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Nous sourions tous à sa plaisanterie, destinée à soulager les tensions.

Jonathan me regarde et me fait un clin d’œil qui signifie : Le vieux dit la même chose tous les ans. C’est probablement vrai, mais je ne peux me mettre à rire. En tant que capitaine de l’équipe, je dois donner l’exemple.

« Il ne s’agit pas de défendre, conclue Gopal, l’air fatigué. Nous jouons pour gagner. Durant la partie, je vous donnerai des instructions. Mais les derniers mots, c’est vous qui allez les dire, parce que…

— NOUS SOMMES L’ÉQUIPE CHAMPIONNE ! »

Le hurlement nous emplit de foi et Gopal sourit comme une vieille gargouille.

« Oui… Même si j’allais dire que vous étiez la plus lamentable bande de singes jamais vue sur un terrain de Voxl. »

Il nous fait un clin d’œil et, durant une fraction de seconde, il redevient Mohamed Gopal, la Merveille de Delhi, le premier humain à avoir joué dans la Ligue.

« Aujourd’hui, vous allez pouvoir me prouver que je me trompe… »

Joyeux, confiants, nous nous mettons à courir en riant vers les vestiaires. Chacun possède le sien, avec son nom marqué sur la porte. Comme toujours, Mvamba est le dernier. Il ne sait pas lire et il attend que nous entrions pour savoir quel est le sien, par élimination. Mais certaines compétences ne sont pas indispensables à un voxleur.

Dans le monde d’aujourd’hui, il n’est pas non plus nécessaire de lire. Les ordinateurs parlent, les cartes de crédit aussi… Et pourtant, l’analphabétisme de l’Africain est un secret entre Jonathan, lui et moi. Nous lui avons promis, par-dessus tout, qu’Arno Korvaldsen ne l’apprendrait jamais. La Brute blonde s’est moquée si impitoyablement des jumeaux Slovsky parce qu’ils ignoraient qui était Jules César que, s’il le savait, Mvamba serait la cible de ses moqueries pendant des mois. Et il y a peu de choses que l’ex-conducteur d’aérobus craigne plus que le ridicule. Il est tellement timide…

Il n’est pas facile de vivre et de jouer en équipe. Cela ne l’est pour personne, et pour le capitaine encore moins. Mon poste comporte beaucoup de responsabilités et peu de reconnaissance. Les autres pâtissent tous de mes oublis et de mes erreurs, depuis l’entraîneur jusqu’au remplaçant. En échange, mon unique trophée est la victoire. Les dix-huit points sur notre tableau d’affichage. Ce n’est qu’alors, sans que nul ne me le dise, que je considère que j’ai bien travaillé. Même la perfection n’existe pas dans le Voxl.

Au moment où je passe la porte, le champ antigrav me soulève jusqu’à mon alcôve. On dit que les stades de la Ligue ont des cabines internes de télé-transport et qu’aucun spectateur n’est mis en présence des joueurs en chair et en os parce qu’ils préfèrent l’holo-vision.

Bah, on dit tant de choses sur la Ligue… Ici, sur Terre, les matchs sont également transmis par holo-réseau. On peut apprécier les détails, la même action de jeu peut être vue sous plusieurs angles, au ralenti ou en vision infrarouge… Mais cela n’a rien à voir avec le fait de se trouver au milieu du Méta-Colisée, rugissant à chaque mouvement des équipes. Si ce n’était pas le cas, pourquoi tant de xénoïdes se donneraient-ils la peine de venir, au lieu de regarder la partie confortablement installés dans leurs chambres d’hôtel ?

Je commence à m’habiller. La cérémonie est aussi ancienne que le Voxl lui-même. Elle remonte à deux mille ans, à l’époque où les Centauriens ont commencé à pratiquer ce sport, là-bas, sur leur monde froid, bien avant d’entrer en contact avec d’autres espèces intelligentes.

