Friga a la peau noire comme l’ébène et des dents très blanches. Elle mesure 1,89 mètre pour 92 kilos de muscles gonflés par des stéroïdes illégaux qui lui ont atrophié les ovaires jusqu’à ce qu’ils soient aussi petits que des haricots secs.
Elle a le menton comme un bloc de béton, et un mauvais caractère légendaire.
On peut la qualifier de vraie virago ou de garçon manqué. Mais ceux qui savent comment elle réagit à ces appellations ne se risquent pas à les employer devant elle. Le dernier qui l’a fait n’osera plus… jamais.
Friga n’est pas devenue lesbienne par choix ; elle a de plus en plus de mal à rencontrer un homme qui se risque à une relation, même occasionnelle, avec elle. Et comme certaines femmes la trouvent désirable, et qu’elle n’a jamais été trop regardante…
Friga ne vit que de la délinquance. Elle n’a jamais rien fait d’autre. Elle a été voleuse, trafiquante et prend tout ce qui se présente et qui paie suffisamment. Son physique est trop remarquable pour qu’elle soit escroc ou joueuse.
Elle a déjà tué plusieurs fois. Sous le coup de la colère, et non pour le travail ou le plaisir. Elle n’est ni une tueuse professionnelle ni une forcenée.
Elle a passé huit atroces années de sa vie en reconditionnement corporel, condamnée pour divers délits. Elle ne se rappelle pas bien cette époque… Elle sait seulement qu’elle ne veut plus renouveler l’expérience. C’est ce qui l’a motivée à entreprendre le Voyage.
On raconte qu’elle a une fille, une enfant appelée Leilah, mais qu’elle ne s’en occupe pas beaucoup.
Bien qu’elle soit inculte, grossière, et au vocabulaire limité, elle est une parfaite survivante et un leader né. Elle a toujours su comment réagir, dans toutes les situations. Les deux hommes trouvent très pratique de lui obéir, ce qu’ils font sans broncher.
LES DEUX HOMMES
Ce sont Adam et Jowe.
Adam est un grand jeune homme dégingandé et maladroit. Il porte des cristallins artificiels : il a perdu les siens depuis longtemps, à se fatiguer les yeux devant les holo-écrans et les manuels de références techniques si vieux qu’ils sont encore imprimés.
Avec des bouts de rien, de la patience et de l’inventivité, Adam peut construire n’importe quoi, de l’hyper-moteur au laser à rubis de haute puissance. Il possède des « mains magiques ». C’est un génie du bricolage technologique, persuadé qu’il gaspille lamentablement son talent à construire des armes illégales et d’autres ingénieux gadgets pour des clients comme Friga.
Il vient de passer huit mois en reconditionnement corporel pour avoir construit deux masers saisis chez les Yakuzas, et il n’a pas aimé. Loin de là. Il est resté conscient tout le temps qu’il a été « cheval ». Il était monté par un guzoïde de Rigel très intéressé par les expériences limites. Sexuelles, mais pas seulement.
Il a survécu, mais en a gardé des séquelles… Sa plus grande terreur est de revivre un tel cauchemar tout en sachant qu’il lui sera difficile de l’éviter, vu le type de vie qu’il mène.
Sa condamnation, toutefois, lui a permis de rencontrer Jowe.
Jowe est encore jeune, mais son visage paraît sans âge. Il serait beau, avec sa frange dorée et ses grands yeux bleus, si ce bleu n’était pas aussi froid que de l’acier au chrome-vanadium.
Jowe a les yeux vides. Les yeux de quelqu’un dont on aurait congelé l’âme. Il semble avoir vu tout ce qu’il est possible de voir sur la douleur, la traîtrise, la désillusion… et bien plus encore.
Intelligent, cultivé, il a les mains habiles, délicates et sensibles d’un artiste.
Il ne parle jamais de son passé. En fait, Jowe parle rarement. Il se contente de regarder les étoiles de ses yeux tragiquement vides. Sans le moindre espoir. Sans la moindre raison de vivre. Même Friga, qui n’a peur de rien ni de personne, frémit lorsqu’elle est près de lui.
