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Ibrahim Ahmed Nur écarta les obus de mortier d’un geste désinvolte.

— J’ai besoin de toi pour autre chose.

Il lui expliqua le problème. Un jeune Somalien dont il lui donna le nom allait arriver à Mombasa. Il y retrouverait sa cousine qui tenait une boutique de souvenirs dans Mzizima road. Ibrahim Ahmed Nur souhaitait que cet homme soit surveillé dès son arrivée. On le soupçonnait de contacts avec des ennemis de l’Islam. Contacts qu’il fallait empêcher à tout prix. Dans l’hypothèse où on le verrait s’approcher d’un étranger, il fallait agir sans hésiter. Ibrahim Ahmed Nur parlait d’une voix douce, lente, mais pressante.

Pwani Shimba avait tout noté.

La main appuyée contre son cœur, il assura à son bienfaiteur :

— Frère Ibrahim, va en paix. Je vais faire surveiller étroitement cet homme. Et, Inch Allah, je ferai le nécessaire.

Ibrahim Ahmed Nur se leva, étreignit Pwani Shimba et l’embrassa trois fois, puis sortit du bureau. Rassuré.

Le transporteur était un bon musulman, sur qui on pouvait compter. Comme il n’avait pas le cœur mauvais, il souhaita que ses amis Shebabs de Harardhere aient nourri de faux soupçons. Amin, ce Somalien, était musulman, lui aussi, et seuls les ennemis de Dieu méritaient châtiment.

* * *

Lui s’était levée à quatre heures du matin, de façon à se trouver, dès l’ouverture, au marché aux poissons de Mzizima road. Selon ses calculs, le dhow transportant son cousin, devait normalement arriver à l’aube.

Elle suivit le sentier rocailleux serpentant le long de l’eau, pour gagner un promontoire d’où on apercevait les bateaux entrer dans le bras de mer formant l’ancien port de Mombasa. Elle s’assit sur ses talons, anxieuse, priant Dieu pour que tout se passe bien.

Soudain, son cœur battit plus vite : un dhow venait d’apparaître à l’entrée du bras de mer, en face du Four Seasons, l’hôtel abandonné. Il avançait à sept ou huit nœuds et mit un certain temps à venir s’ancrer près du bord, en face de la rampe menant au marché aux poissons. À peine amarré, les pêcheurs commencèrent à décharger les caisses de poisson.

Lui se précipita pour gagner le petit marché aux poissons, ne sentant même pas l’odeur épouvantable, n’ayant d’yeux que pour un groupe qui avançait tout doucement sur la passerelle de planches reliant le dhow au quai : deux hommes, qui en soutenaient un troisième, qui avait visiblement beaucoup de mal à marcher.

Elle poussa un cri et se précipita.

— Amin !

Amin Osman Said leva la tête et esquissa un sourire dans sa barbe hirsute. Ses traits étaient creusés, son regard vide. Chaque pas lui arrachait une grimace de souffrance. Lui écarta un des deux hommes et prit sa place. Comme elle ne possédait pas de voiture, elle avait prévu de prendre un taxi. Il y en avait toujours sur la place, en face du fish-market.

— Je reviens ! lança-t-elle.

Elle partit en courant et, dix minutes plus tard, revint avec un taxi jaune qui s’arrêta dans la rue étroite. Le temps de remercier l’équipage, elle démarrait. Amin Osman semblait somnoler. Elle ne fut tranquille qu’après l’avoir installé sur son propre lit. Il sentait la mer, le poisson, le gas-oil. Comme un enfant, elle le déshabilla, ne lui laissant que son caleçon, demandant pardon à Dieu d’être en contact avec un homme nu. Cependant, aucune pensée impure ne la traversait : c’était son cousin. En voyant le gros pansement qui enveloppait son genou droit, elle eut envie de pleurer. Lorsqu’elle l’effleura, Amin poussa un cri de douleur.

Elle alla lui chercher de l’eau et des galettes de maïs. Il but mais ne mangea pas.

