Que de tourments m'attendaient а mon retour! Votre silence, votre air froid, l'accueil de Mademoiselle N.
L'habitude et une longue intimitй pourraient seules me faire gagner l'affection de M-lle votre fille; je puis espйrer me l'attacher а la longue mais je n'ai rien pour lui plaire; si elle veut me donner sa main, je n'y verrai que la preuve de la tranquille indiffйrence de son coeur. Mais entourйe d'admiration, d'hommages, de sйductions, cette [sйduction<?>] tranquillitй lui durera-t-elle? On lui dira qu'un malheureux sort l'a seul empкchйe de former d'autres liens plus йgaux, plus brillants, plus dignes d'elle, - peut-кtre ces propos seront-ils sincиres, mais а coup sыr elle les croira tels. N'aura-t-elle pas des regrets? ne me regardera-t-elle pas comme un obstacle, comme un ravisseur frauduleux? ne me prendra-t-elle pas en aversion? Dieu m'est tйmoin que je suis prкt а mourir pour elle, mais devoir mourir pour la laisser veuve brillante et libre de choisir demain un nouveau mari - cette idйe - c'est l'enfer.
Parlons de la fortune; j'en fais peu de cas. La mienne m'a suffi jusqu'а prйsent. Me suffira-t-elle mariй? je ne souffrirai pour rien au monde que ma femme connыt des privations, qu'elle ne fыt pas lа oщ elle est appelйe а briller, а s'amuser. Elle a le droit de l'exiger. Pour la satisfaire je suis prкt а lui sacrifier tous les goыts, toutes les passions de ma vie, une existance toute libre et toute aventureuse. Toutefois ne murmurera-t-elle pas si sa position dans le monde ne sera pas aussi brillante qu'elle le mйrite et que je l'aurais dйsirй?
Telles sont, en partie, mes anxiйtйs. Je tremble que vous ne les trouviez trop raisonnables. Il y en a une que je ne puis me rйsoudre а confier au papier. -
Daignez agrйer, Madame, l'hommage de mon entier dйvouement et de ma haute considйration.
A. Pouchkine. Samedi.
462. H. О. и С. Л. Пушкиным. 6-11 апреля 1830 г. Москва. (Черновое)
Mes trиs chers parents, je m'adresse а vous dans un moment qui va fixer mon sort pour le reste de ma vie.
[Je veux me marier а une jeune personne que j'aime depuis un an] - M-lle Natalie Gontchar
[La fortune de M-de G.
463. A. X. Бенкендорфу. 16 апреля 1830 г. Москва.
Mon Gйnйral,
Je suis tout embarrassй de m'adresser а l'Autoritй dans une circonstance purement personnelle, mais ma position et l'intйrкt que vous avez bien voulu me tйmoigner jusqu'а prйsent m'en font une obligation.
Je dois me marier а M-lle Gontcharof que vous avez dы voir а Moscou, j'ai son consentement et celui de sa mиre; deux objections m'ont йtй faites: ma fortune et ma position а l'йgard du gouvernement. Quant а la fortune, j'ai pu rйpondre qu'elle йtait suffisante, grвce а Sa Majestй qui m'a donnй les moyens de vivre honorablement de mon travail. Quant а ma position, je n'ai pu cacher qu'elle йtait fausse et douteuse. Exclu du service en 1824, cette flйtrissure me reste. Sorti du Lycйe en 1817 avec le rang de la 10me classe, je n'ai jamais reзu les deux rangs qui me revenaient de droit, mes chefs nйgligeant de me prйsenter et moi ne me souciant pas de le leur rappeler. Il me serait maintenant penible de rentrer au service, malgrй toute ma bonne volontй. Une place toute subalterne, telle que mon rang me permet de l'occuper, ne peut me convenir. Elle me distrairait de mes occupations littйraires qui me font vivre et ne ferait que me donner des tracasseries sans but et sans utilitй. Je n'y dois donc plus songer. M-de Gontcharof est effrayй de donner sa fille а un homme qui aurait le malheur d'кtre mal vu de l'Empereur... Mon bonheur dйpend d'un mot de bienveillance de Celui pour lequel mon dйvouement et ma reconnaissance sont dйjа purs et sans bornes.
