Un peu partout, sur le pont, la quinzaine d’hommes composant l’équipage, prenaient le soleil : pêcheurs de profession, ils n’étaient pas sensibles au mal de mer. Deux d’entre eux avaient démonté leur Kalach et la nettoyaient.
Mohktar Ali Robow gagna le bastingage, regardant le sillage où dansaient les deux « navires d’assaut », des barques rigides de huit mètres de long, pouvant accueillir chacune sept ou huit hommes. Avec leur moteur de 75 chevaux, ils dépassaient les 30 nœuds.
Ensuite, il se força à redescendre dans la cabine où le radio, un Somalien, veillait près de l’AIS. Là, l’atmosphère était visqueuse, brûlante, horrible.
— Il y a du nouveau ?
Cela faisait deux jours qu’ils avaient quitté la côte somalienne et ils se trouvaient désormais le long des côtes d’Arabie Saoudite, à la sortie du détroit d’Oman.
— Pas encore, assura le radio.
— Pas d’ennemis en vue ?
— Non.
Grâce à l’AIS, ils pouvaient repérer les navires de guerre et modifier leur course en conséquence. Ne possédant pas d’émetteur, ils ne pouvaient pas se faire repérer.
Le chef Shebab regarda l’écran, sans rien y comprendre. Il aurait donné cher pour être plus vieux de quelques heures. Comme il allait remonter, le radio poussa une exclamation.
— Reste, mon frère !
Un point venait d’apparaître dans le coin gauche de l’écran. Un navire. L’opérateur cliqua sur la souris pour l’identifier. Un code apparut et il se jeta sur le livre posé à côté de lui, répertoriant tous les navires munis d’un AIS. Il regarda longuement et releva la tête.
— Inch Allah ! C’est lui ! fit-il d’une voix étranglée.
Mokhtar Ali « Robow » en oublia son mal de mer. Penché sur l’écran, il demanda.
— Il est loin ?
— 50 miles environ, il se dirige vers le sud. Nous sommes par son travers arrière.
— Combien de temps faut-il pour le rattraper ?
— Deux heures peut-être. Afin d’être assez près pour lancer les barques. Ensuite, une demi-heure. Il ne va pas très vite... Environ 16 nœuds.
Mokhtar Ali « Robow » n’en pouvait plus d’excitation : l’opération qu’il avait conçue des mois plus tôt était sur le point de se réaliser. Il adressa une prière muette au ciel.
— Je vais prévenir mes hommes, dit-il, en se dirigeant vers le pont.
Deux équipes devaient s’emparer du Venus Star. La première, composée de pirates professionnels, monterait à l’assaut et prendrait possession du navire gazier. Ensuite, l’équipage neutralisé, les six hommes de Mokhtar Ali « Robow » géreraient la suite. L’un d’eux était un marin et saurait guider le gros navire vers son objectif : le port saoudien de Dahran, là où se trouvaient les plus grandes installations pétrolières du monde. Grâce aux informations transmises par les affidés d’Al Qaida sur place, ils savaient exactement ce qu’ils devaient faire. Dès qu’ils auraient atteint le port pétrolier, ils déclencheraient les charges explosives qui transformeraient le super-gazier en une bombe d’une puissance inouïe, dont le souffle dévasterait toute infrastructure saoudienne.
Le commando était dirigé par un Shebab, Adam Salad Adam, qui ne survivrait pas. Mokhtar Ali « Robow », lui, resterait sur le chalutier, et, ensuite, de retour en Somalie, convoquerait Al Jeezirah et d’autres chaînes de télé pour répandre la nouvelle de son exploit.
Longtemps, il avait hésité entre faire exploser le super-gazier dans le port de Dahran ou le jeter contre un navire de guerre américain. Dans ce dernier cas, il craignait que les dégâts ne soient pas assez importants. Personne n’avait pu lui donner de garanties...
Une fois sur le pont, il rejoignit ses hommes regroupés à l’avant, à l’écart des pirates.