Il somnolait et Lui attendit respectueusement qu’il reprenne ses esprits pour connaître ses intentions. Il serait toujours temps de lui parler de Hawo, la femme qui voulait le voir dès son arrivée.

* * *

Khamis Makamé, l’homme choisi par Pwani Shimba pour surveiller Amin, avait suivi le taxi en courant jusqu’à la maison de Lui, dans Mzizima road. Ensuite, il s’était installé en face, dans les ruines d’une maison détruite, d’où il pouvait surveiller l’entrée.

Le gros pistolet automatique qu’il avait glissé sous sa chemise pesait sur son estomac. Son patron lui avait promis 10000 shillings s’il avait à s’en servir. Une somme considérable pour ce pauvre hère venu du nord désertique du Kenya pour trouver un travail sur la côte. Bien qu’il ne nourrisse aucun sentiment hostile envers le jeune blessé, il souhaita quand même avoir à se servir de son arme, ce qui lui permettrait d’envoyer de l’argent à sa femme, demeurée à Isiolo.

* * *

Amin Osman Said venait de se réveiller. Il but encore, avidement, puis se mit à mâcher du khat pour oublier la douleur de son genou. Assise à côté du lit, Lui l’observait tendrement.

— Que veux-tu faire ? demanda-t-elle. Il faut te soigner. Veux-tu que je t’emmène à l’hôpital ?

Le jeune homme secoua la tête.

— Non, pas ici. Je dois aller à Nairobi. Est-ce que quelqu’un m’a demandé ?

— Oui, une femme, Hawo. Il parait qu’elle t’a rencontré là-bas, c’est vrai ?

— C’est vrai, confirma Amin.

Soulagé. Les Américains tenaient leur promesse. Bientôt, il serait soigné, aidé, et on ferait venir sa famille. Il se redressa et lança à Lui.

— Je voudrais que tu appelles cette femme. Dis-lui que je voudrais la retrouver à l’entrée du port de Kalindini, dès qu’elle le pourra.

— Pourquoi si loin ? C’est de l’autre côté de la ville, objecta Lui. Elle devrait venir te chercher ici...

Amin secoua la tête.

— Non. Je dois retrouver un muzungu, je ne veux pas que cela se sache. Ici, dans ce quartier, tout le monde serait au courant. Fais ce que je te dis. Lui n’insista pas. Une femme ne se mêle pas des affaires des hommes.

— Je vais faire comme tu dis, conclut-elle. Maintenant, repose-toi.

* * *

— Il est arrivé. Il est chez sa cousine Lui, annonça Hawo, en reposant son portable.

— On va le chercher ?

— Oui, mais pas dans Mzizima Road. Il nous donne rendez-vous à l’autre bout de la ville, à l’entrée du nouveau port de Kilindini.

— Quand ?

— Je dois l’appeler, dès que nous y serons.

— On y va.

* * *

Malko trépignait, assis à l’arrière de la voiture du Serena Beach. Le chauffeur, un brave Kenyan au crâne rasé, faisait ce qu’il pouvait, mais la circulation était effroyable sur la route côtière.

Ils franchirent le Nyali bridge à une allure d’escargot, puis, après quelques kilomètres, tournèrent à gauche pour traverser l’île de Mombasa.

Tandis qu’ils se traînaient dans Moi avenue, passant sous les défenses d’éléphant en ciment enjambant la chaussée, il réalisa qu’il n’était même pas armé !

Durant le trajet, il avait eu le temps d’alerter Mark Roll qui envoyait un jet privé à l’aéroport de Mombasa pour rapatrier Amin Osman Said sur Nairobi. « Wild Harry » jugeait inutile de venir, puisque les choses se passaient bien.

En repensant à l’étrange coup de fil reçu au Serena Beach, Malko eut soudain une idée et appela Malcolm, le patron des « Blackwater ».

Lui expliquant la situation.

Le Sud-Africain n’hésita pas.

— Je saute dans un youyou avec ce qu’il faut, promit-il. J’arriverai peut-être avant vous. Rendez-vous en face du Kenya Ports Service.