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— Damas, dit Adamsberg, prépare-toi. Ce sera ton tour après.

— De ? demanda Damas.

— De te laver.

Hélène Froissy emmena la vieille femme et Adamsberg gagna la cellule de Kévin Rouhaud.

— Tu vas sortir, Roubaud, mets-toi debout. Tu es transféré.

— Je suis bien, ici, dit Roubaud.

— Tu reviendras, dit Adamsberg en ouvrant grand la grille. Tu es mis en examen pour coups et blessures et présomption de viol.

— Merde, dit Roubaud, j’assurais les arrières.

— Des arrières terriblement actifs. Tu étais le sixième sur la liste. Un des plus dangereux, donc.

— Merde, je suis quand même venu vous aider. Assistance à la justice, ça compte, non ?

— Dégage. Je ne suis pas ton juge.

Deux officiers emmenèrent Roubaud hors de la Brigade. Adamsberg consulta son mémento. Acné, Prognathe, Sensible, égale Maurel.

— Maurel, qui a relayé au domicile de Marie-Belle ? dernanda-t-il en consultant la pendule.

— Noël et Favre, commissaire.

— Qu’est-ce qu’ils foutent ? Il est neuf heures trente.

— Peut-être qu’elle ne va pas sortir. Elle n’ouvre plus la boutique depuis que son frère est bouclé.

— J’y vais, dit Adamsberg. Puisque Hurfin ne parle pas, Marie-Belle va me raconter ce qu’il lui a extorqué.

— Vous y allez comme ça, commissaire ?

— Comme ça comment ?

— Je veux dire, en sandales ? Vous ne voulez pas qu’on vous prête quelque chose ?

Adamsberg considéra ses pieds nus à travers les lanières de cuir fatigué, cherchant le défaut.

— Qu’est-ce qui ne va pas, Maurel ? demanda-t-il, sincère.

— Je ne sais pas, dit Maurel qui cherchait comment faire marche arrière. Vous êtes chef de groupe.

— Ah, dit Adamsberg. L’apparence, Maurel ? C’est cela ? Maurel ne répondit pas.

— Je n’ai pas le temps de m’acheter des chaussures, dit Adamsberg en haussant les épaules. Et Clémentine est plus urgente que mes vêtements, non ?

— Si, commissaire.

— Veillez à ce qu’elle n’ait besoin de rien. Je vais chercher la sœur et je reviens.

— Vous croyez qu’elle nous parlera ?

— Probablement. Marie-Belle aime raconter sa vie.

Au moment de franchir le porche, un porteur spécial lui remit un colis qu’il ouvrit dans la rue. Il y trouva son portable et posa le tout sur le coffre d’une voiture à la recherche du contrat y afférent. Puce vivace. L’ancien numéro avait pu être conservé et transféré dans un appareil neuf. Satisfait, il le rangea dans sa poche intérieure et reprit son chemin, la main posée dessus à travers le tissu, comme pour le réchauffer et reprendre avec lui le dialogue interrompu.

Il repéra Noël et Lamarre en garde rue de la Convention. Le plus petit était Noël. Oreilles, brosse, blouson, égale Noël. Le grand rigide était Lamarre, l’ancien gendarme de Granville. Les deux hommes eurent un rapide regard vers ses pieds.

— Oui, Lamarre, je sais. J’en achèterai plus tard. Je monte, dit-il en indiquant le quatrième étage. Vous pouvez rentrer. Adamsberg traversa le hall luxueux, emprunta l’escalier couvert d’un large tapis rouge. Il aperçut l’enveloppe punaisée sur la porte de Marie-Belle avant d’atteindre le palier. Il gravit les dernières marches avec lenteur, choqué, et s’approcha du rectangle blanc qui portait simplement son nom, Jean-Baptiste Adamsberg  !

Partie. Marie-Belle était partie sous le nez de ses hommes de guet. Elle avait filé. Filé sans s’occuper de Damas. Adamsberg décrocha l’enveloppe, sourcils froncés. La sœur de Damas avait abandonné le terrain en flammes.

La sœur de Damas et la sœur d’Antoine.

