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— Tiens regarde Mamie, je vais te faire rire : pstch.

Clémentine tordue de rire.

Une malade.

Après quoi, sourds à ses suppliques, nous lui subtilisions son dentier avec l’ordre, si elle voulait caresser l’espoir de le revoir un jour vivant dans sa bouche, de faire des grimaces de sorcière. Des vraies, pas des imitations.

La duchesse suppliait, implorait, disait la voix déformée qu’on était des vilains poussins, et sous nos rires extatiques et cruels, finissait par céder. Ses grimaces sans dents nous amusaient tant que nous en demandions sans cesse de nouvelles, des pires, qui lui arrachaient des hoquets puis des crises de rire proches de l’apnée.

Nous l’adorions méchamment.

Quant à l’orage, il y a belle lurette que tout le monde l’avait oublié.

Nos parents rentraient de voyage sains et saufs, on se demande par quelle opération du Saint-Esprit, et Clémentine repartait vers sa basse Manche, lessivée mais radieuse…

À partir de seize ans, nous nous tenions beaucoup moins bien.

Les parents continuant à voyager chaque année, Clémentine venait se faire garder chez nous, en Bretagne. Nous rentrions le soir de l’école, jetions nos sacs déchiquetés dans un coin de la maison et retrouvions Clémentine autour de la table de jeu, où elle nous attendait depuis quelques heures, en priant pour que nos vélos tiennent le choc, rapport aux accidents qui attendaient sur le bord de la route.

Les parties de belote duraient jusqu’au dîner, sans qu’on la vît jamais gagner — nul besoin de tricher, elle jouait sans ruse, que c’en était comique. Mais les parties de belote étaient surtout un prétexte pour parler de sa vie, et aussi de la nôtre : Astrid et Sophie, nos premières amoureuses respectives, étaient comme ses petites filles.

Fatalement, nous parlions d’elles, et de sexe, avec la ferme intention de lui vider son sac.

Bigote agnostique, Clémentine astiquait Dieu en priant pour qu’Il existe, et toute sa vie avait subi la peur catholique des choses de la chair.

La pauvre femme, il faut le dire, ne s’était pas gâtée. Elle s’était donc mariée au premier venu, Pépère, sans la moindre expérience. Et puis, très vite, comme elle nous l’avoua, « le pauvre Pépère eut des problèmes de verge ». Elle nous la décrivait à moitié pourrie, rongée sur les bords, frappée de maladies à répétition — naturellement, jamais il ne lui effleura l’esprit qu’elles pussent être vénériennes, bien que le bonhomme passât son temps sur les routes, à chercher les bestiaux qui allaient étaler leur viande dans sa boutique, mais surtout à boire des coups avec les copains, de bistrot en bistrot des petits calvas du coin, il avait même une bouteille de Ricard entre les sièges, pour les breaks, et devait, je lui souhaite, culbuter dans les foins la paysanne normande en veux-tu en voilà.

Des problèmes de verge, oui, qui faisaient de la malheureuse une femme peu honorée, voire carrément déshonorée. Difficile d’en vouloir à Pépère : son épouse ayant peur de tout y compris de sa verge, la procréation obligatoire serait leur intime corvée.

Et puis tout à coup, après vingt ans de ce régime sec, Clémentine fit un truc incroyable : elle prit un amant.

Tout le village sitôt au parfum de ce bovarysme agricole, notre bouchère aux pieds nus vécut là le drame de sa vie ; une honte de celles qu’on n’emporterait pas au paradis, une honte entre les jambes qui se voyait depuis Vire, Avranches, une honte ardente qui, à quatre-vingts ans passés, la faisait pleurer encore.

Et quand on lui demandait si au moins c’était bien avec son amant, si elle l’avait aimé et pris du plaisir, Clémentine clignait des yeux comme une possédée, serrait ses vieux poings de toutes ses forces et, le visage crispé jusqu’au chignon, mimait la scène :

— Oh ! mon Dieu mon Dieu ! Faites que ça aille vite ! Mon Dieu ! Je vous en supplie !

L’amour, une expérience qu’elle ne renouvellerait pas, puisque son mari mourut à soixante-six ans d’un cancer de la vessie, un cancer d’alcoolo, et que l’amant en question avait, on s’en doute, changé de crémerie.

Clémentine avait beau sangloter sur le tapis de cartes comme quoi elle n’avait jamais eu de chance dans la vie, si elle comptait nous émouvoir c’était raté.

Nous lui demandions si elle avait déjà sucé Pépère, si elle lui avait déjà mâchouillé le bazar, aspiré, léché, tété, force mimes à l’appui, si elle lui taillait des pipes endiablées malgré sa verge démantibulée, bref, si elle l’avait déjà fait :

— Oh ! non ! s’insurgeait-elle. Ah ! ça non !

— Pourquoi ? on en rajoutait. Allez : la bonne turlute à Pépère !

— Aahh non ! elle faisait la duchesse outragée. Ça, jamais !

Elle tentait bien de nous éloigner en donnant des grands coups de carte mais, penchés sur elle avec des bites imaginaires dans la bouche, nous évitions sans peine ses pauvres moulinets, si bien que sous nos insistances elle finissait par imiter la fellation, tirait le bout de la langue plusieurs fois de suite comme si elle lapait du lait, s’en repartait écœurée, et recommençait, crevant de rire.

— T’as tort ! on lui disait. Une bonne pipe, y a que ça de vrai !

— Ah non non non non !

Elle s’en tordait le chignon.

— Sophie, c’est une grande spécialiste ! certifiait mon frère.

— Et Astrid ! Tu verrais la sucette à l’anis !

— Oh non ! implorait-elle. Ne me dites pas qu’elles font ça ?!

— Des pipes gastronomiques !

— Des pipes en or !

— Des pipes championnes du monde !

— Des pipes miss univers !

— Des pipes t’as honte à la fin !

— Oh non ! non ! Pas la petite Sophie ! elle geignait, au bord des larmes. Pas la petite Sophie !

On exagérait :

— Des turlutes à trois bouches !

— Oh non ! non ! Pas la petite Astrid, qui est si mignonne ! Non ! Non ! Astrid je ne le crois pas !

Elle tentait le tout pour le tout.

— Et elles avalent hein ! on précisait. Des pipes jusqu’au-boutistes !

— Oh ! non ! Oh ! non non non !

— Pourquoi ? T’as jamais goûté de sperme ?

— Ah non !

— T’as tort : c’est bon ! certifiait mon frère.

— Aaaaaaaah…

Clémentine mimait la liqueur divine au fond de sa gorge, la tête relevée comme sous un entonnoir :

— Un gargarisme ! Ah ! un gargarisme !

Elle s’esclaffait en se tenant le ventre, K.O. assise.

— Vous me faites marcher ! tentait-elle alors de se défendre. C’est pas vrai ! Vous me faites marcher !

— Et Pépère, il ne t’a jamais enculée ?

— Hein ?!

— Pépère, il ne t’a jamais enculée ? Tu sais : par le trou de balle !

— Ah ça non ! s’acharnait la duchesse. Non non non ! Je ne lui aurais pas permis !

Tout y passait.

Ne parlons même pas du pauvre Jésus, son idole, Jésus humilié, Jésus traumatisé à vie, Jésus arrosé par tous les spermes, tous les foutres de la Terre, Jésus sodomite, Jésus ravalé au rang de la bête, sa mère la Vierge au quatrième dessous, Joseph tout nu parmi les boucs, Dieu hardeur professionnel… un carnage.