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Landry, tandis qu'elle priait, avait achevé ses préparatifs, passé l'étole de soie sur la bure de sa robe. Il considérait le moribond.

— Qui est cet homme ? demanda-t-il doucement.

Catherine tressaillit, réalisant seulement qu'il ne pouvait pas savoir car, si Ermengarde lui avait dit attendre Catherine, elle n'avait pu imaginer ni prévoir ce qui venait de se passer. Et les soudards qui étaient allés chercher le moine n'avaient pas dû prendre la peine de mentionner son nom. L'eussent-ils fait, d'ailleurs, que celui du capitaine La Foudre n'eût pas beaucoup éclairé Landry.

Elle prit sur la courtepointe la grande main, s'étonna de la trouver si chaude, alors qu'elle s'attendait à toucher une chair déjà froide.

Mais elle brûlait de fièvre.

— C'est mon seigneur, soupira-t-elle. Le comte de Montsalvy...

Elle sentit que Landry ne comprenait pas, et cependant il ne posa pas d'autre question. Mais son regard débordait de pitié en se posant tour à tour sur la tête blonde et sur cette autre qui reposait, à demi cachée sous ses linges sanglants.

— Tu me diras plus tard ! chuchota-t-il. Nous aurons tout le temps.

Puis, trempant dans l'eau bénite le brin de buis qu'il avait apporté avec lui, il aspergea l'a chambre, tandis que tous s'agenouillaient.

Pcix huic domui ! fit-il d'une voix forte. Adjuto- rinum nostrum in nomine Domini...

Le rituel de l'extrême-onction, apaisant et simple, ronronna dans la chambre sur la musique douce du latin.

Se penchant sur le corps d'Arnaud, Landry prit un peu d'huile sainte et, du pouce, fit une onction sur chacun des sens du blessé, sur les yeux, les oreilles et les lèvres, autant que le pansement le permettait, sur les mains ouvertes et sur les pieds, tandis que Gauthier et Bérenger, se souvenant tous deux de leur formation, religieuse, donnaient les répons et entamaient la litanie des agonisants.

Quand le dernier « Amen » se fut éteint, Landry se lava les mains, les essuya d'un linge que lui tendait Bérenger, ôta son étole, éteignit les petits cierges et rangea les objets dont il s'était servi dans le sac qu'il portait attaché à la corde de sa ceinture. Enfin, il se tourna vers Catherine qui était allée ouvrir l'étroite fenêtre. La nuit était complète maintenant, mais il régnait dans cette chambre une chaleur de four.

Les vêtements collaient à la peau et la sueur coulait en traînées brillantes sur tous les visages.

Le bruit de la petite place entra dans la pièce. Un bruit faible d'ailleurs : quelques soldats se promenaient, cillant des maisons à ce qui restait du camp et vice versa. A certaines fenêtres brillaient de rares lumières donnant l'impression que rien n'était changé dans ce village, et, sur les tours du château, les pots de feu brûlaient, éclairant les chemins de ronde sans laisser aucune place d'ombre qui eût pu permettre une surprise. C'était, là- haut dans le ciel, comme une couronne de flammes...

— Dis-moi tout, maintenant, murmura Landry. Je t'écoute...

— Que veux-tu savoir ?

— Ce qui m'échappe. Pourquoi tu as tant tardé à répondre à l'appel de Dame Ermengarde et aussi pourquoi est-ce que je trouve ici, avec toi, ton mari gravement blessé ? Avez-vous été attaqués par ces malandrins ? On m'avait parlé d'un blessé appelé... le Tonnerre... ou l'Éclair ?

La Foudre ! Tu as raison. Il faut que tu saches. En vérité, si je n'avais vécu tout cela, je crois que j'aurais peine à y croire moi-même. Mais nous sommes dans une époque terrible...

Le récit de ce qui s'était passé à Montsalvy, puis à Paris, à Chinon et à Tours fut rapide, aisé. Catherine commençait à en prendre l'habitude. Tout ce qui, dans la vie de la jeune femme, avait précédé le siège, Landry l'avait appris d'Ermengarde. Mais ce fut plus pénible quand on en vint à la soirée précédente. Pour évoquer le village supplicié, la jeune femme avait du mal à trouver les mots et il lui était dur de les prononcer car chacun d'eux évoquait une image affreuse.

