Richemont attendait Catherine dans l'un de ses bosquets. Vêtu de velours gris foncé, sans aucun ornement, il se tenait assis sur le banc et causait avec quelques gentilshommes qui l'entouraient.
Outre Tristan l'Hermite qui, un peu à l'écart, contemplait avec une attention soutenue les évolutions d'un merle sautillant, il y avait là le chef bourguignon, Jean de Villiers de l'Isle Adam, et le nouveau Prévôt de Paris, messire Philippe de Ternant, l'autre maître de la ville, Michel de Lallier et l'un des plus fameux capitaines bretons, Jean de Rostrenen.
Tandis que les gens d'Auvergne demeuraient docilement à l'entrée du verger, Catherine, toujours guidée par Jean d'Orléans, s'avança vers le Connétable et, comme s'il eût été le Roi lui-même, plia le genou devant lui.
A son approche, la conversation avait cessé. Et, bien qu'elle gardât la tête modestement baissée, la jeune femme eut conscience des regards fixés sur elle. Il y eut un instant de silence, vite peuplé par le trille joyeux et parfaitement incongru à un moment si solennel d'un oiseau sur une branche. Puis, ce fut la voix rauque et maussade du Connétable :
— Vous voici donc, Madame de Montsalvy ? Je ne vous attendais guère et, pour être tout à fait franc, votre visite ne me cause aucun plaisir. J'ajouterai que c'est bien la première fois.
Le préambule n'avait rien d'encourageant. Pourtant Richemont s'était levé, courtoisement, pour accueillir sa visiteuse et lui désignait une place auprès de lui sur le banc.
Mais Catherine négligea l'invitation tout en s'efforçant d'affermir son courage. Le ton du Connétable lui annonçait que la bataille serait rude. Il ne s'agissait pas d'une conversation mondaine. Aussi, mieux valait combattre face à face et à visage découvert.
S'autorisant de sa double qualité de femme et de grande dame, elle riposta aussi durement :
— Je n'ai, moi non plus, aucune joie à vous la rendre, Monseigneur ! Je ne m'attendais pas à être obligée, à peine débarquée à Paris, de venir implorer votre clémence, alors que j'entendais me plaindre amèrement du tort que l'on me fait. Mais, arrivée ici en plaignante, je me suis trouvée transformée comme par magie en accusée.
— Vous n'êtes accusée de rien.
— Quiconque accuse mon seigneur Arnaud m'accuse.
— Eh bien, disons que vous êtes accusée de vouloir m'arracher une grâce que je n'ai nulle envie d'accorder. Quant à vous plaindre... puis-je savoir de quoi ?
Ne faites pas semblant de l'ignorer, Monseigneur. Je vois là messire l'Hermite qui n'a pas dû oublier de mentionner les circonstances de ma venue. Mais si vous tenez à me l'entendre dire, je me plains du mal que l'on fait aux miens, à ma terre, à ma ville, à mes gens et à moi-même ! Je me plains de ce que, profitant de l'absence de mon époux et de ses meilleurs chevaliers, Bérault d'Apchier et ses fils, au mépris de tout droit, sont venus assiéger Montsalvy qui, peut-être, à cette heure, est tombée et crie sa douleur vers le Ciel ! Je me plains de n'avoir pu obtenir secours ni des consuls d'Aurillac, ni de l'évêque, parce qu'ils craignent une attaque de Villa-Andrado, actuellement à Saint-Pourçain, ni de votre bailli des Montagnes, qui préfère faire pèlerinage en compagnie de son épouse, au lieu de veiller, comme son devoir le lui commande ! Je me plains enfin de voir jeter en injuste prison le maître de cette terre mise à mal et son défenseur naturel, sans lequel moi et les miens sommes voués sans retour à la perdition et au malheur !
La voix de Catherine, enflée par la colère, sonnait haut et le jardin n'était pas si grand. A peine la nouvelle du péril couru par la cité de Montsalvy eut-elle frappé les oreilles des Roquemaurel et de leurs compagnons, qu'ils abandonnèrent instantanément cette belle retenue qui leur était si peu habituelle.
Ce fut une ruée. En un instant, le verger s'emplit de bruit et de fureur, tandis que Catherine et le Bâtard, demeuré auprès d'elle comme pour affirmer qu'elle se trouvait sous sa protection, se voyaient entourés d'une horde qui soufflait le feu par les naseaux.
