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Il faut dire que ma mère était une femme divorcée, ce qui à la fin des années soixante-dix faisait jaser dans un village comme Montfort-sur-Meu, Ille-et-Vilaine. Elle avait ouvert une petite parfumerie dans le bourg, les gens venaient l’observer derrière la vitrine, et personne ne rentrait. Aujourd’hui encore, bien que je me tamponne des petits commerçants, pour moitié poujado-sarkozystes, ma gorge se serre en voyant un commerce vide. La madeleine a du mal à passer, sans compter que je n’ai jamais pu saquer les gâteaux. Et puis, les enfants de divorcés avaient eux aussi droit aux réjouissances qu’on réserve aux minorités : montrés du doigt, nous serions donc solidaires.

À l’instar de l’époque (les années quatre-vingt), la bêtise majoritaire forge le caractère.

Quand elle partait en voyage avec son nouveau mari, ma mère nous laissait la maison à saccager pendant quinze jours (l’école et les obligations diverses s’arrêtant séance tenante, les copains guettaient leur départ dans les fourrés tandis que d’autres volaient des caddies entiers au Super U du coin). En rentrant, son mari était furax mais il n’avait pas trop le choix : les deux Celtes qu’elle avait en le rencontrant faisaient partie du petit lot, c’était à prendre ou à laisser désirer, et tant pis si l’on retrouvait des cannettes de bière dans l’étang.

Notre bonheur comptait sans doute plus que le sien, et s’il était violent, c’est que ça existait vraiment.

Vu la mère qu’elle a eue (Clémentine Vauléon), j’imagine à peine les nuits d’angoisse qu’elle dut vivre en me sachant lâché, complètement pété, dans la nature. Mais elle me faisait confiance, jusqu’au plus fort de la tempête.

On ne construit que sur des ruines, disait Nietzsche : j’avais un sacré chantier.

Supporteur numéro un de ma vie, ma mère ne tournait guère autour du pot. Quand je lui ai annoncé que j’allais devenir écrivain, elle m’a répondu qu’on allait m’acheter un ordinateur, que je projetais de faire le tour du monde, « tu n’as qu’à travailler un peu pour avoir de l’argent sur place, moi je te paie le billet d’avion », que j’allais me marier « allons bon », que j’allais vivre à Paris, « ah ! la Ville lumière ! », etc.

Les autres en mangeaient des ronds de chapeau.

« Tu es trop laxiste », « la liberté ça s’acquiert », « il va faire n’importe quoi, faudra pas s’étonner après », « moi je te le collerais en pension ! », « tu le regretteras », « tu élèves mal ton enfant », ma mère en a entendu de belles, sans jamais céder d’un pouce. Elle aussi était seule contre tous : un long point commun, qui nous unirait le temps que j’aille jouer aux billes avec mes comètes.

Mon inclination pour la rébellion généralisée, la rage pure et la mort était le pendant d’un amour pour la vie figurant sur la même face de la même pièce.

De l’interzone.

Ma mère voyait bien ce que je voulais dire, seulement je n’étais pas obligé de le crier.

One trip/one noise…

On ne savait pas où j’irais comme ça, mais au moins j’avais le ton. Mon trip serait l’écriture, mon bruit celui de la musique.

À fond, on l’aura compris : autrement on n’entend rien de la vie.