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Aussitôt, le sergent et ses hommes furent entourés d'un cercle avide de savoir ce que tout cela signifiait, un cercle vite augmenté de Gauberte qui habitait plus loin et qui accourait, une peau de mouton jetée sur sa chemise et brandissant sa fameuse quenouille.

Les quatre hommes qui avaient participé au coup de main de la nuit arrivèrent à leur tour, remontant du château. Bientôt, la petite place fut remplie de gens à peine vêtus qui parlaient tous à la fois et brandissaient des armes variées sans trop savoir pourquoi.

Nicolas comprit qu'il lui fallait donner les explications sous peine de voir le rassemblement se changer en émeute.

Escaladant la fontaine, il se tint debout sur la margelle de pierre et, les bras étendus, à la manière d'un chef d'orchestre, il tenta d'endiguer le vacarme. Ce n'était pas facile, car tout ce monde criait d'autant plus fort qu'il ne savait pas pourquoi. Mais la curiosité de Gauberte était de celles qui ne se pouvaient museler. Grimpant auprès de Nicolas, elle poussa quelques beuglements si vigoureux que le silence revint comme par enchantement, aucun poumon montsalvois ne pouvant rivaliser avec les siens. Elle laissa alors planer sur l'assemblée un regard satisfait.

— Vas-y, Nicolas ! Dis-nous ce qui se passe !

S'improvisant orateur, ce qui n'alla pas sans peine, le sergent rapporta les événements de la nuit sans rien omettre. Il dit les aveux arrachés à Gervais par la terreur, le piège tendu à Arnaud de Montsalvy, la faiblesse de Catherine et, enfin, comment, acculé dans ses derniers retranchements par l'impitoyable précision des questions de l'abbé, Gervais avait fini par désigner comme ses complices le menuisier, sa fille et la sorcière locale, la Ratapennade, coupable d'avoir fourni le poison dont Gonnet d'Apchier s'était muni. Il dit enfin comment Augustin Fabre, victime des sentiments fort peu paternels que lui inspirait la fille de sa défunte épouse, était tombé entièrement sous l'empire d'Azalaïs. À entendre Gervais, la beauté provocante de la dentellière avait fait de cet homme, jadis honnête et paisible, l'esclave d'un monstrueux désir que la belle manipulait aussi aisément qu'un pantin... pour s'en moquer d'ailleurs quand, avant qu'il ne fût chassé, elle rejoignait Gervais derrière le moulin. Car, en attisant l'ambition de cette fille, en faisant miroiter à ses yeux avides des possibilités d'avenir qu'elle le croyait parfaitement capable de réaliser, en flattant sa vanité, Gervais Malfrat, fort habile aux jeux de l'amour, n'avait pas eu tellement de peine à en obtenir ce qu'elle refusait avec tant de dédain aux autres garçons.

Bien sûr, Fabre ignorait qu'Azalaïs fût la maîtresse du vaurien et c'était lui qui, sur le chemin de ronde, avait tenté d'assassiner la dame de Montsalvy sur l'ordre de son étrange fille : en échange de ce beau service, elle lui avait promis de se donner enfin à lui ! Cette idée avait dû rendre fou le bonhomme et, pour posséder ce corps dont la grâce hantait ses nuits, il eût été aussi bien poignarder l'abbé Bernard en plein milieu de la grand- messe.

Quant à Azalaïs elle-même, c'était elle qui avait non seulement livré à Gervais l'une des chemises de Catherine, dont elle devait réparer la dentelle, mais qui, de plus, avait écrit la fameuse « lettre d'amour » en contrefaisant l'écriture de la châtelaine. Artiste véritable et douée d'une grande habileté, la dentellière savait non seulement écrire, mais dessiner et, de ce double talent, elle avait tiré aisément celui de la contrefaçon. Le tout avait été, comme les autres messages à Gervais, descendu par Fabre, au moyen d'une corde, de nuit et durant ses tours de garde à un point convenu du rempart...

Les clameurs qui saluèrent le discours de Nicolas s'élevèrent si furieusement que, du haut des tours et des chemins de ronde, les guetteurs se penchèrent sur l'intérieur de la ville. La petite place avait l'air d'un chaudron de sorcière et bouillonnait de têtes hurlantes, d'yeux flamboyants et de bras qui agitaient un assortiment hétéroclite d'instruments que la nécessité pouvait rendre meurtriers.