Jean d'Orléans fit de son mieux pour les contenir, mais les chefs auvergnats n'étaient pas disposés à s'en laisser imposer plus longtemps.
— On attaque Montsalvy, vous le savez depuis hier, Monseigneur, et nous, qui sommes les fils de cette terre, nous l'ignorions encore ! protesta Renaud de Roquemaurel. Que faisons-nous ici, à ergoter autour de la mort méritée d'un vilain, quand des centaines d'hommes, femmes et enfants sont en péril ? Et que sert d'arracher Paris aux Anglais si vous laissez des pillards ravager le reste du royaume ?
Rendez-nous Montsalvy, sire Connétable ! Rendez-nous notre chef et laissez-nous partir ! Nous n'avons que trop perdu de temps !
Le Connétable leva la main pour apaiser le tumulte.
Paix, messires ! La chose est moins simple que vous ne l'imaginez !
C'est avec douleur et colère, croyez-le bien, que j'ai appris ce qui se passe en Haute Auvergne et, dès que ce sera possible, j'enverrai des secours...
— Dès que ce sera possible ? protesta Fabrefort. Autrement dit quand tous les gens de cœur auront trouvé la mort entre les murs de Montsalvy et que Bérault d'Achpier aura eu tout le temps de s'y fortifier ! En outre, avez-vous entendu ce qu'a dit Dame Catherine ?
Le Castillan est à Saint-Pourçain, et les gens d'Aurillac craignent sa venue. Que nous importe Paris si, au retour, nous devons retrouver nos castels occupés, nos villages incendiés et nos femmes violées !
Nous ne resterons pas ici une minute de plus.
— Alors partez ! Je ne vous retiens pas.
— Nous allons le faire, riposta Roquemaurel, mais pas seuls !
Nous voulons Arnaud de Montsalvy et s'il faut, par la force, l'arracher de votre Bastille, nous y allons de ce pas ! Il vous faudra en découdre contre vos propres troupes, Sire Connétable !
— Vous ne voyez que votre intérêt ! cria Richemont. Vous oubliez que, dans une ville fraîchement conquise, la justice doit être plus ferme et plus intransigeante que partout ailleurs. Mes ordres étaient formels et les sanctions éventuelles bien définies ! Le sire de Montsalvy le savait et, cependant, il n'en a tenu aucun compte...
— Le moyen de rester les bras croisés quand passe devant vous l'assassin de votre frère, fit Dunois. Tous, nous en aurions fait autant !
— Ne dites pas cela, sire Bâtard, répondit Riche- mont. Nul mieux que vous ne sait respecter les ordres. Comment les gens de Paris pourront-ils avoir confiance en moi si je ne montre que je suis seul maître et responsable au nom du Roi ? Si, à la première désobéissance grave, je passe l'éponge ? Avez-vous oublié que j'ai donné ma parole ?
— Votre parole ne vaut pas la tête d'Arnaud de Montsalvy, lança Catherine, farouche.
Puis, comme Richemont pâlissait et reculait comme si elle l'avait frappé, elle se jeta à genoux.
— Pardonnez-moi ! s'écria-t-elle, et ne me tenez pas rigueur d'une parole qui a dépassé ma pensée ! Je suis comme folle depuis que je sais le danger couru par mon époux... et pour quelle raison !
— Un prisonnier a été tué, répondit le Breton, obstiné, alors que je lui avais garanti la vie sauve. Croyez- vous que je n'avais pas bonne envie de pendre haut et court ce gros porc visqueux de Cauchon dont l'acharnement imbécile a voué la Pucelle à la mort ? Pourtant, je me suis retenu !
— Saviez-vous qu'il était dans la Bastille ?
— N...on ! Je l'ignorais, au début des négociations, mais l'eussé-je su que cela n'aurait rien changé à l'affaire : je devais les laisser partir tous ou aucun ! Relevez-vous, Dame Catherine, il me déplaît de vous voir ainsi à mes pieds.
— C'est la place qui convient à quiconque implore, il faut m'y laisser, Monseigneur ! D'ailleurs, je ne me relèverai que vous ne m'ayez accordé ce que je demande. Tout ce que vous m'avez dit, je le savais déjà. Je savais combien était grave la faute de mon époux, puisqu'il a osé faire fi de votre parole... la parole d'un prince et le plus loyal qui soit !