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Nous sommes déjà parvenus là où aucune équipe humaine de Voxl n’était arrivée depuis des années, face aux joueurs de la Ligue. Treize à quinze. La dernière fois qu’une équipe Terre a dépassé la dizaine face aux xénoïdes, c’était il y a vingt-six ans. Elle était conduite par la Merveille de Delhi… Notre Mohamed Gopal.

Les cadres des Transports Planétaires INC doivent se féliciter de nous avoir sponsorisés. En échange de leur énorme investissement et du risque qu’ils ont pris, ils ont maintenant l’exclusivité de cinq minutes de publicité durant la mi-temps de la partie du millénaire. Une exclusivité qui rapporte des millions.

Comme chaque partie annuelle de Voxl entre humains et xénoïdes, celle-ci est retransmise par holo-vision sur les quatre continents de la Terre, sur tous les mondes qui ont intégré la Ligue, et jusqu’aux colonies possédant leurs propres hyper-antennes orbitales. À ce moment précis, plus des quatre cinquième de la population humaine doivent être devant leurs holo-écrans, priant leurs dieux pour que nous gagnions. Et, probablement, un bon cinquième de la galaxie doit être attentif au score de la partie. Avec, évidement, plus de curiosité que de ferveur.

Nous allons leur montrer que la Terre n’est pas qu’une simple destination touristique.

Quoique, sans Arno, nous allons devoir la jouer fine.

Je fais part de mes idées à l’équipe pendant que les vibrations de l’eau massent nos muscles surchauffés.

« Vous vous souvenez de la boîte chinoise ? Ça fait longtemps que nous ne l’avons pas utilisée… Peut-être qu’ils ne l’ont pas prise en compte dans leur préparation. »

Jonathan émet des doutes :

« Ça revient à jouer toute la partie à pile ou face. Trop risqué. »

Il a les mains qui tremblent. Lui, il joue effectivement le tout pour le tout.

« Je ne sais pas… Si nous marquons, ça ne fera que seize points. Mais s’ils éventent notre manœuvre, contre-attaquent et marquent, nous perdons tout. Nous devrions nous montrer prudents…

— Au diable la prudence ! » s’écrie Mvamba en se levant dans le bassin, éclaboussant tout le monde.

Ses yeux brillent de la détermination de la jeunesse. Son corps d’ébène, comme une belle statue, continue de vibrer d’exaltation.

« Moi je dis, on fait la boîte chinoise ! insiste-t-il.

— On la fait, déclarent en chœur les jumeaux. Pour la Brute blonde. »

Yukio, les lèvres pincées, acquiesce.

Jonathan lève les mains en signe de reddition.

C’est mon équipe.

Je les regarde avec fierté. Ils sont autant à moi qu’à Gopal. Des êtres humains de première. Des visages d’acier, exprimant la détermination à l’état pur. Des visages comme ceux des agents qui apparaissent sur les holo-affiches de recrutement pour la Sécurité Planétaire. Les soldats de la Terre. Des visages comme celui de l’ouvrier aux mâchoires de pierre dont l’immense hologramme flotte à présent au-dessus du Méta-Colisée, transmettant son message : Pour vos envois ; rien de tel que les Transports Planétaires INC. Pour qu’ils arrivent complets, pour qu’ils arrivent dans les délais. Et il le dit en étreignant la blonde très pulpeuse qui sourit à ses côtés, en un débordement subliminal de virilité et de patriotisme.

Mais cet ouvrier, comme ces agents de la Sécurité Planétaire, ne sont que des images générées par ordinateur. Mon équipe, elle, est réelle.

Ce qui fait toute la différence.

Ceux de la Ligue doivent penser qu’en nous privant d’Arno, ils nous démoraliseront. Qu’à présent, nous jouerons sur la défensive. Et c’est ce que nous devrions faire, en toute logique.

Ils ne peuvent pas s’attendre à ce que nous attaquions. Et encore moins avec une manœuvre aussi suicidaire et élémentaire que la boîte chinoise.

Cela peut fonctionner. Peut-être que cela les surprendra.

