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— Accord de principe, acceptation du bout des lèvres ! Le seigneur de l'Isle Adam ne veut pas prendre sur lui d'écorner le premier le parchemin tout neuf, où l'encre du traité d'Arras n'est pas encore tout à fait sèche. Je suis certain qu'il a accepté de mauvais gré et qu'il serait heureux d'entendre s'élever la voix des gens sensés.

Venez tous avec moi ! Nous allons nous aussi nous rendre à Saint-Martin-des-Champs pour que l'on sache ce que nous pensons d'un tel sacrilège...

Catherine, qui avait d'abord écouté la diatribe du garçon avec quelque indignation, sentit ses sentiments évoluer curieusement quand le bourgeois prononça le nom de l'étudiant.

Il se nommait Gauthier, et ce nom-là, celui du meilleur ami qu'elle eût jamais eu, demeurait et demeurerait toujours cher à son cœur. Et puis, il y avait autre chose, une vague ressemblance peut-être... la hauteur de la taille, encore qu'il y eût pour le volume autant de différence qu'entre un balai et un madrier, la couleur et la nature des cheveux, aussi roux et aussi raides que ceux de Gauthier le Normand.

Lui aussi, d'ailleurs, avait les yeux gris, encore que d'une nuance beaucoup plus claire...

Et puis, il y avait cette violence, cette ardeur de jeunesse, cette âpreté à se jeter sur l'obstacle qui habitaient son maigre corps comme elles avaient jailli, jadis, de la forme puissante du forestier de Louviers.

C'était un lien de plus. Enfin ce nom de Chazay lui disait quelque chose, quelque chose que sa claire mémoire lui restitua presque sans recherches. Elle se revit, quelques jours après le bûcher de Jeanne d'Arc, cinq ans plus tôt, enfermée, au cours de l'été brûlant, avec Sara et Gauthier dans Chartres assiégé par la peste. Un homme les avait aidés à en sortir par le quartier des tanneries en leur montrant la grille qui barrait la rivière. C'était un garçon maigre et narquois, vêtu de rouge, qui s'appelait Anselme l'Argotier. Il leur avait dit :

« Je suis de Chazay, près de Saint-Aubin-des-Bois, un village des environs... »

Était-ce de ce même Chazay que le bouillant escholier portait le nom ?

La question mentale resta, bien entendu, sans réponse. Alors Catherine eut tout à coup l'impression que le garçon s'apprêtait à commettre quelque énorme sottise, mais que rien ni personne ne l'empêcherait de s'y jeter jusqu'au bout.

Aussi, quand il sauta de sa borne, hurlant comme un Philistin à l'assaut de Gaza et entraînant à sa suite une poignée d'étudiants aussi faméliques que lui-même, Catherine décida-t-elle de le suivre.

D'autant qu'ils allaient tous au même endroit et que l'observation des agissements estudiantins ne la détournerait pas de son chemin.

Les bourgeois, eux, regagnèrent leurs logis respectifs avec un haussement d'épaules ennuyé, mécontents de s'être fait mouiller pour écouter des paroles aussi creuses...

Pourtant, à l'instant même où la troupe s'ébranla, le temps parut se mettre de son côté. La pluie cessa progressivement. Bientôt, elle ne s'attarda plus qu'aux feuilles des arbres et aux rebords des toits où les gargouilles déversaient encore de minces filets d'eau claire.

Le jeune Gauthier menait sa troupe au pas de charge et les chevaux des deux voyageurs pouvaient les suivre à une allure qui leur convenait. Il était d'ailleurs impossible de dépasser les étudiants qui, s'étant pris par le bras, se déployaient sur toute la largeur de la rue et rasaient les murailles.

Chemin faisant, ils entretenaient leur colère en braillant des cris de guerre, d'ailleurs légèrement périmés :

-— Vive Bourgogne ! Mort à l'Armagnac !

Cela ne produisait pas grand effet sur les bonnes gens qui se rendaient à Saint-Benoît-le-Bétourné pour la grand-messe. Ils regardaient cette troupe hirsute et dépenaillée avec la commisération méfiante et vaguement inquiète que l'on réserve à des fous dont on ignore s'ils ne vont pas devenir dangereux d'un instant à l'autre. Ils se signaient, à tout hasard, et se hâtaient de gagner l'entrée protectrice de l'église où l'orgue retentissait déjà.

