« J’ai baisé des Américaines du Nord, du centre et du Sud, des Asiatiques et des Arabes (ce qui n’est pas aisé : les secondes parce qu’elles sont farouches et les premières parce qu’elles sont étroites), des Africaines, des Océaniennes, des Russes, des Allemandes (en quantité ! toujours ça que les boches ne tireront pas !), des Anglaises (ma folie), des Italiennes, des Espagnoles (le feu occulte), des Scandinaves (on the rocks), des Roumaines, des Hongroises, des Polonaises, des Bulgares, des Turques, des Grecques, des Irlandaises (attendrissantes), des Tchèques, des Chypriotes, des Monégasques (c’est pas un rocher, c’est un trou !), des Suissesses, des Portugaises, des Lapones.
« J’en ai baisé des jeunes, des vieilles, des grandes, des petites, des grosses, des mafflues, des locdues, des imberbes, des velues comme l’astrakan, des superbes, des blondes, des brunes, des rouquines comme toi, des dévergondées, des pétasses, des innocentes, des très religieuses, des aveugles, des sourdes, des culs-de-jatte, des manchotes, des siamoises, des juives, des calvinistes, des catholiques, des bouddhistes, des confucianistes, des agnostiques, des musulmanes, des clitoridiennes, des fellatrices, des lesbiennes, des connes, des riches, des pauvres, des princesses et même une qui était intelligente.
« Oui, Rouillé, j’ai baisé ce que je viens de t’énumérer et qui ne représente que le dixième de la moitié du quart des femelles que j’ai fourrées. J’ai niqué tout ce joli monde et mille fois davantage, mais je n’ai pas sauté ta rombière ! Fais-toi une raison, valeureux lauréat du prix Cognacq, jamais mon membre épanoui n’a connu ni ne connaîtra la babasse exténuée de ta malheureuse épouse. Si elle a prétendu le contraire, elle a menti, et on la comprend de céder au péché quand on est soupçonnée d’un aussi glorieux coït ! Cette lettre est un faux et je vais te le prouver. »
Je saute sur le bloc qui nous sert à marquer nos points quand on joue au scrabble, m’man et moi, dégaine mon stylo.
— Je vais sous tes yeux de lapin russe hépatique te fournir un exemplaire de mon écriture, figure de fifre. Tu iras le comparer avec ta missive à la gomme.
J’écris :
Mathias est un sale con à la raie duquel je pisserai tant qu’il me sera octroyé de pouvoir remplir puis vider ma vessie.
San Antonio
Je glisse ce rare document entre les doigts du Rouquemoute.
— Et maintenant, taille-toi, déjection ! Quand on voit ta gueule, on rêve de devenir Ray Charles.
Mon discours virulent l’a déconcerté. Il se retire d’un pas d’automate dont les piles commencent à être nases.
Nous demeurons quelques instants sans parler, puis un rire profond, intense, violent, un rire en forme de bourrasque nous secoue. On se dit rien. On se regarde et on rigole ! On se claque les jambons ! S’étouffe ! Pouffe ! Pleure ! Se courbe en deux, en trois ! S’enroule !
On risque de se marrer jusqu’à ce que mort s’ensuive. Oui : l’asphyxie nous guette. On va éclater de trop éclater de rire. Quelque chose nous disloque le zygomatique, la rate, les soufflets. On s’exténue de se tordre pareillement.
La survenance de Maria-la-bellement-bouffée, accroît encore cette rigolâtrie éperdue. Elle parle. Comme on n’entend pas, elle crie. Et ça dit :
— TÉLÉPHONE !!!!
Bon, la réaction s’opère. Le ronfleur, ça veut dire que la vie continue et qu’elle n’est, après tout, pas si marrante qu’on le rit.
Je décroche.
C’est m’man. Sa voix blanche ! M’man en désespoir. M’man en perdition.
— Antoine ! s’écrie-t-elle, la vilaine femme de l’autre soir vient d’enlever Toinet !
