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— Pour sûr, ça c’est bien vrai.

— Dis voir, Tonton, à propos des autres, rien de neuf ?

— Rien, ma fille.

— Tu ouvres l’œil ?

— Et comment.

Moi, je charbonne ardemment ! Voilà que j’ai la salope en ligne et que pas le moindre moyen de repérer d’où vient son appel. Le temps d’alerter Blanc, qu’il trouve un bigophone dans le secteur… Non, in the babe, Antoine ! Que faire ? C’est un supplice en comparaison duquel celui de Tantale était moins grave qu’une envie de glace à la fraise. Risquer l’atout pour la toux ?

— Dis voir, fillette, s’il y a du grabuge…

— Oui ?

— Pour te prévenir ?

— Oui ?

La voix change, la méfiance l’investit à la vitesse gravée (comme dit le Mahousse, pour grand V).

— Toujours comme on a dit ? continué-je.

Et crac ! on coupe la communication. Zobé, l’Antonio ! D’un coup, la bourrique a pigé que c’était pas le vieux broc qu’elle avait en ligne, mais un gonzier qui la chambrait. Le doute issu de ma voix, aurait écrit Jean-François Rebel, devait déjà lui titiller la gamberge ; ma question, dans son évasiveté, a été le couteau qui fait déborder le gaz. Maintenant, la voilà sur le qui-vive, la moribonde ! Mister Bruno est là, qui m’observe de son unique lumignon. Pâlot, fluet, émanation de la nuit. Quel étrange petit être dont l’enfance doit être saccagée par son « don » et par l’exploitation qu’en font probablement ses parents. C’est tragique, un gamin qui rate sa prime jeunesse. Inhumain.

Je raccroche.

M. Blanc n’est plus en vue.

— Sais-tu où est mon inspecteur ? demandé-je au gosse.

Il me désigne l’allée sinueuse.

— Je crois qu’il a filé par là.

Je sors du cagibi. Hèle :

— Tu es là, négus ?

— Oui, et pas seul ! Viens voir.

Je fonce à travers les pouilleries du vieux, parcours une dizaine de mètres (cubes) dans une étouffante odeur de grenier, respirant un air saturé de poussière qu’aucun allergologue n’a jamais réussi à homologuer.

M. Blanc est debout dans une sorte de rotonde qui marque le centre de l’entrepôt. Devant lui se trouve la baignoire de Marat (ou du moins sa cousine germaine). Comme dans l’imagerie historique, un bras pend hors du récipient de zinc. Je découvre également, dépassant de la partie haute, une touffe de cheveux blancs.

— Ne t’approche pas, petit ! lance mon pote à Bruno.

Mais tu penses ! Un gonzier, qu’il soit môme ou vieillard, mâle ou femelle (voire hermaphrodite), tu lui annonces un cadavre, il vient renifler, comme un cador hume une charogne.

Le « tonton » Verbois est assis dans sa baignoire maratienne, la gorge tranchée exactement comme le fut celle du clochard sans patronyme ni domicile fixes.

Même boulot. Crac ! La corgnole sectionnée d’une oreille à l’autre. Il porte, de surcroît, à la nuque, une plaie causée par un instrument contondant, lequel gît auprès de la baignoire. En l’occurrence, il s’agit de l’outil le plus absolument contondant qui soit : un marteau à grosse tronche et à manche court.

Probable que l’agresseur du vioque l’a entraîné à l’écart sous prétexte, sans doute, d’empletter une bricole. Il l’aura estourbi, placé dans la baignoire pour lui cigogner la gargante au razif, ce qui est plus propre. Le sang a coulé d’abondance sur le veston cradingue du vieux, puis s’est rassemblé dans le fond du récipient.

Dis donc, ça se gâte, on dirait !

Le môme Bruno éclate en sanglots. Il caresse la tête dévastée du mort en murmurant :

— Je l’avais vu ! Je l’avais vu ! Et je suis arrivé trop tard…

Jérémie l’arrache vivement.

