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— Et... que ferez-vous de ces hommes ?

— Elle pendra le Gervais, bien sûr ! s'écria Martin. Et c'est moi qui ferai office de bourreau.

— Peut-être ! Mais, avant, j'entends qu'on les fasse parler... par tous les moyens.

Les paroles de Catherine tombèrent sur les hommes assemblés avec la froide précision d'un coup de hache. Elles résonnaient d'une telle menace qu'abasourdis, ils regardèrent leur châtelaine. Elle se dressait devant eux, droite et mince comme une lame d'épée, aussi rigide d'ailleurs, et ils eurent tout à coup l'impression de ne l'avoir encore jamais bien vue, peut-être parce qu'ils n'avaient encore jamais vu dans ses yeux, toujours si doux, cette expression implacable et farouche.

Elle annonçait une résolution que rien ni personne ne ferait plier.

— Tous les moyens... répéta l'abbé avec une toute légère nuance d'incrédulité.

D'une brusque volte-face, elle se tourna vers lui, les joues enflammées, la bouche durcie :

— Oui, tous ! Y compris la torture ! Ne me regardez pas ainsi, mon Père ! Je sais ce que vous pensez. Je suis une femme et la cruauté n'est pas mon fait. Je hais ce moyen-là. Mais pensez aussi qu'il est deux choses qu'à n'importe quel prix il me faut apprendre, parce que notre vie à tous en dépend : le nom de la vipère qui se cache parmi nous... et la nature exacte du danger qui menace mon époux.

— Pensez-vous pouvoir apprendre tout cela de ceux que vous capturerez ?

Oui. S'il s'agit de Gervais. Il est dans les secrets de Bérault. Et s'il dirigeait la capture du premier messager, il n'y a aucune raison pour qu'il ne dirige pas aussi celle du second. Je veux mettre la main sur cet homme parce qu'il est la cause première de tous nos maux. Et, cette fois, Votre Révérence, sachez qu'il n'aura à attendre de moi ni pitié ni merci.

Une véritable acclamation salua cette déclaration. Dans le ton rude de la châtelaine, les notables de Montsalvy retrouvaient quelque chose de la voix dominatrice d'Arnaud et en étaient réconfortés. Ils avaient craint de Catherine la timidité, l'indécision et la sensibilité inhérentes à sa nature féminine, mais puisqu'elle parlait en chef de guerre, ils étaient prêts à la suivre jusqu'au bout du monde.

Un élan de gratitude jeta Martin Cairou à ses pieds. Le visage crispé, mais les yeux à la fois pleins de larmes et pleins d'éclairs, il saisit l'ourlet d'hermine de la robe pour y poser ses lèvres.

— Dame ! s'écria-t-il, quand nous aurons pris ce maudit, vous n'aurez pas à chercher bien loin un bourreau. C'est moi qui m'en chargerai et, sur la mémoire de mon enfant, je vous jure qu'il parlera.

— Non, Martin, ce n'est pas vous que j'en chargerai. Un tourmenteur n'est pas un vengeur : il doit être froid, indifférent. Vous avez trop de haine et cette haine vous emporterait. Vous le tueriez.

— Non... Je jure que non !

— Et puis, s'il est aussi lâche que je le crois, nous n'aurons peut-

être pas besoin d'en venir à cette extrémité.

Doucement, mais fermement, elle le releva et plongea dans le regard bouleversé du père ses yeux qui avaient retrouvé toute leur douceur :

— N'insistez pas ! Justice sera faite, cette fois, et bien faite. Qu'il vous suffise de savoir qu'il sera pendu... et que vous pourrez y assister. Maintenant, mes amis, il nous faut dresser notre plan dans tous ses détails.

Cela dura longtemps et il était déjà tard quand, enfin, les notables de la ville purent rejoindre les convives qui se pressaient dans la grande salle du château autour des chapelets de saucisses, des jambons séchés et des fromages.

Catherine et l'abbé demeurèrent un instant seuls dans la salle désertée, écoutant la rumeur presque joyeuse qui accueillait les conseillers à leur sortie de l'abbaye.

L'abbé Bernard poussa un profond soupir, puis, quittant son siège, glissa les mains au fond de ses larges manches et alla lentement vers la châtelaine. Le front légèrement baissé, elle l'attendait visiblement de pied ferme, accrochée à sa décision et sachant d'ailleurs parfaitement ce qu'il allait lui dire.

