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Au début, je ne voulais pas. Mais quand Hermann et Sigimer m’ont expliqué que j’allais rejoindre la ville pour voir des choses, découvrir des appareils, étudier pour devenir comme eux et travailler pour la Terre, je n’ai plus eu envie de pleurer et je suis monté dans l’aérobus, tout content.

Et vous n’allez pas le croire. Bien que Larsen et les docteurs ne soient pas rassurés, ma réparation du système d’équilibrage antigrav a tenu pendant tout le voyage.

« Est-ce votre vrai nom ? »

Je ne suis jamais retourné à Baracuya del Jiqui. Ça a surpris ma famille, mais depuis que je suis arrivé à la ville, j’ai été impliqué dans tant de projets secrets qu’on ne me laissait même pas sortir au coin de la rue pour acheter du pru. Ils disent que mon cerveau est une arme stratégique.

Oh, tout ce que je demande, ils me l’apportent. Je veux un oiseau qui parle ? J’ai un oiseau qui parle. Du coup, j’ai pu retrouver Romualdo. Parmi mes frères, c’était le plus gentil avec moi. Il y a deux ans, je me suis senti seul et j’ai demandé des nouvelles de lui : comme il s’était enfui, et qu’il parlait toujours d’aller vivre à la ville… Cependant, ils m’ont prévenu que je ne pourrais le voir que de loin.

Moins d’une semaine plus tard, ils m’ont remis son dossier et plein d’holo-vidéos où on le voyait parler. Mon frère est sergent dans la Sécurité Planétaire. Il vit et travaille à Nouveau Miami.

L’obtention de ces informations et des holo-vidéos m’a suffi. Pourquoi le voir de loin, sans pouvoir lui parler ? Pour me sentir encore plus seul ? Après ça, je n’ai plus jamais pris de nouvelles d’aucun membre de ma famille et je ne les ai jamais revus.

« À quel domaine scientifique vous consacrez-vous actuellement ? »

Alex Gens Smith, scientifique. Terrien, humain. Taille : 1,84 m. Poids : 78 kg. Vous pouvez vérifier.

« Avez-vous des contacts réguliers avec votre famille ? »

Non. Mais lorsqu’Hermann et Sigimer m’ont amené ici, ceux du Centre m’ont dit que si je voulais être un scientifique, il me fallait un nom qui fasse plus sérieux. Et ils ont changé le mien. Je le porte depuis tellement longtemps que si quelqu’un m’appelait « Alesio », je ne répondrais même pas.

Mon vrai nom est Alesio Concepción Perez De La Iglesia Fernandez Olarticochea Vallecidos y Corrales. Ils ont choisi Alex pour Alesio, et comme Concepción a le même sens que le terme génèse, ils l’ont raccourci en Gens. Et le Smith anglo-saxon est aussi commun que le Perez hispanique. Une simple transposition d’éléments.

« Avez-vous une forme de relation sentimentale stable et/ou permanente sur Terre ? »

Depuis quatre ans, ils m’occupent sur un projet extrêmement barbant, à caractère militaire, comme quasiment tout ce que j’ai déjà créé. C’est confidentiel, évidemment. Mais si vous m’acceptez, je n’aurai pas de secrets pour vous.

Je travaille sur un principe énoncé par un théoricien à propos d’un jouet que j’ai construit, un jour, pour me distraire. Je ne connais pas grand-chose aux formules et aux tenseurs matriciels, mais je peux vous dire que c’est en relation avec les systèmes résonateurs de gravitons.

Vous savez, bien sûr, que le graviton est la particule élémentaire ayant la plus grande concentration de moment, ce qui lui permet, suivant la théorie du champ unifié, de convertir toute force magnétique ou électrique en énergie gravitationnelle. Même les enfants le savent, mais moi je m’en suis rendu compte lorsque j’ai réparé ce système d’équilibrage de l’aérobus.