Gopal m’aide à placer chaque élément de la tenue, comme le font des servomécanismes dans les cabines du reste de l’équipe. Vêtir le capitaine est un antique privilège de l’entraîneur… et le dernier moment pour échanger des idées. Il murmure :

« Attention à la jambe de Mvamba, qui est encore fragile après le dernier traitement réducteur de fracture. »

Puis il remonte sur ma peau nue le justaucorps de monitoring médical et de rétro-alimentation. Il s’agit d’un artefact complexe qui va superviser, seconde après seconde, mon état physique. Mon degré de stress métabolique, mes fractures, luxations ou entorses seront surveillés par le système. Et, au passage, celui-ci s’assurera que mon cœur tienne le coup en m’administrant les quantités nécessaires d’hormones et de stimulants pour que je supporte les efforts et la tension de la partie.

Je l’interroge, évoquant une vieille discussion :

« Tu crois que les jumeaux tiendront le coup jusqu’à la fin de la partie ? À mon avis, malgré leur indéniable condition physique, il leur manque encore de la témérité. »

Gopal acquiesce, l’air confiant. Mais il sifflote une ritournelle indienne entêtante que je l’ai déjà entendu ressasser à d’autres occasions, lorsqu’il est nerveux mais ne veut pas qu’on le remarque. Il n’est pas sûr non plus qu’ils y arrivent. J’en tiendrai compte.

Par-dessus le justaucorps, il place la combinaison amortissante qui me protégera contre l’effet du champ de force, la couche la plus externe de mon armure.

« Surveille Arno, me conseille encore Gopal en installant les générateurs de champ. Il a tendance à oublier qu’il est défenseur et veut gagner la partie à lui tout seul… »

Je hoche la tête. Je surveillerai Arno.

Lorsque je connecte la combinaison, je suis enveloppé par un champ de force impénétrable. Un effet de diffraction bien calculé fait briller le bleu et rose glorieux de l’équipe Terre. Et le chiffre 01 qui m’identifie comme capitaine, sous le logotype triangulaire des Transports Planétaires INC, notre sponsor officiel. Que la Vierge le bénisse mille fois.

L’équipement d’un voxleur de première catégorie est extrêmement coûteux. La stricte quarantaine techno-scientifique à laquelle est soumise la Terre impose d’acheter chaque partie de la combinaison à la Corporation centaurienne – qui détient les droits quasi exclusifs de leur fabrication dans toute la galaxie – et les appareils d’entraînement, les régimes spéciaux et tout le reste multiplient encore par dix ce coût. Les dirigeants des Transports Planétaires sont d’authentiques patriotes qui parient gros. Et qui sont capables de nous griller vivants si nous ne justifions pas leur investissement par une bonne actualité qui leur sert de propagande.

Avec le quart de ce qu’ils ont investi à me nourrir, à me surveiller médicalement, à m’entretenir et à me vêtir, mon père aurait pu s’acheter un passage en première classe pour quitter cette planète en toute sécurité.

Je vais te dédier cette partie, Papa… Où que tu sois. Si un astéroïde ne t’a pas transformé en poussière ou si tu n’as pas été recyclé par les chasseurs d’ordures nomades, tu erres peut-être là-haut, congelé pour l’éternité. Il est sûr que tu n’es jamais arrivé nulle part. Quelques années de plus, et je t’aurais emmené en voyage avec moi. Évidemment, tu ne pouvais pas le savoir, et tu n’avais pas la patience d’attendre un tel miracle…

Et toi, Maman, pardonne-moi… Je te répondais toujours que c’était ta mauvaise langue et ton sale caractère qui te mèneraient, toi, au reconditionnement corporel. Mais cela ne m’a pas plu du tout d’avoir raison.

Le reconditionnement corporel. Pfff !

Dans les interviews, il y a toujours un reporter stupide ou simplement mal informé pour poser la question classique, comme si c’était une évidence : pourquoi n’utilisons-nous pas les corps de « chevaux », spécialement dédiés au Voxl, au lieu de mettre les nôtres en danger ? Au début, je me lançais dans de longues explications. Maintenant, je me contente de les regarder en souriant. Les imbéciles.

Les épuisantes sessions d’entraînement et les doses impressionnantes d’hormones synthétiques et de drogues auxquelles nous nous soumettons ne sont pas agréables, c’est certain. Mais il n’existe pas d’autre solution.