— T’as des doutes, Sana ?
Je braque le faisceau de ma fameuse loupiote-stylo (un vrai rayon laser) sur mon volant, puis sur le tableau de bord.
— Non, Noirpiot : une certitude. Tu aperçois ce fil noir qui pendouille légèrement sous le compteur de vitesse ?
On va turluter au service de déminages des mineurs. Chemin faisant, je lève les yeux sur l’immeuble des Malvut. Il commence à y avoir davantage de fenêtres éteintes que de fenêtres éclairées. Il me semble apercevoir une silhouette embusquée à une croisée obscure de l’étage qu’habitent les « mages ». Mais c’est si vague, si imprécis, que je dois faire un peu d’autosuggestion sur les bords.
PENDANT QUE L’ÉQUIPE DES ARTIFICIERS
EST AU TRAVAIL…
Pendant que l’équipe des artificiers est au travail, j’appelle un taxi pour qu’on se fasse reconduire à nos domiciles respectifs, Jérémie et moi. Je me dis que du train où vont les choses, ma rutilante Maserati risque de ne pas finir l’année, et son valeureux conducteur pas davantage.
Dis, ils sont pugnaces, les mecs intéressés par ma peau ! A force de me persécuter, ils vont finir par m’avoir ! Ils doivent me surveiller de près, me filocher, guetter le moment propice ; et moi, chat échaudé craignant l’eau froide, j’ai beau ouvrir l’œil, je ne m’aperçois de rien. Ça énerve, une situation comme celle-là.
Le sapin me crache devant notre pavillon.
— Quelle heure demain, et où ? demande M. Blanc.
— Demain, mon vieux Sherlock arboricole, tu t’occupes des fournitures qu’aurait commandées la vieille bique malade.
Il me saisit le biceps au moment où je vais sortir de la Pijot.
— Antoine !
— Oui ?
— Tu fais gaffe à tes os, vieux ? J’aime pas trop ce micmac.
Je ricane :
— Si je ne faisais pas attention, la peau de tes roupettes serait présentement étalée sur le parking des Malvut, comme la toile d’un parachute après le saut !
Le bahut redémarre, piloté par un Asiatique morose. Le genre de Chinois dont la famille tient un restau où non seulement on te donne à claper des boulettes de Canigou, mais aussi, ceux qui sont censés les consommer (à la sauce piquante, tu te poses pas de questions).
Je remonte notre allée à pas d’oisif. J’aime à respirer le froid craquant de la nuit. Le ciel est consterné d’étoiles, comme dirait le Gros, et notre pavillon complètement éteint.
Je pose mes grolles pour gravir les marches un peu geignardes. Colle ma baffle contre la porte de m’man. Ne percevant rien, j’entrouvre à pas de loup (dirait toujours Sa Majesté). Le souffle régulier un peu sifflant de Félicie me rassure. Ma vieille a dû gober un sédatif et elle dort calmos. J’en suis content et ému. Toujours, il me fait doux et triste, le sommeil de maman. Un peu comme si elle me trahissait en dormant.
Je relourde silencieusement pour gagner ma chambrette. Me dépoile en un tourne tu sais quoi ? Main ! Me dénude comme un verre (un ver c’est trop dégueulasse) et vaque un instant dans la pièce. A quoi ? A presque rien : je prends connaissance du courrier qu’on a déposé sur mon bureau. Pas de factures, m’man assume la comptabilité de la maisonnée ; des lettres de gonzesses que j’ai pas tirées depuis lurette et qui réclament de la moulasse. Une revue de Montréal qui voudrait me faire écrire un papier sur la police française, une carte postale from Japan, d’un ancien collègue qui a gagné au loto.
Il me semble entendre un pouffement. Je me retourne et qu’aspers-je ? Deux mignonnes brunettes en culotte dont les frais minois s’insèrent par l’échancrure du corsage de la porte. Leur ressemblance avec Maria me livre leur identité : les frangines.
Des jumelles ! Vingt piges, mignardes à en faire triquer un gus venant de subir l’ablation des roustons.
Tu parles de petites effrontées ! Je suis nu comme un vers (d’Hugo) et au lieu de battre en retraite, ces pécores s’égosillent la rétine à m’admirer l’académie ? Peut-être parce qu’elles ne voient que mon dossard ? Pour mesurer leur degré de viceloquerie je me tourne face à elles.
— Hello, mes biches ! lancé-je, malgré mon horreur du franglais.
