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On avait, dans cette petite église au format réduit, l'impression d'être au cœur d'un reliquaire. Mais la beauté, si elle avait toujours agi comme un baume sur Catherine, était impuissante ce jour-là à guérir son cœur ulcéré et à adoucir sa déception. Elle avait mis tant d'espoir en ce Roi qui, jusqu'à présent, lui avait toujours montré intérêt et bonté. Elle l'avait servi de toute son âme. Mais il avait toujours été le jouet de favoris plus ou moins avouables. Maintenant, c'était une favorite, qui serait sans doute aussi néfaste que ses devanciers, Giac ou La Trémoille.

En arrivant au château, Catherine avait pensé entrer dans la chapelle Saint-Martin, après l'audience royale, pour y rendre grâces...

mais c'était en désespérée qu'elle y pénétrait pour y choisir, dans le silence, entre un retour aléatoire vers Paris ou bien le départ pour l'Auvergne où elle pourrait rejoindre Arnaud dans sa rébellion.

Choisir, d'ailleurs... était-ce bien sûr ? Elle savait déjà qu'elle n'avait plus de courage pour de nouvelles supplications, ni pour d'autres humiliations... Agenouillée au pied d'un pilier, le front sur la pierre de la table de communion, elle pleurait sur ses mains jointes, aveugle et sourde à ce qui pouvait se passer autour d'elle, quand une main se posa sur son épaule, tandis qu'une voix nette articulait :

— C'est bien de prier... mais pourquoi tant pleurer ?

Vivement redressée, avec l'inconscient battement de cœur de ceux que l'on prend en flagrant délit, elle dévisagea l'adolescent qui se tenait debout auprès d'elle. Il avait un peu changé, depuis leur dernière rencontre, quatre ans plus tôt, mais pas au point qu'elle ne pût reconnaître le dauphin Louis.

Le prince devait être âgé de quatorze ans, maintenant. Il avait grandi. Mais il avait toujours la même silhouette maigre, précocement voûtée, les mêmes épaules osseuses et fortes, la même peau d'ivoire jaunissant, les mêmes cheveux noirs et raides. Simplement, les traits de son visage s'étaient affirmés, durs et sans grâce autour du grand nez agressif et des yeux noirs, profondément enfoncés et pétillants d'intelligence. Il était laid, mais d'une laideur qui avait sa puissance et il se dégageait de ce garçon dépourvu de beauté une singulière et subtile majesté, un charme bizarre qui venait peut-être de son regard pénétrant.

Malgré son costume de chasse en gros drap de Flandre usagé et râpé, le sang royal se devinait à la hauteur du ton et à l'expression impérieuse du visage. Et son langage était celui d'un homme.

Catherine s'abîma dans une profonde révérence, à la fois surprise et gênée de cette rencontre inattendue.

— Dites-moi pourquoi vous pleurez, insista le Dauphin en considérant avec attention le visage désolé de la jeune femme.

Personne, que je sache, ne vous veut de mal ici. Vous êtes la dame de Montsalvy, n'est-ce pas ? Vous étiez des dames de parage de Madame la Reine, ma mère ?

— Votre Altesse m'a reconnue ?

Votre visage n'est pas de ceux qu'on oublie facilement, Dame...

Catherine, il me semble ? Je ne vois guère de différence aux figures des femmes qui m'entourent. La plupart sont sottes ou impudentes...

ou les deux. Vous étiez différente... vous l'êtes toujours.

— Merci, Monseigneur.

— Alors, maintenant, parlez ! Je veux savoir la raison de vos larmes.

Il était impossible de résister à cet ordre, car c'en était un. A regret, Catherine fit le récit des derniers événements, non sans ressentir un peu plus d'angoisse en voyant se froncer le sourcil de Louis quand elle évoqua le meurtre de Legoix et, surtout, l'évasion d'Arnaud.

— Ces féodaux ne changeront donc jamais ! grommela-t-il. Tant qu'ils n'auront pas compris qui est le maître, ils continueront à n'en faire qu'à leur tête. Eh bien, ces têtes, on les fera tomber.

