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Nous ressentons tous cela. Même si nous ne l’exprimons pas…

Nous voyons les bouches du public se tendre en un cri silencieux de haine infinie. Avant même de nous retourner, nous savons déjà que, derrière nous, l’équipe de la Ligue entre sur le terrain. Nous pivotons à l’unisson pour leur faire face. Pour les voir, les jauger, les connaître.

Mes yeux et ceux de l’équipe les détaillent, avides. Captant des détails, imaginant des stratégies, soupesant les forces probables et les faiblesses théoriques. Et ils en font de même avec nous.

Au Voxl, les équipes sont équivalentes par le poids, pas par le nombre de joueurs. 573 kilos, exactement 6 packs centauriens, ou moins.

Nous pesons exactement ce chiffre. Nous serons six sur le terrain, et nous n’avons pas laissé un gramme d’avantage à nos adversaires.

Ils ne sont que quatre. Ils ont opté pour la force.

Le défenseur est un Colossien qui a subi l’ablation chirurgicale des plaques osseuses de son blindage naturel. Sous sa combinaison encore déconnectée et transparente, il est d’un étrange rose pâle, au lieu de l’habituelle couleur rougeâtre. Un vrai géant, même pour son espèce, qui avoisine les 300 kilos. Une idée intelligente, cette amputation : sur le terrain, où nous portons tous des armures équivalentes, la grosse carapace de ce natif de Colossa ne représenterait qu’un poids mort. Ainsi, tout en gagnant de la mobilité, il lui reste trois quintaux de muscles, avec l’avantage supplémentaire d’une queue très robuste.

Il me semble voir un sourire dans les petits yeux renfoncés du Colossien. Même la Brute blonde n’est pas de taille à l’affronter avec ses 187 kilos. Le scélérat se sent sûr de lui. Il sait que la plus grande partie du temps nous allons nous borner à l’éviter.

Avant que le découragement ne sape le moral de mon équipe, je déclare dans mon vocodeur :

« Pas question de fuir devant le Colossien. On va le contrôler. Par paires… Je ne veux pas d’actes héroïques. Tu m’entends, Copenhague ? De toute façon, il n’a pas de jambes… Au rebond, on le bat. Mvamba, tu aideras la Masse à contenir ce mollusque sans coquille. Et s’il te paraît grand, regarde-le d’un seul œil : il aura l’air plus petit. »

L’éclat de rire qui s’ensuit me prouve que tout va bien. Un bon capitaine doit savoir sortir une blague au bon moment, pour entretenir le moral.

À côté du Colossien, se tiennent les Cétiens. Deux beaux spécimens, se ressemblant comme deux gouttes d’eau, comme des clones. De dignes adversaires pour les jumeaux de Varsovie. Si Jan et Lev parviennent à les contenir, ils pourront dire qu’ils sont devenus des hommes.

Les Slovsky sont plus robustes que le couple de sveltes humanoïdes qui atteignent à peine les 90 kilos. En coordination, ils les valent probablement. Mais en vitesse, c’est autre chose. Les natifs de Tau Ceti ne sont pas seulement beaux comme des dieux, ils sont également aussi agiles et glissants que des anguilles. Bien plus que tout autre humanoïde. Ils égalent presque les insectoïdes gordiens, les êtres les plus rapides de la galaxie malgré le blindage de leur exosquelette chitineux.

Au moins ils n’en comptent pas dans leurs rangs. Ceux-là, pour leur enlever le poids de leur carapace, il n’y a pas d’autre moyen que de les tuer…

Mais celui qui me préoccupe vraiment, c’est le quatrième joueur. Le visage de Gopal arbore une moue de dégoût. Les jumeaux ont la bouche ouverte de stupéfaction. D’un geste péremptoire, je leur ordonne d’être plus discrets. Aucun autre joueur ne semble l’avoir reconnu.

C’est Tamon Kowalsky, l’ex-capitaine des Hussards de Varsovie qui leur a fait gagner le championnat trois années de suite. Le capitaine de l’équipe Terre il y a cinq ans. Jan et Lev ont grandi à l’ombre de sa légende : il a été entraîné par leur père…

À présent, c’est un traître. Un spahi vendu à la Ligue qui joue contre son espèce, contre sa planète. Il porte un tatouage de crédit à la tempe droite, montrant le statut économique privilégié qu’il a atteint. Mais, socialement, ce doit être un paria, un solitaire déclassé.