Et toutes ces années à ingurgiter des stéroïdes synthétiques au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner, des substances qui ont complètement bouleversé mon métabolisme, à consommer des antistress et des neurostimulants qui m’ont amené au bord de la folie, n’auront pas été vaines.

Et toutes les douleurs des jours pluvieux, souvenir des cent fractures que j’ai accumulées et des auto-clonages que je préférerais oublier, n’auront pas été vaines.

Et tout le temps que j’ai passé sans une seule érection qui ne soit induite par électronique, sans sortir avec une fille normale, sans famille ni amis que cette équipe de Voxl, n’aura pas été vain.

Peut-être que tout se passera bien. Et alors, tout cela n’aura été qu’un investissement. Dangereux, mais intelligent, en fin de compte. Une sorte de dépôt à long terme pour ensuite disposer d’un capital pour une vieillesse sûre et sans privations. Pour ne pas aller, comme tant de gens, grossir les rangs des ex-voxleurs ruinés, tirant les restes usés et inutiles de mes muscles démesurés entre deux gémissements de douleur. Pour ne pas pleurer pour un toit et un repas, obligé de me louer pour une misère au reconditionnement corporel. Pour ne pas tomber dans le réseau clandestin du travail social masculin afin de survivre quelques jours de plus.

Je regarde Jonathan du coin de l’œil. Il continue de trembler, et avec raison. Il est presque vieux et ne sait rien faire d’autre que jouer au Voxl. S’il ne réussit pas aujourd’hui, il n’aura pas d’autre chance. Son déclin en tant que compétiteur est déjà proche… Terriblement proche.

Aujourd’hui, il sera héros ou plus rien. L’échec honteux ou le triomphe total. Il va jouer dans la position la plus difficile pour un poids léger comme lui : défenseur remplaçant. Je sais qu’il donnera jusqu’à la dernière goutte de sueur, jusqu’à l’ultime gramme d’énergie.

Je regarde Mvamba. Il est tranquille. À son âge, alors qu’il commence à peine sa carrière sportive et a déjà intégré l’équipe Terre qui a atteint la dizaine de points face aux joueurs de la Ligue, il va être couvert de propositions de contrats. Pour lui, la vieillesse n’est encore qu’un lointain épouvantail. Et comparé à la ville de Sidney où il a grandi, enfer de violence et de saleté, chaque jour de sa vie actuelle est un paradis. Quoi qu’il se passe, il a déjà gagné et il le sait.

Le fait que, malgré tout, il accepte de jouer le tout pour le tout avec la boîte chinoise, risquant une blessure, est tout à l’honneur de l’adorateur de fétiche. Il a grand cœur, cet Africain ex-conducteur d’aérobus. Mais peut-être que, au dernier moment, l’instinct de conservation le conduira à s’économiser… Je lui ferai seulement confiance à quatre-vingt-dix pour cent.

Yukio est insondable, comme toujours. Il ne se mélange jamais. Lorsque nous sortons nous divertir en groupe, il préfère partir de son côté. Je ne le sens pas totalement mien. S’il n’était pas si bon, je n’aurais pas confiance en lui. Que fait un riche petit actionnaire de l’Agence Touristique Planétaire à suer sang et eau, risquant sa vie avec la lie du peuple terrien que nous sommes ? Jouer pour l’amour du jeu… Pour l’honneur ? Quel honneur nous reste-t-il, à nous autres, humains ? Que reste-t-il, sinon la survie à tout prix d’une race vaincue et humiliée sur tous les fronts ?

Les samouraïs et leur gloire guerrière remontent à très longtemps. Il y a eu le Contact et tout a changé. À présent, Yukio Kawabata, pathétique descendant des âmes féodales du Japon, essaie d’habiller sa nudité et sa frustration des haillons de ce tissu qui protège si peu : la dignité.

Laissez-moi rire ! Un voxleur humain digne ? C’est comme un Centaurien passionné ou un Gordien mystique. Absurde. Et si Yukio y croit, c’est un idéaliste stupide.