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Encore une réponse vaseuse, songea Rigg. Un « oui » ou un « non » m’aideraient plus qu’une probabilité de contamination.

Miche passa l’auge à Param sans même y plonger une lèvre.

« Tu en as plus besoin que moi.

— Ai-je l’air d’une princesse souffreteuse ? » s’offusqua Param.

Certes, Param était une princesse, et pas des plus gaillardes. Avant que leur mère ne se mette en tête de les trucider, elle et son frère, Param avait vécu en repos forcé entre quatre murs dorés. Et la fuite d’Aressa Sessamo n’avait guère ravigoté la promise à la Tente de Lumière. Mais personne n’avait jamais eu l’outrecuidance de pointer, même tacitement, sa frêle constitution.

« C’est juste que vous avez dû tenir une semaine de plus que nous sur votre réserve d’eau, avec Umbo », se justifia Miche.

Param saisit l’auge et but quelques gorgées.

« Mmmm, un régal, se délecta-t-elle avec un plaisir non feint. Très fraîche. Aucun goût. À part peut-être une petite pointe de…

— Métal, compléta Vadesh. De la roche qui la filtre. »

L’auge circula d’Umbo à Rigg, qui passa son tour.

« Ne craignez rien, il en reste encore quelques litres, les rassura Vadesh.

— Bois le reste, dans ce cas, Miche, suggéra Rigg. J’attends la prochaine tournée.

— Il a peur que j’aie craché dedans, lança Umbo.

— Question d’habitude, s’exclama Miche avant de sécher le contenu d’une traite. Tu as raison, elle est délicieuse. »

Il tendit le récipient vide à Vadesh, qui se chargea de refaire le plein.

Rigg se méfiait du sacrifiable, sans toutefois se l’expliquer. Parce que tout, dans sa manière d’être, lui rappelait Père ? Possible. En tout cas, une chose était sûre : Vadesh sentait la fourberie à plein nez. Non pas à cause de ses sombres manigances – les objectifs poursuivis par Père n’étaient pas plus clairs – mais de ses réponses pour le moins évasives… et soigneusement filtrées.

Père m’aurait dit pourquoi les habitants ont fui la ville. Et sans même que je le lui demande : analyser le pourquoi des actes d’autrui était son sport favori.

Ceci dit, Vadesh n’a pas vocation à m’éduquer. Pourquoi prendre la peine de m’expliquer ?

Rigg peinait à se convaincre lui-même. Encore un héritage de son paternel : le rejet systématique du postulat de départ. « Tes hypothèses s’avéreront souvent justes et plus tu avanceras en âge, plus elles tendront à l’être. Mais toujours a priori. Il ne faudra jamais négliger les autres pistes. Garde ton esprit en alerte et si une explication plus plausible en émerge, saisis-la au vol. »

Tout cela pour dire que Rigg se méfiait de Vadesh comme de la peste. Surtout, il savait le sacrifiable conscient de sa méfiance, comme Père l’aurait été.

Il vida le fond de sa gourde par terre et s’approcha du pilier pour la remplir.

« Inutile, l’arrêta Vadesh. La pureté de cette eau découle de l’unicité de son récipient. Le mécanisme n’en accepte qu’un : cette auge. »

Vadesh glissa le bloc de roche dans son logement et le ruissellement se fit à nouveau entendre le long du pilier.

Tout le monde fit le plein d’eau pure après avoir séché les gourdes de leur contenu bourbeux, puisé en catastrophe à une source deux jours plus tôt ; le dernier ravitaillement qu’ils s’étaient autorisé en pleine cavale.

« La nuit tombe, fit observer Miche. Où peut-on trouver un endroit sûr pour dormir ?

— Partout dans la ville », répliqua Vadesh.

Rigg confirma d’un signe de tête.

« Aucun animal ne vient jamais ici.