Adamsberg s’assit lourdement sur une marche d’escalier, l’enveloppe posée sur ses genoux. La minuterie s’éteignit. Antoine n’avait pas arraché les renseignements à Marie-Belle mais Marie-Belle les lui avait donnés. À Hurfin l’assassin, à Hurfin l’obéissant. Aux ordres de sa sœur, Marie-Belle Hurfin. Il appela Danglard dans l’obscurité.

— Je suis en voiture, dit Danglard. Je dormais.

— Danglard, est-ce qu’il y avait un autre enfant illégitime d’Heller-Deville, dans la famille de Romorantin ? Une fille ?

— C’est ce que j’essayais de vous dire. Marie-Belle Hurfin est née deux ans avant Antoine. C’est la demi-sœur de Damas. Elle ne le connaissait pas avant de débarquer chez lui à Paris, il y a un an.

Adamsberg hocha la tête en silence.

— Contrariant ? demanda Danglard.

— Oui. Je cherchais la tête du tueur, et je l’ai.

Adamsberg raccrocha, se leva pour allumer la lumière et s’adossa au battant de la porte pour décacheter la lettre.

Cher commissaire,

Je ne vous écris pas pour vous arranger les choses. Vous m’avez prise pour une idiote et ça ne me fait pas plaisir. Mais comme j’avais l’air d’une idiote, automatiquement, je ne peux pas vous en vouloir. Si j’écris, c’est pour Antoine. Je veux que cette lettre soit lue à son procès, parce qu’il n’est pas responsable. C’est moi qui l’ai dirigé de bout en bout, c’est moi qui lui ai demandé de tuer. C’est moi qui lui disais pourquoi, qui, où, comment et quand. Antoine n’est responsable de rien, il n’a fait que m’obéir, comme il l’a toujours fait. Ce n’est pas de sa faute et rien n’est de sa faute. Je veux que ça soit dit à son procès, est-ce que je peux compter sur vous ? Je me dépêche, parce que je n’ai pas trop de temps devant moi. Vous avez été un peu con d’appeler Lizbeth pour l’envoyer à l’hôpital auprès du vieux. Parce que Lizbeth, ça se dirait pas, elle a parfois besoin de réconfort. De mon réconfort. Et elle m’a téléphoné tout de suite pour me raconter l’accident du Decombrais.

Donc le meurtre du vieux a raté et Antoine s’est fait gauler. Vous n’allez pas mettre longtemps à piger qui est son père, surtout que ma mère en fait vraiment pas mystère, et vous allez rappliquer ici en vitesse. Il y a déjà deux types à vous en bas, dans une voiture. C’est foutu, je me tire. Ne vous cassez pas la tête à essayer de me retrouver, c’est peine perdue. J’ai un tas de liquide que j’ai pompé sur le compte de ce con de Damas, et je sais me débrouiller. J’ai un habit d’africaine que Lizbeth m’avait passé pour une fête, vos gars n’y verront que du feu, je me fais pas de souci. Automatiquement, laissez tomber.

Je vous donne quelques détails vite fait pour qu’on pige bien qu’Antoine n’est responsable de rien. Il détestait Damas autant que moi, mais il est incapable de manigancer quoi que ce soit à part obéir à la mère, et au père quand il lui en collait une, tout ce qu’il savait faire enfant, c’était d’étrangler les poules et les lapins pour passer sa rage. Automatiquement, il a pas changé. Notre père, c’était peut-être le roi de l’aéronautique, mais c’était surtout le roi des salopards, faut bien que vous le compreniez. Il ne savait qu’engrosser et foutre des roustes. Il avait un premier fils, un déclaré qu’il a élevé dans la soie à Paris. Je parle de ce timbré de Damas. Nous, on était la famille honteuse, les prolos de Romorantin, et il a jamais voulu nous reconnaître. Question de réputation, il disait. En revanche, question baffes, il ne marchandait pas, et avec ma mère et mon frère, on s’en est pris des sérieuses. Moi, je m’en foutais, j’avais décidé de le tuer un jour mais finalement, il s’est fusillé tout seul. Et question fric, il en lâchait pas une à maman, juste de quoi survivre, parce qu’il avait peur que les voisins se posent des questions, si on nous voyait mener grand train. Un salaud, une brute et un lâche, voilà ce qu’il était.