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Je ne suis pas très à l’aise avec les mots. Je n’aurais jamais fait un bon agent instructeur. Par chance, je préfère la rue. Je suis plus habitué à utiliser l’électro-matraque et la mini-mitrailleuse que ma langue. Bien que, depuis mon arrivée en ville, je me sois beaucoup amélioré.

Regarde, en somme… Tout ça, c’est à cause de l’embrouille de l’autre jour. Lorsque nous patrouillions dans La Petite Havane et que cette face de rat a arraché son sac à une dame cétienne. Tu as eu de bons réflexes et tu t’es précipité à la poursuite du voleur, au milieu des gens. Parfait. C’est ce qu’on attend de toi… et tes jambes sont beaucoup plus jeunes que les miennes.

Tu as attrapé l’individu et rendu son sac à cette xénoïde pomponnée et attifée de plumes phosphorescences. Tu as tout fait comme il faut. Et elle ? À peine un « Merci, officier, ces Terriens sont redoutables… », comme si tu étais un Colossien et non un humain. Et pas un crédit. Pas de chance… Les touristes sont souvent plus reconnaissants que ça. Mais c’est le boulot.

Mais après, tu t’es comporté comme un parfait idiot. Tu as perdu du temps et de l’argent, et tu t’es créé des problèmes inutiles. Malgré tous mes signes de dissuasion, tu as déclaré publiquement que tu allais emmener le pauvre gamin au Commandement. Et pire, tu l’as fait. Sans tenir compte de ses pleurs ni du fait qu’il te disait appartenir à Ahimasa, tu l’as fiché dans l’ordinateur. Tout comme c’est expliqué dans le manuel.

Et maintenant, le petit voleur a sur le bras un tatouage réactif aux ultraviolets. On ne peut plus le confondre avec un autre. Tu es fier de tes actes ? Marquer un jeune délinquant pour faciliter son identification et l’empêcher de commettre de futurs délits ? Un modèle d’officier de la force publique. En plus, tu es persuadé de t’être montré généreux avec lui en ne portant pas l’affaire en justice. Parce que si tu n’avais pas clos le dossier, le mioche aurait dû passer deux mois en reconditionnement corporel, hein ?

Eh bien, je vais te dire ce que tu as fait, en réalité. Tu l’as condamné à mort… À moins qu’il ait suffisamment de courage pour s’arracher lui-même ce morceau de chair sur le bras, seule façon de se débarrasser du tatouage.

Et j’espère que tu as agi par ignorance. Parce que si tu t’es comporté comme ça sciemment… je ne donne pas cher de ta peau. Au sein de la Sécurité Planétaire, le pire que tu puisses commettre, c’est ne pas avoir l’esprit de corps. Violer les règles, c’est se mettre automatiquement hors jeu.

Markus, si tu ne le sais pas, ces gosses nés dans les cloaques sont précieux pour certains « boulots ». Pas très légaux, bien sûr. Comme ces mômes n’ont pas été déclarés par leurs parents ou leur famille, ils n’ont pas de numéro de sécurité sociale et ne sont pas des citoyens identifiables. Ainsi, ils peuvent se glisser partout sans être détectés.

C’est pourquoi on leur permet de vivre. Dommage que leurs chefs les paient une misère et qu’ils doivent, en conséquence, commettre de menus larcins pour leur compte. La vie d’un orphelin des rues est dure. Seul un sur cent atteint l’âge de quatorze ans.

Lorsqu’un xénoïde plus attentif que les autres les surprend à chaparder et appelle à l’aide, c’est là que tu interviens. Tu joues ta petite comédie du « Arrêtez ce délinquant ! ». Tu le poursuis, tu l’attrapes, tu rends sa bourse à l’extraterrestre, comme le dit le manuel, et tu reçois – ou pas – une récompense… Mais ensuite tu oublies les instructions et tu demandes au gamin qui est son maître.

Le maître d’un gosse est toujours disposé à payer. Ahimasa t’aurait remis une coquette somme pour que tu ne tatoues pas son gamin. Une affaire rondement menée, et tout le monde était content… Même le petit qui, bien qu’il reçoive quelques coups, plus pour sa maladresse que pour le chapardage en soi, reste au moins en vie, avec un travail.