— Bien, alors maintenant, où peut-on trouver un endroit sûr et confortable pour dormir ? s’enquit Umbo. Les nuits le dos sur la pierre, dans l’herbe mouillée, les aiguilles de pin, ça va bien quelques jours, mais un bon lit…

— Il n’y en a pas ici, le coupa Vadesh. Pour la simple et bonne raison que je ne dors pas et que personne ne m’avait annoncé votre visite.

— Vous voulez dire qu’il n’y en a plus, nuança Olivenko. Les habitants devaient bien en utiliser, non ?

— Oui, mais tout se dégrade, affirma Vadesh. Et certaines choses plus vite que d’autres.

— Et vous, à quelle vitesse vous dégradez-vous ? lança Rigg.

— Moins vite qu’un lit, estima Vadesh, mais plus vite que le métaldur.

— Et pourtant, vous semblez comme neuf, nota Rigg. Comment faites-vous ? »

Vadesh, debout contre son pilier, le fixa un long moment. À chercher une réponse elliptique, ne douta pas Rigg une seule seconde.

« Les différentes pièces de mon corps se remplacent, concéda-t-il enfin. Et ma mémoire est stockée en lieu sûr, dans la bibliothèque de l’Étoile éternelle.

— Qui fabrique vos pièces de rechange ? l’interrogea Rigg.

— Moi, déclara le sacrifiable.

— Ici ? Dans cette usine ?

— Oui, pour certaines, affirma Vadesh.

— Et les autres ?

— Ailleurs, apparemment, se déroba Vadesh. Pourquoi ces questions ? Craignez-vous que je tombe en panne ? »

Intéressant, nota Rigg. Je m’apprêtais juste à lui demander s’il avait suffisamment de stock pour se dupliquer.

Rigg conclut à une projection spontanée des craintes du sacrifiable : Vadesh avait peur de la panne.

« Comment oserais-je penser qu’une machine parfaite au point de me tromper treize années durant sur sa nature non humaine puisse avoir besoin d’une révision ? ironisa-t-il.

— Nous sommes d’accord », fanfaronna Vadesh comme s’il avait marqué un point dans une dispute.

Et peut-être étaient-ils en train de se disputer, tout compte fait. Si c’est le cas, qu’aura-t-il prouvé ? médita Rigg. Que je m’interroge sur son état ? Était-ce un acte délibéré de sa part ? De la poudre aux yeux, pour que je me méprenne sur ses capacités ? Ou, à l’inverse, une preuve de son imperfection, qui aura semé le doute dans mon esprit quand son intention première était de me rassurer ?

« Merci pour l’eau, conclut Rigg. Nous allons trouver un sol plus accueillant aux abords de la ville pour la nuit. À moins que l’un de vous ne tienne à se remettre les vertèbres en place sur un matelas de caillasse ? »

À en juger par le nombre de volontaires, peu y tenaient. Rigg se faufila parmi les bâtiments en suivant leurs propres traces à rebours jusqu’à la sortie de la ville, ses compagnons à la queue leu leu derrière lui. Vadesh s’invita en bout de convoi, persuadé d’être le bienvenu… le temps pour Rigg de mettre les points sur les i.

« Vous ne dormez pas, si je ne m’abuse ? Et nous n’avons pas besoin d’un chaperon. »

Vadesh repartit vers l’usine sans demander son reste… et sans laisser de trace, comme Père. Comme tous ces êtres invisibles pour Rigg, furtifs dans leurs mouvements.

Et pourtant, que n’aurait donné Rigg pour pouvoir le suivre dans les méandres du temps ces dix mille ans passés, depuis l’abandon de la ville par ses habitants… Mieux encore : les mille années précédentes, du temps où les rues battaient encore leur plein. Que faisait-il alors ? Et à quoi bon rester ici, si la vie était ailleurs ?

Chapitre 2

Barbailé

La plupart des traces des anciens habitants finissaient par quitter la route. Rigg marqua une pause pour mieux suivre leur parcours.

« On est censés dormir ici ? » le questionna Miche.