— Laisse, gamin, tu vas tout te dégueulasser ! Regarde tes mains. C’est pas un spectacle pour les enfants. Va te laver…

Ma pomme, j’arrache la toile d’un divan crevé et j’en confectionne une sorte de sac dans lequel je glisse le marteau en saisissant celui-ci par la tête.

Les données de l’affaire se compliquent. Dans cette histoire, on liquide dur, brusquement. Sont-ce les mêmes gens attachés à ma propre mort qui ont shooté de l’existence l’avocat, le clodo et le brocanteur ? Qu’avions-nous en commun, eux et moi ?

On ferme l’entrepôt à clé et je glisse ladite sous un pavé près de l’entrée. Pensifs, nous rallions la vieille Juva bleu gendarme de M. Blanc.

Les idées dansent une gigue éperdue sous ma calotte.

Je pense à ce coup de turlu de la salope de tante Turpousse (du goulot). Qu’a-t-elle dit à son « oncle-amant-complice » ? Qu’elle était installée et que son traitement allait bientôt commencer, non ?

Ce qui me turlupafe c’est pourquoi, étant très malade, elle a choisi cet instant pour nous ravir son neveu ! Les sentiments familiaux, restés en veilleuse si longtemps (elle n’a jamais écrit une seule fois à Toinet pendant ses dix années de détention) se sont brusquement réveillés au point qu’elle nous arrache le môme par la force. D’accord, ses jours sont comptés et elle n’a pas le temps d’attendre les résultats d’un procès hasardeux. D’accord, il s’est produit un retour d’amour au carburo de son âme, comme l’a écrit Canuet dans ses mémoires. Mais devient-on tricarde au moment où l’issue fatale se profile ? Elle est libre. Libre de se soigner comme elle veut. Mais elle complique les choses jusqu’à s’acheter du matériel médical, pour un traitement clandestin, au lieu d’entrer dans un grand hôpital. Le père Verbois l’aurait aidée à financer les soins les plus sophistiqués. Tout cela ne cadre pas, tout cela grince, tout cela fait bidon.

Pourquoi, en un flash subconscient, ai-je le fugace sentiment que la solution du problème est à portée de cellules grises ? Qu’il suffirait d’un rien pour comprendre ? Que c’est l’évidence ?

— Programme ? demande le Noirpiot.

— Tu me largues à la Maison Pébroque, après quoi tu ramèneras Bruno chez lui.

L’enculé de Mathias n’est pas dans les parages du labo, ce dont je rends grâce à Dieu, toujours si bienveillant avec l’humble San Antonio. Malmenet, du service des empreintes, un petitou dont la tronche rappelle la silhouette d’une bite de caniche, verdit au-dessus d’un microscope. Il mate avec son lampion gauche et le droit a fini par rapetisser, s’engoncer au fond de son orbite comme un bigorneau peureux dans sa coquille.

Je dépose le marteau sur son établi.

— Tu lâches tout, Marcel, priorité absolue ! Repère-moi les empreintes qui se trouveraient sur ce manche. Essaie de les identifier et avertis-moi dans les délais les plus rapides.

— Ça urge à ce point, commissaire ?

— Ça devrait déjà être fait ! réponds-je.

Débouchant dans mon couloir, mes trompes sont agressées par un joyeux brouhaha, lequel provient du bureau des officiers de police Pinaud et Bérurier. Je trouve les deux compères en compagnie du brigadier Morigène, un vieux de la vieille, dont le départ en retraite est imminent.

J’apprends que c’est précisément cet événement de portée internationale qu’ils arrosent. Au Dom Pérignon, s’il vous plaît ! Ce qui indiquerait que c’est le milliardaire César Pinuche qui rince. Béru arrive de sa noce et il est encore en smoking de la veille. Le vêtement d’apparat (loué pour la circonstance au « Cor de Chasse », rue de Buci, la maison de l’élite). Dire qu’il est éméché relèverait de l’euphémisme. « Bourré à la clé » cernerait la vérité de plus près. Les copains du « Cor de Chasse » vont avoir des surprises en récupérant le smok. Le pantalon a éclaté comme une citrouille tombée du camion qui la transportait, il y a trois variétés de sauces sur les revers, une poche a été arrachée et il ne subsiste plus aucun bouton au veston.