Là, elles cessent de glousser. Faut dire que Mister Zifolo est prompt à la détente. Tu lui montres deux greluses en slip, avec des petits nichemards affûtés au taille-crayon, et hop ! il fait cocorico, le bougre. Les filles, ça les estomaque, un chibre pareillement calibré. Se croivent (Béru dixit) à Cap Carnaval, au lancement de la fusée Apollo. De la voir dodeliner de sa belle tête casquée, elles n’ont plus envie de se marrer le moindre.
— Eh bien, entrez, mes chéries ! invité-je. On est en ventôse et on va tous avoir la chair d’autruche !
Elles entrent, presque timides tout à coup. Civil, malgré ma bite à l’air, je m’avance et les empare par la taille. C’est doux et tiède : un velours.
— Alors, vous êtes les sœurs de Maria ?
— Si, qu’elles me philippinent en chœur.
— Comment vous appelez-vous ? Toi, par exemple, fais-je à la jumelle de gauche.
— Conchita !
— Whouah ! j’adore. Et toi ? demandé-je à celle de droite :
— Isabella.
— Magnifique ! C’est gentil de venir me voir.
— On avait entendu du bruit ! plaide Isabella.
Le délicieux accent ! Leur aînée n’est que le brouillon de ces exquises ! Un coït d’essai du señor Carcavello Juan, leur paternel. Il a fait un test-foutre avant d’oser son œuvre capitale. La Maria, c’était juste pour voir si ça venait bien au tirage. La photo polaroïd que prennent les reporters-photographes pour étudier la composition avant de verger au Nikon.
D’une double et puissante détente, je les presse contre moi ! Ça donne une marmelade de viande exquise, Denise ! Elles se laissent comprimer en souriant. Pas farouches pour des Espingottes. Comparée à ses cadettes, Maria c’est Bernadette Soubiroute. Dix piges d’écart ont modifié la mentalité sexuelle de l’Espagne. Notre soubrette appartient encore à l’ancien régime. Elle a les mœurs franquistes, la grande. Ces petites radasses, par contre, doivent se faire piquer docilement, sans sortir leurs complexes de gala.
Moi, tout spontanément, en bouc ébloui par l’aubaine, je les drive jusqu’à mon pucier. M’est déjà arrivé de grimper des jumelles. Fascinant, t’as l’impression de faire l’amour avec un papier carbone. Sur les deux, t’en as une qui brosse en play-back, fatal.
Je les sardine en travers du pieu. Féerique ! Les voir aussi pareilles, lascivement étendues sur ma couette, crois-moi, ça décoiffe !
Elles commencent aussi sec un jeu exquis : Conchita m’empoigne le gouvernail de profondeur, au ras du gazon. Isabella en fait autant ; puis Conchita m’empare au-dessus, puis de nouveau Isabella. Conclusion, ne reste à l’air libre que le beau visage rubicond du sieur Bigzob.
Elles éclatent de rire.
Je les laisse à leur morceau à quatre mains pour les entreprendre en même temps avec les deux miennes. Ce que je voudrais être Bouddha qu’on se marre un peu plus mieux. Caresses de ces adorables touffes. Puis action conjuguée de mes chers médius. C’est beau d’être ambidextre ; dans le cas présent, je préfère ça plutôt que d’être nyctalope.
Ah ! dis donc, l’Espagne c’est quelque chose. Mon estime pour Charles Quint grimpe à toute vibure. Même Juan Carlos, je le prends en haute considération, à constater le tempérament de la famille Carcavello. Je me dis que, pour peu que la daronne de ces diablesses soit pas trop ravagée des castagnettes, je serais chiche : de lui interpréter sombre héros et mantille à prix de faveur, pendant la féria de Séville.
On s’embarque à la mollassonne pour une opération de grand style, je te garantis. La fièvre monte à El Paso ! Oh ! la tortilla ! Des reptiles sectionnés, les jumes. Mon tronçon, nos voleurs ! Je les butine à mort avec une omniprésence d’esprit inouïse. A toi, à elle, à celle-là, à toi ! Le tactile en délire, le pif en secours ! La bouche pour flûte traversière ! Le membre pour flûte traversin. Hardi ! A pile ou fesses ! De gauche et de droite. Urbi et orbi. Cataclystique, l’Antonio. Sabre au clerc ! comme disait un notaire pédoque. Les deux gosses, pourtant habituées aux corridas, n’en reviennent pas de ma façon de toréer. Faut pas donner priorité à sa coxarthrose quand t’es confronté à des situations de ce genre. Estoquer sans cesse. Estomaquer ! Tout dans la vigueur et l’invention. Le pégreleux qui confond amour avec bilboquet, se prend le paf dans le tapis ! Impossible de s’économiser. C’est la goinfre sauvage ! Le don total de soi et l’exigence intégrale vis-à-vis des partenaires.