L’idée du Voyage est de Jowe, et lorsqu’il en parle, ses mots sont merveilleux…
L’IDÉE DU VOYAGE
Le Voyage, c’est l’Exode.
Fuir le règne de Pharaon, à la recherche de la Terre promise.
Sur la Terre promise, il y a des grappes de raisin si grosses qu’il faut deux hommes pour les porter. Il y a du travail et des opportunités pour tous. Il y coule des rivières de lait et de miel, et tout homme entreprenant peut réaliser ses rêves de richesse.
La Terre promise se trouve ailleurs que sur Terre. Les humains ne sont pas exactement le Peuple élu, mais…
La Terre promise appartient aux Philistins, ceux qui détiennent le pouvoir dans l’ombre de Pharaon. Ce sont les xénoïdes qui manipulent les pantins de l’Agence Touristique Planétaire et méprisent les Terriens. Or, ces Philistins-là ne veulent pas que les humains jouissent de leur bien-être : ils ont peur que l’espèce inférieure vienne souiller leurs mondes.
Les xénoïdes sont puissants, en armes et en richesses. L’épée ou la bourse ne peuvent pas les vaincre, eux et leurs marionnettes de l’Agence Touristique Planétaire. Il reste donc l’astuce et l’intelligence pour entrer secrètement sur la Terre promise : tous les Philistins n’ont pas les mêmes opinions et certains sont à la recherche de bras pour travailler dans leurs champs. En effet, il existe certains « compatissants » qui reçoivent les humains en fuite et, en échange d’un travail d’esclaves dans leurs usines, les cachent durant trois ans et trois jours. Après ce délai, si l’humain peut démontrer qu’il est resté tout ce temps chez les Philistins, il a une chance de devenir citoyen de la Terre promise. Un citoyen de seconde classe, toutefois.
Mais mieux vaut souffrir sous le joug philistin que sous celui de Pharaon. Mieux vaut la Terre promise que sa colonie.
Dès lors, l’astuce et l’intelligence ne poussent qu’à une seule chose : partir.
Le Voyage, c’est la fuite.
S’ENFUIR : LA DISTANCE
La fuite n’est pas simple. Elle comporte deux obstacles majeurs : la distance et la surveillance.
La distance, rien qu’en elle-même, constitue un problème sérieux. Pour arriver à la Terre promise, il faut toujours traverser un désert.
Les étoiles autour desquelles gravitent les mondes xénoïdes sont à des années-lumière. Elles sont séparées de la Terre par un désert d’espace infini que les hyper-vaisseaux peuvent traverser en quelques secondes. Mais seuls les xénoïdes possèdent la technologie pour en construire de sûrs.
Bien que la construction d’un hyper-moteur soit une entreprise parfaitement à la portée de nombre de « mains magiques » comme celles d’Adam, les mécanismes de contrôle et de direction sont une autre affaire.
Un hyper-moteur artisanal construit sur Terre fonctionne une seule fois… Et le vaisseau qui l’utilise peut sortir de l’hyper-espace n’importe où. Que ce soit au milieu d’un Système solaire plein de xénoïdes, à mille parsecs de toute étoile, au milieu d’une nébuleuse de gaz ou à l’intérieur d’un amas globulaire.
Heureusement, la structure même de l’hyper-moteur l’empêche de fonctionner près de grandes masses. Cela prévient le risque d’une réentrée dans un espace déjà occupé par un Soleil ou une planète.
En contrepartie, pour activer un hyper-moteur artisanal sans système de contrôle, il faut s’éloigner à une certaine distance du plan de l’écliptique que parcourent le Soleil, la Terre et les autres planètes. Cet éloignement doit obligatoirement se produire à vitesse conventionnelle, suivant la loi des actions réciproques.
Balistiquement parlant, la trajectoire la plus sûre pour atteindre rapidement le meilleur éloignement du plan de l’écliptique avec une consommation minimale de carburant est presque perpendiculaire à la Terre. Elle comprend à peine vingt minutes d’arc. Dans l’argot technique secret des aspirants au Voyage, cette route s’appelle le Tunnel de fuite.