Avec cela, et avec les codes de communication – qui, eux, ont coûté vraiment cher à Friga, malgré toutes ses relations –, ils pensent échapper au deuxième niveau de surveillance.
Si les patrouilleurs qui les voient et les entendent suspectent qu’ils n’ont pas affaire à un vulgaire lanceur montant en orbite pour s’accoupler à un hyper-vaisseau, c’est qu’ils seront devins.
Et s’ils découvrent la supercherie… tout ne sera pas encore perdu. Sous sa coque imitant un patrouilleur de classe Tornado sans défense, L’Espoir dissimule un système à pulsation de champ de force. Cela ne vaudra pas la cuirasse quasiment invulnérable d’un patrouilleur de fabrication xénoïde, mais le vaisseau pourra résister à une certaine puissance de feu. Et pour riposter aux armes à particules des vaisseaux de la Sécurité Planétaire, L’Espoir comporte plusieurs masers à grande puissance qui peuvent leur causer quelques dommages.
De cette manière, ils espèrent atteindre le Tunnel de fuite sans trop de dommages structurels ou pertes de combustible.
Et, une fois là, le saut en hyper-espace… vers ailleurs.
L’HYPER-ESPACE… ET AILLEURS
Bien que Friga, Adam et Jowe aient préféré compter sur un nombre plus important, l’armement et les générateurs d’énergie pour le blindage de champ de force n’ont laissé de place que pour deux hyper-moteurs. Le premier, pour s’éloigner du Système solaire, et le deuxième, au cas où ils se retrouveraient trop loin dans le vide intersidéral.
En échange, ils possèdent un système d’animation suspendue adapté par Adam. Le jeune homme aux « mains magiques » assure que le système pourra les maintenir tous trois en parfaite anabiose pendant cinq cents ans, au minimum. En théorie, c’est un laps de temps suffisant pour que, si aucun des deux hyper-moteurs ne fonctionne comme prévu, L’Espoir à la dérive finisse par arriver quelque part.
Quelque part chez les xénoïdes. De bonne volonté, si possible.
LES XÉNOÏDES DE BONNE VOLONTÉ
Friga ne possède aucune formation technico-scientifique, ni aucune autre forme d’éducation. Pourtant, elle espère que sa force physique, sa résistance, son manque de scrupules et son autorité naturelle pourront intéresser un xénoïde se livrant à des activités peu légales. Elle sait qu’elle peut être le meilleur contremaître de l’univers. Sinon, elle est disposée à y arriver par tous les moyens et à résister à tout.
Adam fonde de grands espoirs sur son incroyable habileté comme techno-réparateur… Bien qu’il ne l’ait jamais dit, il doute un peu de son utilité dans la société consumériste xénoïde, où rien ne se répare et où tout s’utilise jusqu’à tomber en panne et être jeté. Mais il est prêt à apprendre à construire, puisqu’il sait déjà réparer…
En définitive, leur authentique atout est Jowe.
Et son mystérieux ami Moy.
JOWE ET MOY
Jowe, qui parle peu, évoque rarement Moy. Il a seulement expliqué que c’est un artiste, un ancien compagnon, et qu’il a du succès chez les xénoïdes.
Mais tout semble indiquer qu’ils ont été vraiment amis. Peut-être davantage, pensent quelquefois Friga et Adam. Parce qu’il est rare qu’un individu, aussi riche soit-il, envoie des virements de près d’un demi-million de crédits à un simple ami.
Les versements de Moy ont financé la fabrication de L’Espoir, l’achat des vivres, du système d’animation suspendue, du combustible et des armes. Tout cela a coûté fort cher. Et pourtant, il reste encore des crédits… Friga a appelé cet argent le « Fonds d’urgence », en cas d’imprévu. Elle a fait transiter ces crédits par Bételgeuse jusqu’à Aldébaran, au cas où des xénoïdes assez accommodants pour les cacher trois ans et trois jours n’apparaitraient pas tout de suite… Il vaut mieux compter sur une petite réserve.