— Le maître est le Roi, notre sire et votre père, Monseigneur, et nul ne songe à le contester, protesta Catherine terrifiée.

Puis, comme elle n'avait vraiment plus rien à perdre, elle osa ajouter :

— ...Pourquoi, hélas, faut-il que d'autres, qui n'y ont aucun droit n'étant pas de rang royal, règnent à travers lui...

— Que voulez-vous dire ?

— Rien d'autre que ce que je viens de voir et d'endurer à mes dépens, Monseigneur.

Et Catherine raconta son entrevue avec Charles VII, l'espoir qui, un instant, l'avait effleurée, vite chassé par l'intervention de la belle inconnue que le Roi nommait Agnès. Mais à peine eut-elle prononcé ce nom, qu'une expression de fureur envahit le jeune visage de son interlocuteur, tandis que, sur les gants de cheval, son poing maigre se crispait.

— Cette putain ! gronda-t-il sans se soucier du lieu où il se trouvait.

Mais cet éclat fit sortir de l'ombre un homme grave et barbu qui, sans un mot, de la main, lui indiqua l'autel. Louis rougit, se signa dévotement et s'agenouilla à même les dalles pour une rapide prière.

Mais cette expéditive marque de regret ne lui avait pas fait perdre le fil de son sujet. Se relevant, il revint à Catherine qui, interdite, attendait.

— Je n'aurais pas dû employer ce mot dans une église, expliqua-t-il, mais le fait demeure le même. Je déteste cette créature dont mon père s'est assotté.

— Qui est-elle ? demanda-t-elle.

— La fille d'un certain Jean Soreau, écuyer, seigneur de Coudun et de Saint-Gérant. Sa mère se nomme Catherine de Maignelais. Elle est de bonne maison, quoique de peu d'illustration. Voici un an, ma tante, Madame Isabelle de Lorraine, nous est venue visiter avant de se rendre à Naples où l'appelaient les affaires de son époux, le duc René, retenu en laide prison par Philippe de Bourgogne. La donzelle était de ses filles d'honneur. Dès que le Roi l'eut vue, il s'en est épris follement, comme un homme qui a perdu le sens...

À nouveau, Jean Majoris, l'homme à la barbe, qui était le précepteur du prince, intervint :

— Monseigneur ! Vous parlez du Roi !

— Que ne le sait-il autant que moi ! coupa durement le Dauphin.

Je dis ce qui est, sans plus : le Roi est fou de cette fille et, par malheur, Madame ma Grand Mère la soutient et protège...

Catherine ouvrit des yeux énormes :

— Qui ? La reine Yolande ?

— Eh oui ! Madame Yolande s'est entichée, elle aussi, d'Agnès Sorel ', sinon dites-moi comment celle-ci eût pu devenir fille d'honneur de ma mère ? Madame Isabelle, bien sûr, ne souhaitait pas emmener tout son monde outre-mer, mais cela ne suffit pas à expliquer le fait que l'on nous ait laissé cette fille.

— La duchesse de Lorraine partait pour longtemps ?

1 À cette époque on appliquait parfois le féminin des noms propres masculins.

Ainsi, la fille de Jean Soreau fut-elle Agnès Sorelle ou Sorel.

Je ne sais. Plusieurs années sans doute, puis qu'elle s'en allait coiffer la couronne de Naples... et le Roi n'a pas pu supporter l'idée d'être si longtemps séparé de sa belle. Elle règne sur lui, comme vous l'avez dit, et vous avez vu à vos dépens ce qu'il en est. Quant à moi, je la hais à cause du déplaisir qu'elle ne peut que causer à ma bonne mère.

Alors, soupira Catherine, nous sommes perdus. Il ne me reste plus qu'à rentrer chez moi pour y attendre que de nouveaux coups frappent ma maison...

Un instant ! Tout n'est peut-être pas dit. Dans quelques jours, vous le savez, le Roi, les Reines et toute la Cour seront à Tours où l'on me marie à Madame d'Ecosse.

L'idée de se marier ne devait guère être de son goût car, en articulant ces mots, il fit une affreuse grimace, comme si, en franchissant sa bouche, ils y avaient laissé un goût amer. Mais il n'en poursuivit pas moins :