— Vous avez prononcé des paroles dangereuses, Dame Catherine.

Pensez-vous qu'il soit sage d'éveiller ainsi la violence dans leurs âmes

? — La violence, mon Père, ce n'est pas moi qui l'ai choisie : ce sont ceux qui nous attaquent. Et quelles armes, plus conformes à la loi du Christ, avez-vous à nous offrir quand la trahison est dans la cité, quand l'ennemi connaît nos secrets, nos mouvements, dès l'instant où nous en décidons ? Si les défenses du souterrain n'étaient si bien faites et si solides, Bérault d'Apchier, grâce au misérable qui le renseigne, serait déjà ici, au cœur de notre ville ! Me diriez-vous qu'il n'emploierait pas la violence et que ses mains seraient pleines de lys et de rameaux d'olivier en venant jusqu'à nous ?

— Je sais, Dame Catherine ! Je sais que vous avez raison, mais ces armes terribles... la potence... la torture... est-ce bien à vous, une femme, de les employer ?

Elle se dressa de toute sa hauteur, encore grandie par la flèche de velours violet qui couronnait ses tresses dorées.

— À cette heure, l'abbé, je ne suis plus une femme. Je suis le seigneur de Montsalvy, son défenseur et son garant. On m'attaque : je me défends ! Qu'aurait fait, à votre avis, monseigneur Arnaud, en admettant qu'il se fût trouvé dans notre situation ?

Il y eut un petit silence. Puis l'abbé eut un petit rire sans joie, haussa les épaules et détourna la tête.

— Bien pire, je le sais bien ! Mais il est lui... et vous êtes vous !...

— Non, s'écria-t-elle d'une voix où vibrait toute sa passion. Nous ne sommes qu'un ! Et vous le savez mieux que quiconque. Alors, seigneur abbé, oubliez Dame Catherine et laissez agir Arnaud de Montsalvy !...

Son orgueilleuse profession de foi, son cri d'amour qui affirmait avec une ardeur proche du désespoir ce tout et cette identité avec l'homme aimé, pour lesquels, depuis le jour de leur rencontre sur une route flamande, Catherine avait lutté jusqu'aux limites du possible, elle l'écoutait résonner encore au plus profond d'elle-même, tandis que, le soir venu, elle parcourait le chemin de ronde pour une dernière inspection des postes de garde avant de s'en aller prendre un peu de repos.

Elle était lasse, soucieuse aussi car, en prenant ainsi, seule, une grave décision, presque contre l'avis de l'abbé, elle avait du même coup chargé ses épaules de l'écrasant fardeau d'une responsabilité sans partage. Mais Arnaud n'aimait pas le partage et il fallait que, même en son absence, sa volonté demeurât primordiale et prépondérante.

La pluie s'était enfin décidée à cesser avec la tombée du jour, mais un vent glacé avait pris sa place. Il s'engouffrait dans l'enfilade des hourds et chassait les nuages comme un troupeau emballé sous le fouet d'un berger fou. Cette nuit, sans doute, il gèlerait et ce que les averses torrentielles avaient épargné, le gel achèverait de le détruire.

De toute façon, la saison serait dure et, quand l'ennemi aurait été refoulé, il faudrait écrire en hâte à Bourges pour aviser Jacques Cœur d'une situation si difficile, lui demander de transformer en blé, en fourrage, en vin, en sucre et en tout ce qui pourrait manquer pour l'hiver prochain les redevances fort larges qu'il payait toujours à la dame de Montsalvy au titre de l'investissement jadis effectué par elle et qui avait permis au négociant de prendre un nouveau départ après le naufrage qui l'avait ruiné.

Jacques, elle en était certaine, comprendrait sans peine qu'elle renonçât à l'or, aux précieuses épices et aux soieries dont il la pourvoyait régulièrement et dont elle n'aurait que faire dans un pays affamé. Le plus difficile serait sans doute de trouver ces céréales, cette nourriture, alors que dans tant de régions de France elles étaient encore si rares...

Enveloppée dans une grande mante noire d'où n'émergeait que sa tête, seulement couverte d'un voile, Catherine faisait lentement le tour des murs d'enceinte, passant d'une zone éclairée par les feux à une zone d'ombre épaisse où la silhouette des guetteurs se distinguait à peine de la masse opaque des merlons.