Moy, avec l’argent, envoie constamment des messages comme : « Viens vite ! J’ai besoin de toi. Je suis très seul… » ou « Débrouille-toi pour venir à n’importe quel prix. » Jowe n’a jamais dit s’il était au courant que, vu sa condamnation au reconditionnement corporel, on ne lui accorderait jamais un permis de sortie légal. Friga et Adam espèrent que Moy a compris que son argent sert à favoriser la venue de Jowe par le seul moyen possible : la sortie illégale du Système solaire et de l’atmosphère terrestre.
Friga et Adam espèrent également que le dénommé Moy intercédera en faveur de Jowe, une fois celui-ci loin de la planète. Et en leur faveur, par la même occasion.
C’est pourquoi ils prennent en charge le plus gros du travail. Parce que si l’idée du Voyage est de Jowe, il ne fait pas grand-chose pour la concrétiser. Son effort se limite à donner du style à L’Espoir. Quand il veut bien s’y mettre.
Pendant que Friga et Adam se tuent au travail à réviser ce qu’ils ont déjà vérifié mille fois, à collecter des provisions et des outils pour parer à toute éventualité Jowe déambule, silencieux, le regard toujours tourné vers le ciel. Et ses yeux vides s’éclairent d’une étincelle lorsque les autres lui parlent du jour du départ qui approche.
LE JOUR DU DÉPART
Le décollage a été judicieusement fixé à la nuit du dimanche. Les fins de semaine, le trafic est important et les contrôleurs aériens, épuisés, aspirent à la relative trêve du lundi.
La veille du jour J, chacun des trois membres d’équipage de L’Espoir préfère s’isoler.
Adam reste à bord de L’Espoir. Son bébé, sa création… Le meilleur travail qu’il ait jamais réalisé. Il caresse fièrement les planches de plasti-acier raccommodées et le panneau de commandes hétérodoxe. Il rêve éveillé d’un futur où il dessinerait et fabriquerait des prototypes de vaisseaux à grande vitesse pour une entreprise xénoïde… De temps en temps, il jette un regard curieux vers l’extérieur du hangar qui dissimule L’Espoir ; et il voit Jowe, au loin, qui se promène.
Le hangar n’est qu’un toit en tôles sur une île de la baie de l’Hudson, au milieu d’un tas de bâtiments qui, il y a trente ans, constituaient une petite ville construite autour d’une usine chimique. Les xénoïdes ont fermé l’usine parce qu’elle était polluante. Et la ville est morte.
Il n’y a pas une seule âme à la ronde. Humaine, s’entend. Les mouettes et les rats pullulent, nichent et jouent dans les constructions abandonnées et sur les hautes cheminées de l’usine désaffectée, en passe de s’écrouler. La mer rugit, ses vagues se brisant sur la plage qui paraît aussi vierge que si l’homme n’avait jamais existé sur Terre.
Jowe erre le long du rivage. Il lance des pierres dans l’eau et crie mais le vent emporte ses paroles. Peut-être hurle-t-il sa colère, sa frustration, son espoir. Ou le tout conjugué.
À la nuit tombée, Jowe rentre, silencieux, fermé. Presque aphone. Adam hausse les épaules : cela ne change pas de l’habitude…
Deux heures avant le départ, Friga ne s’est toujours pas montrée et ses compagnons commencent à s’inquiéter.
Une heure avant, Adam, qui fume cigarette sur cigarette, marmonne que, s’il le faut, ils partiront sans elle… Jowe le regarde sans répondre. Il sait qu’ils l’attendront.
Une demi-heure avant le départ, Friga rentre enfin. Elle arrive en boitant, les vêtements en lambeaux, une arcade sourcilière enflée, la lèvre fendue, un œil bouffi et les phalanges rougies. Sur la poussière qui couvre son visage, les larmes ont creusé des sillons. Mais elle sourit presque béatement.