— Prions ! lança-t-il. Allah nous a envoyé notre cible ; dans très peu de temps, nous allons l’attaquer et, Inch Allah, en prendre possession. Pour la plus grande gloire de Dieu.
Malko avait dormi comme un loir, épuisé par la fatigue nerveuse. Réveillé par un tangage violent, il s’était levé pour monter sur le pont, découvrant une immensité vide, avec une mer déjà bien formée. Le « Mac Arthur » plongeait son étrave dans les vagues qui inondaient le pont avant régulièrement. Il gagna la dunette, où se tenait l’homme de barre et Malcolm.
— Où sommes-nous ?
Le Sud-Africain lui désigna la carte à côté de la barre.
— Sur le « rail » emprunté par les navires sortant du détroit d’Ormouz, et partant vers Le Cap.
— Où est le « Venus Star » ?
Malcolm désigna l’écran radar.
— À environ 150 miles. Nous allons croiser sa route dans cinq heures environ.
Grâce au GPS du super-gazier, il connaissait sa position en temps réel à quelques mètres près.
— Et les pirates ? demanda Malko.
— Rien en vue, mais ils n’ont pas d’émetteur AIS et au radar, ce n’est pas évident de les repérer. Il y a des chalutiers partout dans le coin, yéménites, saoudiens ou omanais. On ne peut les identifier qu’à vue.
Un marin tendit à Malko un café et il le prit avec plaisir.
Les paquets de mer frappaient le pare-brise sans arrêt, pourtant la mer était belle. Il redescendit prendre une douche, en se cognant un peu partout, inquiet. Pourvu que les pirates ne les prennent pas de vitesse.
Malko jeta un coup d’oeil à sa Breitling et sursauta : il avait dormi plus de quatre heures. Il se hâta de remonter sur le pont, interpellé aussitôt par Malcolm.
— Nous avons le « Venus Star » dans notre récepteur AIS.
Ils gagnèrent la dunette et le Sud Africain lui montra le cap qu’il fallait garder pour rejoindre le « super-gazier » : 260 et la distance qui les séparait encore : 32 miles nautiques. Les données étaient actualisées toutes les vingt secondes...
— Nous filons à 32 nœuds, annonça Malcolm. Nous devrions l’apercevoir d’ici quarante minutes.
— Que faites-vous ensuite ?
— Nous allons rester dans son sillage, à quelques miles et attendre que les pirates se manifestent. L’escorter, en quelque sorte.
— Vous allez entrer en contact avec lui ?
— Oui, je pense.
Malko n’avait plus envie de redescendre. Il resta à écarquiller les yeux vers l’avant, regardant de temps en temps où la distance entre les deux navires diminuait à vue d’œil. Soudain, l’officier radar poussa une exclamation. Malko se rapprocha de l’aiguille qui balayait le cadran rond et l’homme lui montra un point en haut à gauche, beaucoup plus petit que le « Venus Star ».
— Il y a un autre navire dans les parages, expliqua-t-il, qui n’est pas équipé d’AIS ou qui ne l’a pas activé. Il navigue dans la même direction que le « Venus Star », à une dizaine de miles derrière lui. À peu près à la même vitesse.
— Vous pouvez l’identifier ?
— Non. Je peux seulement le surveiller au radar. Il n’a pas l’air de se rapprocher. Ce peut être un des innombrables boutres qui naviguent dans le coin ou...
— Des pirates, compléta Malko.
Dans très peu de temps, ils allaient le savoir.
Le « Buruh Océan » avait ralenti et l’activité était fébrile sur le pont de l’ancien chalutier russe. On avait ramené à la hauteur du chalutier les deux barques à la traîne et les pirates étaient en train d’y prendre place, y descendant par deux échelles plaquées à la coque du chalutier. Sept hommes par engin : un chargé du moteur et six de l’assaut. Armés de Kalachnikovs et de RPG7.