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Je me tiens adossé à la lourde, guettant la vie de l’immeuble. C’est plein d’une sourde et lointaine rumeur composée de toutes les téloches déchaînées (ou plutôt « chaînées »). Le gus d’aujourd’hui, faut qu’il s’ingurgite sa dose d’images avant d’aller au lit, sinon il est en manque. Sa télé, sa bagnole, son picrate qui tache et, comme dit l’autre, sa pommade contre les hémorroïdes, et le voilà paré pour l’existence mercenaire.

L’ami Ricoré se met à souffler du pif, un peu comme le fait Béru lorsqu’il est affairé. Avec l’éteignoir de cierges qui lui tient lieu de lunettes de soleil, il est paré pour le pompage d’oxygène en accéléré. Il fouit, le gars ! Tu dirais un boxeur qui s’est mis un oreiller dans la clape en guise de protège-dents.

Il examine le mur, les bouts de papelard figurant sur le compteur, ceux qui gisent au sol. Obstiné chercheur de truffes. Sanglier survolté ! Cherche, cherche, neveu de l’Oncle Tom auquel il ne manque aucune case ! Cherche, puisque tu as l’instinct qui te mène.

Ma pomme, je pense au pauvre clodo qui gît dehors, à deux cents mètres à peine dans ses guenilles. Saigné goret, le pauvre homme à l’identité quotidiennement renouvelée. Que savait-il de si grave qu’on n’ait pas hésité à le mettre à mort pour s’assurer de son silence (tournure de phrase à la con, en vigueur dans les polars chichoit).

J’évoque également le départ précipité de maître Krackzyblum. Cet avocat faisandé m’avertit qu’on veut me tuer et s’esbigne peu après, au grand dam (autre expression hautement merdico-conventionnelle) de sa secrétaire-concubine. Son départ précipité est-il en rapport avec l’avertissement qu’il est venu me donner à la maison ?

— Tu brûles, grand ? murmuré-je distraitement.

Il renfrogne un « zob » pas engageant.

Cet appartement pue le rance, la pouillerie, le vin répandu, donc vaguement le dégueulis. C’est d’une effroyable tristesse. Je comprends que la Maryse n’ait pu s’y attarder longtemps. La cellule qu’elle occupait à sa centrale devait être plus joyce !

Il a fini d’explorer, le Noiraud. Alors il prend l’annuaire téléphonique posé sur un tabouret de formica, s’obstrue l’oignon avec ledit, gardant le book pététesque sur ses genoux.

— On se taille ? je demande. Ça manque d’ambiance.

M. Blanc feuillette l’annuaire. Page après page, en se mouillant le médius à chaque feuillet, au risque de se déshydrater.

— Minute, répond-me-t-il.

Je vais au réfrigérateur et l’ouvre. J’y trouve du pâté de campagne d’un jaune pas sympa, quelques endives fanées, une plaquette de beurre, des œufs, des boîtes de bière et, dans un compartiment à part, des médicaments. Je potasse leurs notices et me rends compte qu’ils traitent les problèmes sanguins. Il semblerait donc que la Maryse Turpousse soit véritablement malade. Est-ce à cause d’elle que le clodo a été égorgé ?

Comme Jérémie paraît déterminé à passer tout son bouquin en revue, j’empare le ronfleur afin de grelotter à m’man. S’agit pas de la délaisser, ma vieille. Elle traverse une méchante épreuve. Elle méritait pas un fils comme moi, lâché dans une existence aventureuse où chaque aube est une victoire. Elle s’attend toujours à ce que des collègues à moi viennent la trouver, la frite en berne, pour lui annoncer ma mise en l’air anticipée.

Si j’avais gratté au Crédit Lyonnais ou à la B.N.P., elle serait quiète, ma Féloche. Grand-mère, probable, au lieu de se disperser sur du produit d’appoint, style Toinet ou Bérurier junior ! Faudrait que je me décide avant de trop décrépir, à lui fignoler une descendance homologuée, m’man. Qu’elle pouponne un vrai grand coup avec un chiare qui, peut-être, ressemblerait à papa. Oui : je vais lui faire un gosse à ma chérie. Voilà, je prends l’engagement solennel en composant notre numéro.