Si cela choque ton sens moral que le gosse ne soit pas châtié pour son larcin, je t’assure que la raclée que lui aurait donnée Ahimasa aurait ôté l’envie au petit de voler pour un bon moment. Les Yakuzas ont la main lourde et ne rechignent pas à utiliser le neuro-fouet. Si ce môme devait se remettre à chaparder, il serait plus prudent et ferait en sorte que sa victime ne s’en rende pas compte.

En échange, qu’est-ce qui leur reste, à présent ? Un gamin fiché qui ne vaut plus rien et qui en sait trop. Ahimasa va devoir s’en débarrasser rapidement.

Par ta faute, pour avoir suivi au pied de la lettre les procédures du manuel sans respecter les règles du jeu, nous avons maintenant un marchand, peut-être pas totalement dans la légalité mais honnête à sa manière, obligé d’engager un exécuteur pour qu’il le débarrasse d’un pauvre gosse. Auquel, qui sait, il s’est peut-être attaché. Et un mineur, en fuite et mort de peur, qui a peu de chances d’en réchapper vivant. Une perte de temps, de crédits et de matériel humain, en plus d’autres désagréments…

Les choses ne se passent pas comme ça, Markus.

As-tu vu combien de gens me saluent lorsque nous sommes en patrouille ? Certains d’entre eux étaient des gamins comme ce môme, il y a bien longtemps… Et je suis sûr que, chaque soir avant de dormir, ils remercient Dieu et la Vierge que ce soit moi qui les ai attrapés, la première fois. Je me sens fier d’appartenir à la Sécurité Planétaire lorsque j’en reconnais un… Ils sont vivants et sont devenus des hommes grâce à moi.

C’est ça, être généreux et servir l’intérêt général, Markus.

Tu comprends la différence ?

Tu vois déjà que tout ça est plus complexe qu’il n’y paraît. Ce qu’on t’a dit à l’Académie, que les rues de la planète sont le théâtre d’une guerre à mort entre nos forces et la délinquance… Oublie-le dès maintenant. Nous ne sommes pas dans deux camps différents. Nous sommes pareils. Des poissons qui nagent dans la même eau. La seule chose qui nous distingue, c’est cet uniforme.

Tu es un gamin cultivé, Markus. J’imagine que tu as entendu parler de Jean-Jacques Rousseau et de son contrat social. Eh bien, sur la Terre, fonctionne un autre contrat social et nous en sommes les gardiens. Comme nul ne peut vivre en respectant toutes les lois, nous fermons les yeux sur les petites violations indispensables à la survie… Si bien que les contrevenants ne questionnent pas trop le système en lui-même.

Tout citoyen honnête en apparence enfreint la loi d’une manière ou d’une autre. Sois sincère. Toi-même, as-tu toujours payé tes impôts à temps et comme il faut ? N’as-tu jamais triché sur les compteurs d’énergie ? Ah ! Tu vois ?

Nous nous assurons que la petite marge d’illégalité dans laquelle nous vivons tous reste sous contrôle, à un niveau acceptable pour tout le monde. Je ne parle pas de meurtres en série ou de terrorisme xénophobe. Mais le reste ? Le jeu illégal, les drogues douces, les services non officiels, les petits délits, les vols mineurs… Ce ne sont pas les ennemis. Les vrais adversaires, ce sont les autres. Les xénoïdes. Tu comprends ?

Comment insultais-tu les agents, lorsque tu étais môme ? Que leur criais-tu ? « Lèche-bottes », pas vrai ? Des serviteurs des extraterrestres, c’est ce que tu pensais que nous étions. Ne le nie pas…

D’une certaine manière, notre salaire est payé par ces types venus d’autres Soleils pour que nous maintenions l’ordre sur leur paradis touristique et fiscal. Et ça ne leur fait ni chaud ni froid si nous nous entretuons… Tant que l’on ne s’en prend pas à leurs majestés inhumaines.

Cette planète peut voler en éclats ; si aucun xénoïde n’est blessé, ça ne fera même pas l’objet d’un fait divers dans les holo-journaux de la galaxie. Mais il suffit qu’un touriste stupide se coupe un tentacule ici pour que la ville soit mise à feu et à sang.