Encore une grвce: En 1826 rapportai а Moscou ma tragйdie de Годунов, йcrite pendant mon exil. Elle ne vous fut envoyйe, telle que vous l'avez vue, que pour me disculper. L'Empereur ayant daignй la lire m'a fait quelques critiques sur des passages trop libres et je dois l'avouer, Sa Majestй n'avait que trop raison. Deux ou trois passages ont aussi attirй son attention, parce qu'ils semblaient prйsenter des allusions aux circonstances alors rйcentes, en les relisant actuellement je doute qu'on puisse leur trouver ce sens-lа. Tous les troubles se ressemblent. L'Auteur dramatique ne peut rйpondre des paroles qu'il met dans la bouche des personnages historiques. Il doit les faire parler selon leur caractere connu. Il ne faut donc faire attention qu'а l'esprit dans lequel est conзu l'ouvrage entier, а l'impression qu'il doit produire. Ma tragйdie est une -uvre de bonne foi et je ne puis en conscience supprimer ce qui me paraоt essentiel. Je supplie Sa Majestй de me pardonner la libertй que je prends de la contredire; je sais bien que cette opposition de poиte peut prкter а rire, mais jusqu'а prйsent j'ai toujours constamment refusй toutes les propositions des libraires; j'йtais heureux de pouvoir faire en silence ce sacrifices а la volontй de Sa Majestй. Les circonstances actuelles me pressent, et je viens supplier sa Majestй de me dйlier les mains et de me permettre d'imprimer ma tragйdie comme je l'entends.
Encore une fois je suis tout honteux de vous avoir entretenu si longuement de moi. Mais votre indulgence m'a gвtй et j'ai beau n'avoir rien fait pour mйriter les bienfaits de l'Empereur, j'espиre et je crois toujours en lui.
Je suis avec la considйration la plus haute de Votre Excellence le trиs humble et obйissant serviteur
Alexandre Pouchkine. 16 avril 1830 Moscou.
Je vous supplie, Mon Gйnйral, de me garder le secret.
464. С. Л. и H. О. Пушкины - Пушкину. 16 апреля 1830 г. Петербург.
<С. Л. Пушкин:>
16 avril 1830.
Bйni soit mille et mille fois le jour d'hier, mon cher Alexandre, pour la lettre que nous avons reзue de toi. Elle m'a pйnйtrй de joie et de reconnaissance. Oui, mon ami. C'est le mot. - Depuis longtemps j'avais oubliй la douceur des larmes que j'ai versйes en la lisant. Que le Ciel rйpande sur toi toutes ses bйnйdictions, et sur l'aimable compagne qui va faire ton bonheur. - J'aurais dйsirй lui йcrire, mais je n'ose encore le faire, crainte de n'en avoir pas le droit. J'attends Lйon avec plus d'impatience que jamais, pour lui parler de toi ou plutфt pour qu'il m'en parle. - Olinka s'est trouvйe chez nous au moment oщ ta lettre nous a йtй remise. Tu peux juger de l'effet que cela a fait sur elle......
Venons а ce que tu me dis, mon bon ami, au sujet de ce que je puis te donner. Tu connais l'йtat de nos affaires. - J'ai mille paysans, il est vrai, mais les deux tiers de mes terres sont engagйs а la Maison des Enfants-trouvйs. - Je donne а Olinka environ 4000 r. par an. Il me reste de la terre qui m'est йchue en partage aprиs feu mon frиre 200 paysans entiиrement libres, je t'en donne en attendant la jouissance pleine et entiиre. Ils peuvent donner 4000 r. de revenu annuel et peut-кtre avec le temps t'en donneront-ils davantage.