— Je sais comment cela se passe, coupa le moine. Ce n'est malheureusement pas pour moi un spectacle nouveau et plusieurs fois, déjà, j'ai failli périr dans des aventures analogues.

— Plusieurs fois ?

Il eut un haussement d'épaules désabusé. Sa bouche se plissa tristement.

— Mais oui. Il paraît que c'est ça la guerre ! Continue, je t'en prie...

— Continuer ? Le plus difficile reste à dire, mon ami...

Sans oser le regarder, elle évoqua, presque bas, la maison envahie, l'homme torturé, la femme violée puis, cachant brusquement son visage dans ses mains :

— C'est alors que j'ai vu celui qui commandait... Le capitaine La Foudre... mon époux ! Arnaud !... Lui !...

Un silence s'établit. Landry ne disait rien. Gauthier et Bérenger s'étaient retirés par discrétion à l'autre bout de la pièce, presque cachés par les rideaux du lit, et ils s'efforçaient même de retenir leur souffle.

Au bout d'un moment, le moine se pencha, toucha du doigt le genou de son amie d'enfance.

— Qu'as-tu éprouvé, alors, Catherine ?

Elle écarta ses mains, lui livrant un regard malheureux.

Je ne sais pas... Je ne sais plus très bien. De l'horreur, oui, et puis une déception... Oh ! Ce n'est pas le mot et je ne peux pas traduire. C'était atroce, tu comprends... Un peu comme le soir où Caboche a tué Michel devant chez nous. As-tu vu ce que la foule en avait fait quand Legoix a donné le coup de grâce ? Quelque chose qui n'avait plus de nom, une bouillie sanglante dont la vue est entrée dans ma tête comme une flèche. Eh bien, quand j'ai trouvé Arnaud hier, j'ai ressenti quelque chose de semblable. Il était là, devant moi, tout semblable à l'image familière et cependant il me semblait que cette image, elle aussi, on l'avait massacrée. Je crois que j'ai eu mal, mais je n'ai pas eu beaucoup de temps pour m'appesantir sur ce mal car, tout de suite, cela a été la bataille. Nous nous sommes disputés, déchirés, comme si nous étions des étrangers, des ennemis. J'ai essayé de lui faire comprendre ce que j'éprouvais, mais il était au-delà de tout raisonnement, presque au-delà de toute évidence ! On aurait dit qu'une puissance inconnue l'habitait, une espèce de force hostile. A travers elle, j'ai compris aussi qu'Arnaud n'avait aucune espèce de confiance en moi...

— Tu as compris, dis-tu ? Es-tu certaine de ne pas l'avoir su depuis longtemps ?

Elle réfléchit un instant puis, honnêtement, elle approuva :

— Tu as raison. Depuis toujours, je crois bien, il se méfie de moi.

J'ai d'abord été pour lui une fille Legoix et cela suffisait pour que je lui fisse horreur. Ensuite il y a eu mes... relations avec le duc Philippe qu'il a toujours considéré comme son ennemi majeur.

— Tous ceux qui servent le roi Charles avec quelque fidélité pensent ainsi, remarqua Landry. Seulement, chez ton époux, la haine politique se double d'une haine particulière, une haine d'homme. Cette force mauvaise dont tu parlais à l'instant, ne crois-tu pas qu'elle s'appelle d'abord jalousie ?

— C'est par jalousie qu'il a incendié un village, violé une femme, torturé un homme ? Lorsque j'évoque cela, je sens revenir la rancune.

Parce que toi aussi tu es jalouse. Ce que tu lui pardonnes le moins, n'est-ce pas, c'est son admiration insolite pour l'aventurière de Saint-Privey... la fille qui se fait passer pour la Pucelle, et... le viol de la femme ! Une femme qui était blonde comme toi, m'as-tu dit ?

Landry tourna les yeux vers le gisant du lit et le considéra un instant avec attention.