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6.

LES RÉCUPÉRATEURS

Pour certains sociologues, le meilleur indicateur du degré de civilisation d’une culture est la distance à laquelle elle est capable d’éloigner ses propres excréments.

Pour certains écologistes, le meilleur indicateur du degré de civilisation d’une culture est le recyclage qu’elle est capable d’appliquer à ses propres excréments.

Pour certains individus, le meilleur indicateur du degré de civilisation d’une culture est la capacité à tirer profit des excréments qu’elle produit.

Ceux-là, ce sont les récupérateurs.

Ils ne sont pas nouveaux sur Terre.

Ils ne sont pas apparus après le Contact.

Ils semblent avoir toujours existé : chez les Sumériens, les Égyptiens, les Grecs et les Romains, il y a toujours eu des humains vivant du profit – ou, d’une certaine façon, du recyclage– des déchets que les autres êtres humains produisent.

On leur a donné le nom de chiffonniers, fripiers, et bien d’autres appellations encore. C’est un des métiers – certains parlent même de culte – les plus vieux du monde.

Toute civilisation moderne, se comportant suivant le principe du « utiliser et jeter », met aux ordures une grande quantité d’objets qui fonctionnent encore, ou presque. Mais il est plus facile et plus économique d’en produire de nouveaux que de les réparer. Quoique, dans le cas de la Terre, les nouveaux objets sont importés depuis des étoiles situées à des années-lumière.

C’est peut-être la raison pour laquelle la planète, aujourd’hui, grouille de récupérateurs.

Ils fouillent dans les poubelles, à la recherche de morceaux de bois, de pièces de métaux rares, d’éléments mécaniques, de cartes de circuits cybernétiques défectueuses, de fragments de systèmes robotiques mis au rebut. Presque tout les intéresse.

Ils mangent les aliments qu’ils trouvent et s’habillent avec les vêtements jetés par d’autres humains plus exigeants. Eux se contentent de peu.

On dirait qu’ils sont à part : perdus dans leurs pensées, étrangers aux bandes de gamins qui se moquent de leur mauvaise odeur et de leurs vêtements loqueteux.

Concentrés sur leur difficile art de distinguer le véritable déchet de ce qui est encore utilisable. Certains murmurent d’étranges litanies tandis qu’ils épluchent les poubelles de leurs doigts habiles, prenant des objets et en jetant d’autres, d’après des critères seulement connus d’eux. Jusqu’à ce qu’ils s’en aillent, de leur pas lent, leurs innombrables sacs remplis de trésors, chercher une autre mine d’or déguisée en tas d’ordures où récolter d’autres merveilles.

Il existe deux catégories de récupérateurs.

La première, ceux qui vendent leurs trouvailles aux petits revendeurs de matières premières qui ne sont que des récupérateurs ayant décidé de travailler en gros, et sont par conséquent montés d’un échelon dans la pyramide des éboueurs. Ceux-là, qui comprennent encore la signification de l’argent, vivent parfois dans de minuscules logements, regardent les programmes de l’holo-réseau sur de petits holo-écrans, suivent les jeux de Voxl… Ils ont encore un pied dans le monde, même s’ils ressassent son passé glorieux et croient en un impossible lendemain. Ils ont un travail, même si celui-ci est sale et mal payé.

Les seconds sont très différents. Ils ne vendent jamais rien aux revendeurs de matières premières. Ils préfèrent garder leurs trouvailles. Et ensuite, dans leurs refuges sous les ponts, ou dans une ruelle obscure, ils assemblent, lient, soudent, joignent les pièces de vieux ordinateurs à des tronçons de tuyaux rouillés et oxydés ou à des morceaux de carrosserie arrachés à des aérobus. Ils sourient toujours quand ils façonnent, comme s’ils regardaient au-delà des déchets qu’ils manipulent si amoureusement. Ils se tuent au travail pendant des heures et des heures, les yeux pleins d’espoir, et finissent par mettre soigneusement de côté le résultat de leurs efforts. Puis ils recommencent un autre assemblage.

Nul ne sait s’ils croient créer de l’art. Certains marchands ont tenté de vendre comme « sculptures » les monuments exotiques et chaotiques de ces récupérateurs. Mais, pour le public xénoïde sophistiqué, les déchets ne sont définitivement pas compatibles avec le concept d’art.

Nul ne sait s’ils pensent réellement que leurs étranges créations fonctionneront, d’une façon ou d’une autre, un jour. Ni ce qu’ils en attendent. S’agit-il de machines vengeresses qui expulseront définitivement les xénoïdes de la Terre, la rendant aux humains ? Ou de dispositifs destinés à détruire toute civilisation, l’humanité incluse, effaçant l’ordure et la honte pour qu’une autre espèce, primate ou non, recommence tout à zéro ? Ou cherchent-ils à atteindre, avec leurs monstres, une telle avancée sur la science terrienne rachitique que la domination xénoïde s’effondre pour toujours face à la puissance intellectuelle de l’homme ?

Nul ne le sait… Et peu cherchent à le vérifier. Ou prennent le temps de le faire. Il existe des choses plus importantes. Comme gagner de l’argent : Ou survivre.

Et eux, ils continuent, infatigables, à unir des morceaux, à rechercher des pièces en murmurant leurs incompréhensibles litanies, oubliés du monde.

Parfois, l’un d’entre eux, très vieux, disparaît. On cesse simplement de le voir, et c’est comme s’il s’était fondu dans ses déchets adorés. Mais il en arrive toujours d’autres, plus jeunes, pour prendre sa place. Ils ont la peau moins ridée, davantage de dents, mais le même regard perdu… rarement lumineux.

Les gens ordinaires passent à côté d’eux en hochant tristement la tête. Parfois, ils chassent les sales gosses qui veulent les frapper et leur voler leurs « trésors », tout en murmurant : « Pauvres fous ! »

Ils font semblant de les ignorer, mais arborent toujours une moue étrange lorsqu’ils les voient. Comprennent-ils que, d’une certaine façon, les récupérateurs possèdent quelque chose qu’ils ont perdu pour toujours ?

LE TUNNEL DE FUITE

L’ÉQUIPAGE

Ils sont trois.

Trois personnes qui ont décidé de s’unir.

Trois êtres humains : deux hommes et une femme.

La femelle s’appelle Friga.

FRIGA

Friga ressemble peu à l’idée que l’on se fait de l’idéal féminin. Elle n’a ni les hanches larges, ni les jambes longues, ni les seins doucement rebondis. Elle ne possède pas une bouche en cœur et des yeux de poupée. Elle n’est même pas féconde.