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Les chasseurs de la zone évitent les tigres comme la peste. Et même s’ils sont désespérés, à la recherche de toute proie à abattre, ils ne tirent jamais sur eux. Ils surveillent également leurs pièges et leurs fosses pour éviter qu’un de leurs petits, imprudent, ne tombe dedans par hasard.

De nouveau, quoique de façon très différente, les grands félins sont sacrés pour les fils de la taïga.

Pour les tigres de Sibérie, la vie est à présent facile : les rennes domestiques sont plus aisés à tuer que leurs congénères sauvages et que les énormes élans. Ils se reproduisent sans craindre que les loups ou les ours, décimés par les chasseurs, ne causent des ravages parmi leurs portées de petits. Nul ne les poursuit ou ne les traque…

La plupart du temps.

Trois ou quatre fois par an, les hommes de la Sécurité Planétaire débarquent en masse dans la taïga. Ils servent d’escorte à quelque noble visiteur xénoïde, presque toujours un Gordien ou un Auyari, qui a exprimé le besoin de se détendre un peu. Et qui a payé généreusement pour en avoir le droit…

Et quelle meilleure distraction que la chasse du plus grand félin de la planète ? Excitant, primitif et… suprêmement exclusif.

La chasse s’organise méthodiquement : avec des rabatteurs, des guetteurs et des points d’observation élevés d’où les xénoïdes peuvent tirer facilement avec leurs armes à projectiles ou à énergie, sans risque que les grands félins aux abois ne les atteignent.

En général, le nombre de tigres abattus par chaque visiteur s’élève à quelques dizaines. On raconte toutefois qu’un Gordien à la précision exceptionnelle est parvenu une fois à en tuer plus d’une centaine.

Parfois, si les pontes de la Sécurité Planétaire ou de l’Agence Touristique Planétaire consentent à se joindre à la distraction, à la fin de la journée les cadavres félins sont si nombreux que la neige, aplatie par leurs grandes pattes dans leur fuite, est plus rouge que blanche.

Les invités des autres mondes capturent occasionnellement un petit vivant et l’emportent dans leurs hyper-vaisseaux, comme un exotique souvenir à rayures de leur visite sur Terre.

Ils gardent toujours de nombreuses peaux, après que les cadavres des bêtes ont été rapidement et adroitement dépecés par les experts de la Sécurité Planétaire – récupérant, au passage, les transmetteurs-localisateurs. Le reste des peaux, entières ou découpées, ainsi que les griffes, les dents et les os, sont des « articles de luxe » qui atteignent des prix élevés dans les boutiques exclusives pour les plus aisés des touristes xénoides : Ou bien on les exporte vers les autres mondes.

Lorsque les humains, qui contrôlent la planète, et leurs visiteurs, qui dirigent la galaxie, abandonnent le site de la chasse, les loups et les charognards font un grand festin des cadavres informes et écorchés des rois déchus de la taïga.

Les chamanes des tribus locales fouillent aussi patiemment la neige retournée, ramassant chaque petit fragment de peau, chaque poil, chaque dent, chaque relief de leurs dieux déchus pour en faire leurs amulettes protectrices millénaires. Ils balbutient dans leurs antiques langues, qu’ils continuent de parler malgré l’unification de la planète, caressant les restes des félins morts. Nul ne sait ce qu’ils disent…

Mais il y a des larmes dans leurs yeux et de la fureur dans les gestes de leurs mains ridées lorsqu’ils plantent leurs couteaux dans la neige et regardent le ciel, comme s’ils attendaient quelque chose…

LES RÈGLES DU JEU

Des gouttes ? Cours, petit !

Maudite soit cette averse !

Quelle folie ! Cette pluie est salée comme de l’eau de mer… Et ces uniformes en kevlar pèsent une tonne lorsqu’ils sont mouillés.

Vite, entre !

Ah, je m’essouffle… Je ne peux plus courir comme autrefois. Mais si nous arrivons à nous mettre à l’abri, c’est un moindre mal. Pourtant, la nuit était si belle… On voyait presque les étoiles. Avec ces fichues expériences de propulsion suborbitale auyari, l’atmosphère de cette planète est devenue folle. Il pleut, il grêle. Et toujours de l’eau salée. Il ne manquerait plus qu’il neige en été.

Eh bien, c’est le déluge. Si on était des cornichons, on serait déjà marinés. Mets-toi à l’aise. Enfin…

Que dis-tu ? De l’intérieur, nous n’allons pas pouvoir surveiller les alentours ?

Petit, fais fonctionner tes neurones, ne me déçois pas. Qui va rôder dans le coin par ce temps de chien ?

En outre, notre mission est de prendre soin de cet endroit, pas des environs. Si une secte de cannibales assez folle pour sortir patauger sous cette averse décidait de partir à la recherche de son pique-nique, mieux vaut qu’ils soient dehors, et nous dedans. Notre responsabilité s’arrête aux murs de cet endroit.

C’est un sale boulot, oui, je sais. À peine pire que celui des patrouilles se baladant là-haut, à la poursuite de ces idiots qui veulent quitter la planète dans leurs vaisseaux bricolés. S’ennuyer comme des rats morts, c’est la seule chose qu’ils font, en orbite.

Quoique, de temps en temps, ils empêchent quelques suicidaires d’aller se congeler dans l’espace. Mais cette surveillance a autant de sens que de chercher de l’eau dans le désert…

Ici, à la banque-dépôt du reconditionnement corporel, il ne se passe jamais rien. Il n’y a rien à voler, et rien n’est aussi tranquille que des corps en anabiose, humains ou non. À part, peut-être, un vrai cadavre.

En réalité, cette garde nocturne tient de l’anachronisme stupide. Un souvenir de l’époque où on ne connaissait pas encore très bien les métabolismes xénoïdes et où nos petits chefs craignaient qu’un touriste angoissé sorte de son caisson et se mette à jouer les zombies pendant que son esprit se trouve ailleurs.

Regardons le bon côté des choses : ici, une garde dure deux heures de moins que la garde standard. Juste pour que nous ne mourions pas d’ennui. Et cette pluie… On ne peut même pas voir passer les gens.

L’oisiveté me rend toujours nerveux…

Jouer aux cartes ? Imbécile, tu sais aussi bien que moi que le règlement interdit les jeux de hasard pendant le service. Peut-être une autre fois. J’adore la belote et le poker, sans parler de…

Mais, d’un coup, je me rends compte que tout est parfait. Oui, Markus. C’est ton nom, n’est-ce pas ? Je crois que cette pluie salée nous arrive comme de l’eau bénite. Grâce à elle, nous allons disposer d’un peu de temps. Ça fait un moment que je voulais discuter avec toi…

Ne t’inquiète pas. Il ne s’agit que d’une petite conversation entre collègues, pas d’un nouvel examen. Ton instruction basique est terminée. Je veux juste parler, d’un homme de la Sécurité Planétaire à un autre. De collègue à collègue. Oublie que je suis sergent.

En réalité, nous sommes presque pareils. Toi, un simple agent, et moi, un sergent en disgrâce…