Mon jouet était un réducteur de matière basé sur les résonateurs de gravitons. On mettait n’importe quelle substance entre les pôles d’un aimant triphasique, on la refroidissait jusqu’au zéro Kelvin tout en la bombardant de positrons dans un champ d’ultrasons puisés et boum ! La matière rétrécissait. L’effet était provoqué par sur-stimulation de l’attraction mutuelle entre les gravitons du morceau de matière. D’après la Loi de conservation de la masse, elle gardait son poids original. Mais elle devenait plus dure que du bicrovan. J’avais créé artificiellement de la matière hyper dense, comme dans les noyaux des étoiles à neutrons. Et celle-ci était stable ; elle ne récupérait son volume d’origine qu’en inversant le processus, ce qui consommait une grande quantité de puissance.

Ceux du Centre étaient enthousiastes. Ils m’ont fait préparer des projectiles hyper denses qui perforaient n’importe quoi, et des plaques super blindées de liège compacté qui pesaient autant que de l’acier. Puis j’ai essayé de rétrécir davantage les objets… et j’ai créé de très jolis nano-trous noirs. Évidemment, quelqu’un s’est mis à réfléchir à la fabrication d’une arme qui transformerait l’ennemi en néant. Ils m’ont écarté de tout ce qui avait un lien avec les trous noirs – ce qui m’intéressait, en réalité – et ils ont donné le projet à une équipe de savants pleins de titres ronflants qui n’avaient rien découvert de concret. Ils m’ont dit de créer un miniaturiseur d’action à distance. Et quand je leur ai expliqué que c’était impossible, parce que ça violait la loi des carrés inverses et la conversion relativiste masse-énergie, ils se sont fâchés et m’ont menacé de ne me faire travailler sur aucun autre projet avant que j’y arrive.

C’est aussi pour cela que je suis venu. Parce que ça me fatigue de me tourner les pouces et que ça n’a pas de sens de gaspiller des efforts sur un projet impossible. Mais, entre temps, j’ai travaillé – en secret, bien sûr – sur d’autres petites choses…

« Alex… Quel est le motif officiel de votre visite sur notre planète ? »

Non. Je n’ai jamais eu de relations stables ou permanentes. Depuis l’enfance, j’ai toujours été très timide avec les filles… J’ai toujours trouvé qu’elles parlaient trop, pour ne rien dire. Comme certains théoriciens, d’ailleurs. Ma mère disait que c’est la raison pour laquelle j’étais si doué avec les machines, parce qu’elles ne parlaient pas. Mais ce n’est pas tout à fait vrai. Lorsque je travaillais sur l’intelligence artificielle, je me suis bien entendu avec une IA que j’avais baptisée Ménisque.

Tout a commencé parce que l’on s’ennuyait tous les deux, et que, pour nous distraire, nous nous affrontions au calcul mental… Je perdais toujours en arithmétique, mais si nous prenions des équations topologiques ou de phase, je mettais une pâtée à Ménisque. Ensuite, lorsque nous avons été plus en confiance, nous avons abordé de nombreux sujets : la vie, l’intellect, le fait d’avoir des sensations et de ne pas être qu’un ensemble d’impulsions électriques à l’intérieur d’une boîte de circuits, d’être conscient sans être vraiment vivant.

Ils ont effacé Ménisque au troisième mois de mes recherches. Ils disaient que cette IA n’était pas « stable ». Je ne leur ai jamais pardonné.

En réalité, je crois que mon problème avec les femmes est très différent. Leur odeur, la manière qu’elles ont de regarder, de bouger. Elles me rendent nerveux. Elles ne sont pas… réductibles à des paramètres logiques. Je sais que ça vient des hormones ; je sais même desquelles il s’agit. Mais la synergie hormonale me déconcerte. Bien que j’en comprenne les effets partiels, je ne parviens pas à rester objectif face au résultat final. Je perds le contrôle, j’oublie la logique.