— Ah ! mon petit, c’est toi ! Tu as du nouveau ?

— Ça bouge, m’man, mens-je. De toute manière, ne t’affole pas, je viens d’apprendre que la tante Turpousse est leucémique ou un truc de ce genre. Ses jours sont comptés et c’est parce qu’elle a voulu goûter un peu aux joies de la famille avant de crever qu’elle…

— Pauvre fille ! soupire Félicie.

Voilà qu’elle la plaint ! Tout maman !

— Si elle avait parlé franchement, elle aurait pu venir à la maison et le prendre avec elle, de temps à autre. Nous aurions trouvé un arrangement.

Je perçois des voix féminines auprès d’elle.

— Tu as du monde ?

— Les sœurs de Maria. Figure-toi que la pauvre mignonne était tellement bouleversée par cette histoire qu’elle a eu une crise de tétanie en rentrant à la maison. J’ai fait venir notre docteur. Il lui a ordonné du repos et du magnésium. J’ai prévenu ses sœurs pour la bonne règle. Elles dormiront cette nuit dans la chambre à donner.

Cette solution me rassure. Ainsi ma Félicie sera-t-elle moins seule.

Je me demande si ma vieille est au courant pour Maria et moi ? Elle doit se douter de quelque chose, elle est tellement finaude, m’man ! En tout cas c’est pas la bonne qui s’est affalée, les ancillaires savent fermer leur gueule, c’est ce qui fait leur charme et justifie les augmentations qu’on leur accorde.

— Tu rentres cette nuit, Antoine ?

— Bien sûr.

Pour une fois, ça la déçoit. Elle me préférerait sur le sentier de la guerre, courant délivrer notre foutu garnement des griffes de sa tante.

Comme je raccroche, le négro murmure :

— Viens voir quelque chose !

Il garde un doigt appliqué sur un petit encadré figurant dans le fort volume et, de son autre main, maintient en place un feuillet sur lequel a été griffonnée une liste de mots.

— Qué zako ? interrogé-je en espagnol.

Il tapote l’encadré.

— Ceci, c’est les coordonnées d’une maison spécialisée dans la vente d’appareils chirurgicaux.

Il soulève le feuillet griffonné.

— Et ça, c’est une liste d’ustensiles également chirurgicaux. Tu suis la relation ?

— Parfaitement. Il semblerait que quelqu’un d’ici ayant l’intention d’acheter un équipement, ait cherché une adresse et se soit décidé pour celle-ci ?

— On l’a effectivement encadrée au crayon bleu.

Il relève l’adresse et le turlu de la maison de commerce.

— Demain, je vérifierai, déclare-t-il.

— A quoi penses-tu ?

— Comme toi, je suis convaincu que la femme Turpousse a fait l’acquisition des appareils nécessaires à ses soins ; probablement parce qu’elle compte s’isoler dans un bled où il ne lui sera pas possible de les obtenir.

— Bien vu. Voilà qui peut nous fournir une piste.

On replonge dans les froidures de la nuit. M. Blanc désigne le tas sombre, à quelque distance.

— Que faisons-nous pour cézigue ?

— Des prières, dis-je ; que veux-tu faire d’autre ?

— On ne prévient pas police-secours ?

— Pour qu’ils nous fassent chier avec des rapports, témoignages et autres paperasseries ?

Alors on se renfourne dans ma tire. Ou du moins on va pour. Mais moi, tu connais mes prompts réflexes ? Quand j’enquille la gourmande dans la serrure et que je constate que la porte n’est pas verrouillée, n’aussitôt des alertes me surgissent dans l’entendement. Car j’avais lourdé ma caisse ! C’est chez moi un réflexe auquel je ne coupe jamais.

— Ecarte-toi, Bambino ! dis-je entre mes ratiches assermentées.

Lui, un vrai berger allemand ! Il obéirait à un ultrason produit par l’anus d’un escargot. Cabriole arrière.