Bien que son compte bancaire lui permette probablement d’acheter tout le Méta-Colisée et peut-être la moitié de la Nouvelle Rome, l’argent ne semble pas l’avoir rendu heureux. Derrière sa fière moustache, son visage a la même expression revêche que d’habitude… voire pire.

Il est en superforme. Il pèse près de 110 kilos, un peu plus que moi. Ferai-je le poids devant lui ? Je l’ai vu jouer avec les Hussards. À l’époque, il était rapide et n’avait aucun rival au rebond. Et depuis qu’il est dans la Ligue, il a dû beaucoup s’améliorer. Je vais avoir besoin de Yukio pour le neutraliser.

Mon équipe regarde Kowalsky avec curiosité. Il est dangereux. Il vaut mieux que je leur dise de qui il s’agit.

« C’est Tamon Kowalsky, des Hussards. Samouraï, ce renégat est à nous. À toi et moi. Banzai ? »

Le Japonais me regarde, et ses yeux flamboient. Le bushido ne pardonne pas la trahison.

« Banzai. Domo arigato, Daniel-San », répond-il, plaisantant à moitié.

Nous étudions le japonais ensemble mais, évidemment, il le parle bien mieux que moi. Une prédisposition génétique, sans doute. Depuis que le planétaire est devenu la langue commune sur Terre, l’apprentissage des idiomes historiques n’est qu’un passe-temps pour quelques nostalgiques.

Lorsque la sonnerie retentit, nous nous approchons de nos adversaires pour les saluer à la façon centaurienne : à peine un léger contact de la pointe des doigts, les bras très tendus. En pareil moment, je me dis toujours que les Centauriens sont une espèce paranoïaque.

Lorsque nous nous séparons, nous allumons nos combinaisons et les parois transparentes se polarisent pour nous cacher le public. Gopal se retire dans son stand, et nous attendons, vigilants, les membres contractés, que le voxl se matérialise. Ces quelques secondes nous paraissent aussi longues que des siècles.

Le voxl n’est pas une pelote, mais une concentration sphérique de champs de force. Il possède une masse, même faible, et rebondit contre les parois… Mais c’est là que s’arrête l’éventuelle ressemblance avec tout type de ballon.

Son interaction avec les champs de force des six surfaces du terrain a deux caractéristiques spéciales. La première est qu’à chaque rebond, il gagne de la vélocité au lieu d’être freiné, comme si les murs avaient un coefficient d’élasticité supérieur à 1. Au bout de cinq ou six rebonds, le mouvement du voxl est si rapide que même nos réflexes hyper entraînés ne peuvent plus le suivre avec précision.

La seconde particularité est que, comme tout champ de force, il est extrêmement glissant. Son angle de rebond est presque impossible à prévoir. Même s’il frappe perpendiculairement un mur, le plafond ou le sol, on peut être sûr que le voxl repartira avec au moins cinq à dix degrés de déviation… et à toute vitesse.

La seule chose qui ralentisse le voxl – et encore, pas beaucoup –, ce sont les champs de force de nos armures, de polarité opposée. Mais comme il glisse, tenter de l’agripper directement n’a aucun sens. Il est impossible de le tenir. On ne parviendrait qu’à le laisser s’échapper lentement avec une destination aléatoire.

Le frapper produit deux effets similaires. C’est comme l’offrir à l’équipe adverse : il repart par à-coups dans n’importe quel sens, et aussi lentement que l’impact aura été fort.

La façon la plus sûre de contrôler cet objet capricieux se fait par de doux frôlements, presque caressants, pour en changer la trajectoire et la vélocité. Avec beaucoup de pratique et pas moins de chance, un bon joueur peut presque parvenir à l’envoyer dans la direction souhaitée.

Comme si le contrôle du voxl n’était déjà pas assez compliqué, nos combinaisons rebondissent à vitesse croissante contre le sol, les parois et le plafond. Mais moins vite que l’insaisissable voxl. Surtout parce que, lorsque la partie commence, la gravité sur le terrain est réduite à 0,67 g, comme sur Colossa. Et ceci ralentit un peu les actions.