Une fois de plus, ce fut Gauberte qui résuma le sentiment commun

: — L'Augustin et l'Azalaïs, il nous les faut ! brailla-t-elle.

Et, brandissant sa quenouille avec autant de conviction que Jeanne d'Arc son étendard fleurdelisé, elle sauta de la fontaine et fonça vers la maison du charpentier, entraînant après elle un flot tumultueux qui s'engouffra tant bien que mal dans l'atelier, malgré les protestations du sergent qui jurait par tous les saints du Paradis avoir tout passé au peigne fin. Encore dut-il se lancer au secours de la maison bourrée à éclater pour empêcher Gauberte et ses furieux d'y mettre le feu, ce qui n'eût pas manqué de faire flamber la moitié de la ville.

Par ailleurs, force fut de se rendre à l'évidence. Mystérieusement prévenus du danger que leur ferait courir la capture de Gervais Malfrat si elle se produisait, Azalaïs et son père avaient choisi la fuite et disparu comme par enchantement, sans laisser la moindre trace, ni d'ailleurs la moindre marque de précipitation. La maison du charpentier, au moment où Nicolas et ses hommes en avaient enfoncé la porte, était parfaitement en ordre. Les lits n'étaient pas défaits et la vaisselle était en place. Seuls les vêtements et quelques objets personnels avaient disparu...

Quand Gauberte et sa suite ressortirent sur la place, le silence était revenu. Chacun cherchait à comprendre comment Fabre et Azalaïs avaient pu disparaître aussi complètement. Comment, aussi, ils avaient pu être prévenus de ce qui s'était décidé au Conseil, dont le charpentier ne faisait pas partie...

— Faudrait savoir qui les a renseignés, conclut Nicolas. L'un de nous a eu la langue trop longue, c'est sûr...

Sa tête casquée tourna lentement et son regard chercha ceux de tous les « consuls » qui se trouvaient dans la foule, aussi bien ceux qui avaient participé au coup de main de la nuit que les autres. Mais personne ne broncha.

— Bon ! fit-il. Alors on va chercher. Fouillez partout, vous autres !

cria-t-il à ses soldats, et n'oubliez rien, ni cave, ni grenier, ni même les poulaillers ou les étables. Il faut les retrouver !...

— On va t'aider, déclara Gauberte. Cette affaire-là, ça nous regarde tous. Allez, les gars ! Quelques volontaires pour aider les hommes d'armes...

Des volontaires, il y en eut à remuer à la pelle. Tout le monde était prêt à se lancer à la traque d'un traître qui s'était révélé doublé d'un assassin. Mais, avant que Nicolas n'eût distribué les escouades de volontaires hâtivement formées, le cri d'un guetteur éclata dans le ciel rouge de l'aurore :

— Venez voir !

Sans demander davantage, la foule s'élança à l'assaut du rempart.

C'était Martial, l'un des fils Malvezin, qui avait appelé. Agenouillé sur un créneau, sa vouge appuyée contre un merlon, il regardait, en bas des murailles, une chose qu'il désigna du bras. Instantanément, les créneaux se peuplèrent. On se pencha et une même exclamation de stupeur s'échappa de toutes les poitrines : sur le revers du fossé, le corps disloqué d'Augustin Fabre gisait, la face tournée vers le ciel et les yeux grands ouverts, un carreau d'arbalète planté dans la poitrine...

Par habitude, plus que par vrai respect, les bonnets de nuit quittèrent les têtes.

— Comment est-il venu là ? fit quelqu'un. Et où est sa fille ?

La réponse à la première de ces deux questions fut aussitôt trouvée

: au dernier créneau, avant la boursouflure d'une tour, une corde pendait le long de la muraille.

— Il sera tombé ! souffla une voix oppressée. Descendre comme ça d'un rempart, c'était pas un exercice pour un homme de son âge...

— Et le carreau ? riposta Martial Malvezin. Il l'aura ramassé aussi en tombant ?

— On lui aura tiré dessus. Les gens d'en face savaient peut-être pas qu'il travaillait pour eux.