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— Quel que soit celui qui tentera de descendre des murailles, il aura bien peu de chances de s'en tirer vivant. L'ennemi fait bonne garde et... Écoutez !...

Un affreux vacarme venait d'éclater au-dehors fait du fracas des armes et des cris qui éclataient de part et d'autre : l'ennemi attaquait, essayant sans doute de profiter de cette espèce de détente qu'avait apportée le retour du soleil.

Un instant, la châtelaine et le prêtre écoutèrent en silence puis, presque en même temps, ils se signèrent.

— Il va encore y avoir des morts et des blessés ! soupira Catherine.

Combien de temps tiendrons-nous ?

— Pas bien longtemps, je le crains. Tout à l'heure, je suis monté au clocher de l'église et j'ai inspecté le camp de l'ennemi. Une partie d'entre les hommes est en train d'abattre des arbres et les charpentiers sont à la tâche : ils vont construire des tours de siège. D'autres tuaient les bêtes que l'on n'a pu faire rentrer dans la ville et les écorchaient pour étendre leurs peaux sur le bois et le mettre à l'abri du feu. Il nous faudrait une aide rapide sinon nous devrons parlementer... et sans doute capituler !

Le pâle visage de la jeune femme devint encore plus blanc.

Capituler ? Elle connaissait déjà les conditions et s'il lui était indifférent de livrer aux griffes des Apchier tout le contenu de sa maison, il n'en allait pas de même pour sa personne. La reddition signerait son arrêt de mort, car elle n'accepterait jamais d'entrer au lit du loup du Gévaudan.

— Dans ce cas, soupira-t-elle, il n'y a plus qu'une solution : c'est moi qui dois emprunter le chemin suivi par la dentellière ! Que je meure là ou de ma propre main pour échapper à Bérault, peu importe.

Et si je réussis, nul n'aura plus de poids que moi auprès de mon époux.

Ma présence, j'imagine, réduira à néant les accusations de Gonnet.

L'abbé hocha la tête, plus soucieux que jamais.

— Je m'attendais à ce que vous me proposiez cela. Mais, Dame Catherine, outre que personne n'accepterait pareil sacrifice ici, ce serait folie dans l'état de faiblesse où vous vous trouvez.

— Je vais mieux... et personne n'a besoin de savoir. Mais puisque je n'ai pas encore tellement de forces, pourquoi ne pas employer le moyen qui avait si bien réussi à saint Paul pour quitter Damas ?

De la plus imprévisible façon à une minute aussi grave, l'abbé Bernard se mit à rire.

— Vous faire descendre dans un panier ? J'avoue que je n'y aurais pas pensé ! Non, Dame Catherine, c'est impossible ! Mais j'ai peut-

être mieux à vous offrir...

Surprise, elle le regarda plus attentivement. Il y avait, dans ses yeux gris, une lueur combative et sur ses traits une détermination nouvelle.

— Vous admettez donc que j'ai raison de vouloir tenter moi-même de rejoindre Arnaud ?

Aussitôt, il redevint grave et, posant une main sur l'épaule de la jeune femme, il déclara lentement :

— Non seulement je l'admets... mais je vous en aurais priée si vous ne l'aviez proposé. Il est inutile de se leurrer plus longtemps : le secours, quel qu'il soit et à moins que ceux d'Aurillac et le bailli des Montagnes n'acceptent de s'en mêler, arrivera trop tard. Il ne faut pas que Bérault d'Apchier puisse vous trouver ici le jour où il me faudra le laisser entrer. Vous devez donc partir, mais vous ne partirez pas seule : vos enfants non plus ne peuvent rester ici. Ce serait trop risqué.

— J'avais pensé les cacher parmi ceux d'une ou deux autres familles, sous la garde de Sara...

— Non. Votre absence mettra Bérault dans une suffisante rage.