IL Y A LÀ BÉRU,
BERTHE ET APOLLON-JULES…
Il y a là Béru, Berthe et Appollon-Jules. Il y a là Pinaud et son Adeline très salopiote. Il y a là M. Blanc ! Et il y a même Maria, égosillante, pleureuse noire d’avant l’heure, qui a sauté dans la caravane du courroux, dans la caravane du désespoir pour rallier l’appartement des Béru, P.C. de l’événement.
Et puis il y a surtout ma Félicie. De marbre gris veiné de gris. Tout est gris chez elle : sa peau, ses yeux, ses cheveux et ses vêtements. Et je sais, moi qui la connais comme si elle m’avait fait, que son sang devient gris, lui aussi, dans les méandres de ses veines grises.
Elle ne pleure pas, mais sa voix fait peur. Une voix que je ne lui connais pas. Une voix qui arrive de l’au-delà.
Elle dit, cette pauvre voix :
— Ils devaient nous suivre depuis la maison. Lorsque nous sommes arrivés devant chez nos amis Bérurier, j’ai demandé au chauffeur de nous attendre afin de nous remmener. Il a ergoté. Il voulait tout d’abord que je lui règle la première course. Ce que j’ai fait. Pendant que je fouillais mon sac, j’ai entendu un cri. Je me suis retournée. La tante de Toinet était en train de le fourrer à l’intérieur d’une auto, aidée d’un grand type brun que je n’ai aperçu que de dos. Je me suis précipitée, mais déjà la voiture en question démarrait. Je n’ai eu que le temps d’apercevoir le pauvre visage apeuré du petit par la vitre arrière qui m’appelait à l’aide !
Deux chastes larmes descendent lentement sur ses chères joues. Je la saisis par l’épaule.
— Ne te ravage pas le tempérament, m’man. Tu sais bien qu’on va le retrouver en deux coups les gros, ce garnement. De toute manière, y a pas de craintes à avoir pour sa vie. La salope de tante voulait le récupérer, pas le couper en quatre !
— Mais il doit mourir de peur ! lamente Féloche.
J’efforce de rigoler.
— Lui ! Tu n’y penses pas. Son prof de français, que j’ai vu tantôt, me disait que, pas plus tard que la semaine passée, Toinet a essayé de déculotter l’une de ses condisciples dans le labo de langues !
— L’endroit était tout indiqué ! gouaille l’Ignoble.
La Berthe amène son grain de gros sel :
— Faites-vous pas d’souci, maâme Félicie, en attendant qu’on l’retrouve, vous allez avoir Apollon-Jules dont c’est avec beaucoup d’volontiers qu’on vous confie la garde, moi et ce sac à merde !
— C’est vrai ! renchérit Alexandre-Benoît. Ça vous fait une compagnie qui tombe à pic.
Leur indécence choque la société, mais personne ne la souligne. Ils sont ainsi, les Infâmes.
Deux valoches aussi ventrues qu’eux, consolidées par des lanières de cuir et des pansements de sparadrap attendent dans l’entrée.
— C’est pas qu’on se fait chier en vot’ honorab’ compagnie, mais faut qu’on va partir, annonce Béru, not’ dur n’attendra pas.
Il explique aux retardataires que sa baleine et lui se rendent dans le Midi au mariage d’une nièce. Les festivités dureront deux ou trois jours.
Berthe avertit Félicie qu’Apollon-Jules met des dents, ce qui le fait pleurer souventes fois la nuit. Pour lui calmer la douleur, elle lui administre à chaque crise une tasse de marc de Bourgogne sucré à mort. Le monstre, assis sur une vieille couvrante, joue avec des cubes en vagissant des conneries. Il pèse deux fois plus que son poids idéal, l’apôtre, et ressemble à un goret de dessins animés. Obèse et rigolard, dodu, juteux, le regard frangé de cils presque blancs, déjà sanguin, déjà happé par la ronde des connards, fils de cons, con lui-même, mais avec un sourire tellement confiant qu’on s’en trouve attendri.