vous êtes arrivés presque de conserve et inopinément ?
Les deux se considèrent mutuellement, avec sympathie. Contrairement au sieur Bérurier, Pinaud n’est point jaloux de l’affection que je porte à M. Blanc et ne fait montre d’aucun racisme primaire à son endroit (pas plus qu’à son envers). Il lui témoigne même une amitié de bel aloi et ne prend pas ombrage, bien au contraire, de la superbe pipe en écume de mer qu’Adeline lui a confectionnée dans la chaleur de l’instant, au débotté des passions.
— Veux-tu parler le premier, cher Jérémie ? s’enquiert la ci-devant Vieillasse avec force civilité.
— Je n’en ferai rien, à vous, monsieur Pinaud, retourne du même ton mon bronzé congénital.
— Fort bien, accepte César. De ma petite enquête, il appert…
— De burnes, placé-je, car tu connais mon incorrigibilité.
Le cher homme a la bonté de sourire d’une boutade qui ne ferait même pas marrer un garde champêtre, et poursuit :
— Il appert que la tante de Toinet, la femme Turpousse Maryse est à la colle avec un brocanteur du nom de Justin Verbois, lequel habite le même immeuble que les Malvut. Le bonhomme aurait connu des tracasseries judiciaires pour recel à différentes reprises de sa vie. Quand la Turpousse a eu purgé sa détention, c’est chez Verbois qu’elle a couru se réfugier, ce qui indiquerait qu’ils se connaissaient de longue date. J’ignore si elle entretient des relations avec Bruno Malvut ou ses parents, mais on peut le supposer. Voilà, c’est tout.
— Félicitations, Pinuche. Je vois que la fortune n’a pas émoussé tes proverbiales qualités d’enquêteur.
Il bat des ramasse-miettes afin de notifier sa modestie.
— Le métier c’est le métier, Antoine. Il en va des qualités professionnelles comme de l’amour : tu t’y montres brillant ou nul. Si mes étreintes de feu font crier Adeline de bonheur, c’est parce que le don de l’œuvre de chair m’a été accordé au berceau par des fées bienveillantes.
— Bienveillantes et salopes ! appuyé-je.
— Heureusement, se réjouit César. Bon, à toi, cher Jérémie, de nous livrer ta provende.
M. Blanc rêvassait, sa dextre négligemment passée dans le décolleté d’Adeline dont il titille les boutons moletés comme pour essayer de capter sur la modulation de fréquence un émetteur confidentiel.
— Moi, commence-son-récit-il, je me suis donc occupé de ton avocat de mauvais augure. Ce triste maître demeure boulevard Saint-Marcel, dans un vieil immeuble en piteux état. Son cabinet et son appartement s’y confondent, de même que sa concubine lui tient lieu de secrétaire, à moins que ce ne soit le contraire. Cette personne est une virago de la pire espèce qui n’ajoute rien à son standing.
« Assez jolie mais d’une vulgarité sédimentaire qui fait froid dans le dos d’un nègre. Elle ne peut prononcer une seule phrase sans y inclure une grossièreté ou un terme argotique de basse inspiration. Quand je me suis présenté à l’étude, elle était dans tous ses états et n’a fait aucune difficulté pour me donner la raison de sa surexcitation. Maître Krackzyblum venait de partir en voyage sans l’en avertir autrement que par un mot laconique laissé en évidence sur sa machine à écrire, et sans lui fournir la plus petite explication quant à sa destination ni à l’objet de son déplacement. Elle hurlait que ce rasta de merde la doublait, qu’il était toujours partant pour suivre le premier cul malodorant de passage, et autres choses qui eussent dû rester confidentielles mais qu’elle lançait à tous les échos.
« Lorsque la tempête s’est quelque peu calmée, j’ai tenté de lui tirer les vers du nez à propos de la visite qu’aurait rendue un malfrat à Krackzyblum récemment. Elle s’est marrée férocement en glapissant que si elle devait tenir un répertoire de tous les truands vrais ou faux qui défilaient dans cette officine, il lui faudrait un ordinateur. Après quoi, elle m’a demandé s’il était exact que les Noirs ont une grosse queue ; comprenant alors que les choses risquaient de dévier et peu soucieux de me laisser violer par une houri pareille, j’ai battu en retraite. »
Il passe sa belle langue violine sur la paire de charentaises pourpres qui lui tient lieu de lèvres et ajoute :
— C’est tout ce dont je dispose pour l’instant. J’ajouterai toutefois que maître Krackzyblum est parti en laissant sa voiture et qu’il a emporté un appareil enregistreur dont il se servait parfois pour préparer ses plaidoiries.
— Ce n’est pas si mal. As-tu relevé l’identité de la concubine-secrétaire ?
Si Jérémie était pigmenté différemment, il est probable qu’il rougirait. Là, il chocolate seulement.
— Je vais te faire un aveu, San-Antonio…
— Tu n’y as pas pensé ? lui allé-je au-devant.
— C’était une telle furie ! On ne demande pas son nom à un typhon !
— Et pourtant il en porte un, fais-je : ridicule la plupart du temps.