Son premier soin serait de les faire chercher pour s'en faire un outil de chantage et vous obliger à revenir. Il est rusé et certaines vérifications sont faciles à faire. Non, mon amie, il vous faut m'écouter : vous partirez d'ici avec vos enfants, Sara et même Bérenger. Vous gagnerez Carlat où vous pourrez laisser les enfants et Sara. Ils y seront en sûreté. Ensuite vous continuerez votre chemin vers Paris d'où vous nous rapporterez le salut : nul n'aura plus de pouvoir auprès du Roi et du Connétable pour obtenir une troupe que votre époux ne demanderait peut-être pas par trop grand orgueil. Vous nous reviendrez avec une armée, surtout si Paris tombe... et vous ferez place nette !

A mesure que l'abbé parlait, l'imagination de Catherine suivait le déroulement du plan. Oubliant fatigue et souffrance, elle se voyait déjà courant les grands chemins comme autrefois, gagnant Paris, dénonçant les Apchier et leur bâtard, retrouvant là-bas ses amis et singulièrement Tristan l'Hermite en qui le Connétable de Richemont avait telle confiance. Elle se voyait encore agenouillée devant le roi Charles et réclamant justice, une justice qu'on ne lui refuserait pas, puis revenant vers Montsalvy, en chassant les pillards pour y ramener la paix et le bonheur...

Était-ce le soleil qui maintenant pénétrait à flots dans la petite Chapelle ? La chaleur et la joie qu'il apportait envahirent la jeune femme... pour s'en retirer d'ailleurs aussitôt.

Dehors, le fracas du combat continuait et la rappelait à une dure réalité. Pouvait-elle partir, emmenant ce qui lui était le plus cher, et laisser la ville, « sa » ville, aux prises avec les souffrances qui l'attendaient ? L'abbé venait de dire que Bérault d'Apchier chercherait à se venger sur les enfants de la fuite de leur mère. Qui pouvait dire comment il réagirait en trouvant toute la famille envolée ? Combien de malheureux feraient les frais de sa rage ? Et comment, ensuite, Catherine pourrait-elle regarder en face les parents de ceux qui auraient ainsi payé pour elle ? Pour elle qui les aurait abandonnés au plus fort du danger ?

La main maigre de l'abbé pesa plus lourdement sur son épaule, forçant son attention à revenir vers lui.

— L'autre jour, vous m'avez dit de ne plus voir en vous une femme, mais le seigneur de Montsalvy. Aujourd'hui je vous dis : je suis co-seigneur de cette ville et, outre la charge des corps, j'ai aussi celle des âmes. C'est en pleine connaissance de cause que je vous demande de partir parce que vous êtes la seule à pouvoir faire cesser l'épreuve qui nous attend. Vous devez me faire confiance. Nous « tiendrons » aussi longtemps que cela sera possible, soyez-en certaine ! Mais si nous sommes contraints d'ouvrir nos portes, c'est à moi... à Dieu dont je suis le mandataire, que Bérault d'Apchier aura affaire et il reculera devant la malédiction comme il a déjà reculé devant l'ostensoir, au jour de la mort de notre frère Amable ! J'ai su me battre, jadis, et si j'ai rejeté les armes de guerre, je crois savoir encore parler aux hommes.

Croyez-moi, j'aurai plus facilement raison de Bérault d'Apchier quand vous serez loin et quand je n'aurai plus à compter que sur sa cupidité.

Il n'osera pas porter la main sur moi, d'autant moins qu'il aura à redouter les conséquences de votre fuite. Je lui donnerai tout ce que je pourrai trouver d'or, quitte à piller le monastère, votre château et les plus riches demeures du pays, mais il entendra aussi la voix de la raison.

— Quel genre de raison pensez-vous faire admettre à pareil brigand ?

— Celle des pillards. Je lui ferai craindre le châtiment, les représailles royales et il comprendra que plus il commettra de crimes, plus lourde sera la facture ! Ou je me trompe fort, ou il se contentera d'un profit substantiel. Partez sans crainte. D'ailleurs, il y a encore de la ressource dans cette ville et nous ne sommes pas aux mains de Bérault !

En effet, des cris de triomphe partaient maintenant du rempart, joints à de grosses plaisanteries braillées à pleins poumons à l'intention de l'ennemi. L'assaut devait être encore une fois repoussé...

Décidément, les gens de Montsalvy savaient se battre.