Personne, en tout cas, ne songea à se mêler de contester les opinions rétrogrades des escholiers.

Les choses se gâtèrent quand on eut passé le Petit Pont et pris pied dans la Cité. Aux abords du Palais, les perturbateurs se trouvèrent soudain nez à nez avec une escouade d'archers du guet qui rentraient au Petit Châtelet et qui n'y rentraient pas seuls : au milieu de leurs rangs marchait une superbe fille brune.

Les mains liées derrière le dos, la masse noire de ses cheveux répandue sur ses épaules, elle avançait fièrement, la tête haute, sans songer un seul instant à voiler de sa chevelure les deux seins arrogants surgis du large décolleté de sa robe de velours vermillon quelque peu déchirée. Elle souriait, au contraire, à tous les hommes qui la croisaient et leur lançait des plaisanteries à faire rougir un truand tout en plantant dans leurs yeux un regard étincelant, aguicheur et effronté. Mais sa vue eut le privilège de porter la fureur des étudiants à un paroxysme.

— Marion ! hurla Gauthier de Chazay, Marion l'Ydole ! Qu'est-ce que tu as fait ?

Rien, mon mignon, rien d'autre que soulager l'humanité souffrante !

Mais une grosse mercière des Innocents m'a pincée dans sa resserre avec son fils, un franc luron de quinze ans que son pucelage gênait fort et qui m'avait priée, bien poliment, de l'en débarrasser. Ce sont des choses qu'on ne refuse pas, surtout par ces temps de disette, mais la vieille a crié à la Garde...

L'un des archers appliqua entre les deux épaules de la fille un coup de poing si brutal qu'il lui coupa le souffle et, un instant, la plia en deux sous la douleur.

— Avance, ribaude ! Sinon...

Il n'eut pas le temps de formuler davantage sa menace. Le jeune Chazay venait de lever le bras et s'élançait déjà sur les soldats du guet en braillant :

— En avant, les gars ! Montrons à ces brutes que les étudiants du collège de Navarre ne laissent pas molester leurs amis sans en découdre !

Instantanément, la mêlée fut générale. Les archers avaient pour eux leurs armes, dont ils étaient, d'ailleurs, bien incapables de se servir en corps à corps, et leurs justaucorps de cuir renforcés de plaques d'acier, mais les étudiants étaient portés par la fureur et tapaient comme des sourds.

Néanmoins, le combat était par trop inégal. Bientôt le sol fut jonché d'une demi-douzaine d'escholiers proprement assommés, nez saignant et arcades sourcilières ouvertes. Les autres prirent la fuite et, quand le calme revint, Catherine, qui avait assisté à la bataille avec plus d'amusement que de crainte, s'aperçut que la prisonnière avait disparu durant l'échauffourée, mais qu'en contrepartie le jeune Gauthier avait pris sa place. Solidement maintenu par deux soldats, il clamait des injures à tous les vents, se réclamant des franchises de l'université, tandis qu'un troisième homme d'aune le ficelait soigneusement.

— Je me plaindrai ! hurlait-il. Notre recteur protestera et Monseigneur l'Evêque prendra ma défense. Vous n'avez pas le droit...

On sait bien que les escholiers ont tous les droits, riposta le sergent qui commandait l'escouade, mais pas celui d'attaquer les soldats du guet pour faire libérer une prisonnière. Et je conseille à ton recteur de se tenir tranquille s'il ne veut pas d'ennuis. Messire Philippe de Ternant, notre nouveau prévôt, a la main lourde.

Le nom frappa Catherine, car c'était un nom de Bourgogne.

Fréquemment, jadis, à Dijon ou à Bruges, elle avait rencontré le sire de Ternant qui était l'un des familiers du duc Philippe. C'était, en effet, un homme implacable, mais d'une vaillance et d'une honnêteté au-dessus du commun. Ainsi c'était lui, maintenant, le Prévôt de Paris